Chapitre 3 (3)
Leur marche dans la forêt ne fut plus perturbée par d’autres évènements notoires, si ce n’était l’humidité qui leur collait aux basques. Elias sentit tout de suite qu’ils en sortaient, dès que le vent frappa son visage et que l’air charrié de feuilles humides se fit balayer au loin. Maël cria de joie et se mit à courir sur les cailloux qui s’entrechoquèrent. Elias souffla. Il ne risquait plus de se prendre les pieds dans les racines, ni les mains dans les ronces. Cet espace libre faisait du bien. Et l’effrayait aussi un peu. Ils étaient à découvert. N’importe quel fou pouvait encore choisir de les affronter.
Isaac avançait rapidement, Maël dans ses bras, et Elias n’eut pas d’autre choix que de les suivre aussitôt s’il ne voulait pas se retrouver perdu parmi toute cette immensité. Son bâton avait cessé de vibrer et il n’avait pas pris la peine de le recharger. Il l’utilisait comme un bout de bois mort pour prévenir des obstacles sous ses pieds, c’était déjà pas mal et celui lui demandait moins d’effort qui puisait dans ses réserves magiques.
Très vite il regretta l’humidité de la forêt, à mesure qu’ils descendaient la colline rocailleuse. Non seulement les cailloux glissaient aussi mais la moindre chute était beaucoup plus douloureuse. Le vent ne cessait de souffler, s’insinuant dans les plis de ses vêtements et glaçant tous ses membres, sans exception. Il sentait l’air se rafraichir, signe que la nuit n’allait pas tarder à tomber. Elias ne rêvait que d’une taverne et d’un lit chaud mais Isaac en décida autrement.
— Campement là.
Le sac tomba au sol dans un fatras et il leur distribua les deux couvertures en leur possession, suivi d’un peu de viande séchée. Elias était trop fatigué pour protester et s’assit à même le sol, accueillant ce moment de repos bienvenue.
— Qui c’est ce fou ? demanda Elias.
Maël ne s’était toujours pas réveillé, au chaud dans les bras d’Isaac qui devait certainement être en train de lui préparer son lit. Ou du moins un couchage sur de la mousse recouvert d’une couverture.
— Quel fou ? marmonna Isaac, toujours aussi avare de mots.
— Le fou qui veut attraper la source.
— Sans doute un membre de l’Ordre.
Elias frissonna. Et ce n’était pas de froid. Il imaginait les sorciers et prêtresses à l’œuvre. Que feraient-il d’un enfant ?
—J’roupille. Tu surveilles.
Sans lui laisser le temps de comprendre ce qu’il disait, le ronflement d’Isaac lui parvint distinctement. La respiration douce et régulière de Maël emplit l’atmosphère à sa suite, le laissant penaud au milieu d’eux. Que pouvait-il bien surveiller sans voir ? Il ouvrit grand ses oreilles, de peur que quelque chose ne surgisse autour d’eux. L’air frémissait d’une énergie particulière. Des gators. Des oiseaux aux grandes ailes volaient au-dessus d’eux. Il n’y avait qu’eux pour recharger aussi brutalement une zone en magie. Elias ouvrit son mathiak, s’abreuvant directement à la source brute. Cela l’aiderait à se maintenir éveillé. Les clochettes tintantes bruissèrent et chantèrent doucement sous le souffle du vent. Concentré sur sa marche, il n’avait même pas pris en considération tous les bruits naturels dont regorgeaient Nelor. Des êtres vivants multiples qui allaient mourir si leur continent continuait de se trouer ainsi.
Il aurait aimé apercevoir les étoiles-âmes ou même la nuit. Plongé dans son silence intérieur, il se réfugia dans son mathiak. Il entra dans une réplique du monde qu’il s’était fait dans la journée. Une pente rocailleuse à flanc de forêt, bruissant de vie. En contrebas, il pouvait discerner l’océan du Maelström, ponctué par des mâts de navire qui devaient peupler le port. Demain, ils y seraient enfin. Et tout ce cirque cesserait enfin.
Gavé d’ennui, il chercha à nouveau la masse sombre qu’il avait aperçu à plusieurs reprises. Une ombre si nette qu’il discernait la silhouette de Maël. Il orienta son regard vers les dormeurs, sans rien apercevoir. Frustrant.
Un pas. A l’opposé. Quelqu’un… ou plutôt quelque chose marchait vers lui. Quatre pattes. Un souffle rauque comme si une langue pendouillait. Et tout à coup, la silhouette se détacha et lui apparut. Noir. Comme la peur qui lui traversait les entrailles. Et si ses émotions étaient liés. La bête haleta jusqu’à approcher tout près de lui. Il sentait l’odeur du chien mouillé. Ses contours étaient flous mais il semblait énorme, bien plus gros qu’un loup. Trois yeux jaunes le fixaient.
Tu vois la source…
Ses paroles rompirent l’enchantement. La porte de son mathiak claqua et il retrouva son ordinaire : le rien infini. Il tendit ses mains en avant mais il n’y avait plus personne. Ni bête, ni homme. Frissonnant, pas que de froid, il ramena ses jambes contre lui. Et si la source recherchée, c’était lui ? La nuit promettait d’être longue.
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