Aoi

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Avant son départ, Myrna embrasse ses enfants en leur demandant d'être bien sages avec papa et… avec la princesse. Leurs petits s'arrondissent de surprise avant de s'illuminer. A l’annonce de mon installation avec eux, les petits sautent de joie ! Leurs amis ne vont pas en croire leurs oreilles lorsqu’ils vont leur dire qu’une princesse loge chez eux ! D’un petit air conspirateur, je leur fait promettre de ne rien dire de ma présence ici : je suis une espionne en mission secrète. Personne ne doit le savoir ! Vic et Ninya hochent la tête d’un air entendu : je leur enseigne alors le serment de la croix de bois et de la croix de fer, scellant ainsi notre promesse. Myrna quitte la maison à bord de ce qui ressemble à une calèche tirée par animal qui serait un croisement entre un cheval et un dragon, appelé un dragnir.

Je souhaite avant tout me rendre utile : malheureusement je n’ai jamais été vraiment douée de mes mains et je ne connais rien aux travaux de la ferme… Pour couronner le tout, tout est différent ici : je ne reconnais aucune espèce, qu’elles soient végétales ou animales. Les enfants me montrent patiemment comment nourrir les animaux qu’ils possèdent et je prends l’initiative d’arroser le potager familial avec l’eau turquoise du puits pendant qu’ils se préparent pour aller chez leur maître d’apprentissage. Je me sens inutile et d’une nullité !

Vers la mi-journée, assise sur les marches de la porte d’entrée, je vois Roc revenir de la forêt, un lourd fagot de bois sur les épaules. Il semble exténué et peine à arriver à la maison. En un tour de main, je lui soulève son fardeau des épaules grâce à mon sort de lévitation, sous ses yeux médusés.

Je croyais que la magie était monnaie courante à Tensya ?

Je dépose le bois à l’endroit qui lui est destiné. Il s’approche de moi lentement.

- Vous… Vous savez utiliser la magie ?

- Euh… oui… pourquoi pas vous ?

- Nous très peu, vous savez que nous faisons partie du peuple, nos pouvoirs sont assez limités… Vous me paraissez pourtant bien jeune pour avoir passé le Register…

- Je l'ai pourtant effectué dans mon monde il y a de cela environ deux mois…

- Puis-je vous demander quel type de magicienne êtes-vous ?

- Elémentalienne… Bien que j'ai de grosses difficultés avec l'eau, avouais-je un peu honteusement.

- Elémentalienne… Il me semble que cette catégorie est sur le déclin… Ces dernières années, peu de Titan digne de passer le Register s'avèrent être de ce type. Bien, bien… Comment s'est passée cette matinée ?

- Disons qu'elle n'a pas été très productive…

- Je vois… venez je vais vous apprendre certaines choses.

Roc passe une bonne partie de l'après-midi dans ses champs où il me nomme et me montre comment manier les différents outils, m'apprend les espèces végétales qu'il cultive pour vendre et pour se nourrir. Je commence à comprendre : au final les espèces diffèrent uniquement dans leurs couleurs et leurs goûts. En revanche, les finalités sont les mêmes : par exemple ici le blé, nommé l'apir, est soit bleu océan soit bleu ciel. Ils en font une farine : celui de couleur marine a un goût légèrement sucré et l'autre est plus neutre.

En ce qui concerne les êtres vivants, c'est plus complexe : ici tout est absolument différent. Je dois tous les apprendre… cela ne va pas être simple.

A l'arrivée des enfants, je demandais à Vic son gros livre pour que je puisse m’instruire sur le monde qui pour l’instant est le mien. Après cette journée où je me suis sentie comme la dernière des cruches, je tiens absolument à avoir un minimum de connaissances pour pouvoir aider au mieux Roc. J’y passe une bonne partie de la nuit et en oublie même le dîner : ce monde est exceptionnel ! Il a une faune et une flore magnifiques ! Malheureusement, à la lueur d’une bougie, les yeux se fatiguent très vite. Je m’endors sur le livre…

Le lendemain, je me lève avec le soleil. J’essaie de mettre à profit ce que j’ai appris la veille : je nourris les animaux, arrose le potager. Aidée par la magie, je fends du bois et le place près de la cheminée. Ninya nous prépare un petit déjeuner : elle réchauffe la soupe de la veille et coupe des tranches de ce qui ressemble à une miche de pain bleu. Nous mangeons en silence. Roc annonce qu’aujourd’hui nous allons à la pêche : Vic et Ninya sautent de joie. Je les regarde en souriant. Ils préparent joyeusement un petit panier de pique nique pendant que Roc sort un petit attirail de pêche : cannes, hameçons et appâts. Nous traversons le petit bois et arrivons devant une rivière au couleur arc-en-ciel. Je me remémore la carte de Noctalya : il s’agit d’un bras de la fameuse rivière Arc en Ciel.

Pendant que les enfants s’ébattent joyeusement dans l’eau, Roc s’installe un peu à l’écart afin de pouvoir pêcher au calme. Tout en surveillant les petits, je me balade sur le rebord, essayant de mettre des noms sur ce que je vois. Soudain, je prise de vertige : je m'appuie contre un arbre et ferme les yeux… Une douce voix masculine m’interpelle...

- Qui es-tu ?

- Qui me parle ?

- Qui es-tu ?

- Sort de ma tête !

Tout à coup, une image se colle à ma rétine : celle d'une superbe paire de yeux bleu océan d’une infinie tristesse qui semble voir au plus profond de mon âme…

- Alyana…

- Evaïs...

Un cri de détresse me sort de ma léthargie. Ninya s'est trop éloignée du bord, a perdu pied et se fait emporter par le courant vers un petit lac assez profond en contrebas. Je la vois qui s'éloigne de nous, sous le regard apeuré de Roc et les pleurs de Vic.

Concentre-toi Alyana. Tu as toujours eu des difficultés avec l'eau mais tu dois sauver Ninya !

Je ferme les yeux : je commence par visualiser le corps de mon petit singe et lui met une bulle d'air autour de la tête afin qu'elle n'avale plus d'eau. Puis, d'une voix sans appel, je demande à l'eau de ramener la petite sur le bord.

Ce n’est pas comme ça que tu y arriveras !

Surprise, j'ouvre les yeux et perd ma concentration. La bulle autour de la tête de Ninya éclate au moment où elle atteint le lac et elle coule. Je me mets à réciter une formule afin de demander au vent son aide pour provoquer une tornade qui puisse aspirer le corps de la petite hors de l'eau : je réussis. Grâce à mon sort de lévitation, je récupère Ninya et la pose délicatement sur le rebord. Elle respire encore et crache l'eau qu'elle a avalée. Je souris soulagée avant d’avoir un coup de faiblesse. J'aperçois Roc accourir vers moi, Vic sur les talons.

Soudain, une main m’attrape la cheville et me tire sous l'eau. Je n'ai pas eu le temps de réagir. Je me crée une bulle d'air autour de la tête sachant très bien qu'elle ne durera pas très longtemps. Je me débat, paniquée, et sens comme un corps plutôt frêle se coller à mon dos pendant qu’une petite main me caresse les cheveux. Je me dégage.

Lâche-moi !

Un petit rire cristallin résonne autour de moi. J'essaie de me calmer : ma survie est en jeu et je ne sais pas à qui j'ai affaire. Ce lac est plus profond que je l'imaginais.

D'où me donnes-tu des ordres ?

Je me retourne : je ne vois rien mais je perçois quelqu'un ou quelque chose présent dans cette eau colorée avec moi.

Oh… mais c'est qu'elle sent ma présence…

A nouveau, je fais un tour sur moi-même. Quelque chose m'agrippe les cheveux et me les tire.

Ces cheveux couleur carmin sont superbes…

Je manque d'air… Je ferme les yeux et essaie de me concentrer malgré cette chose qui me tourne autour et ne cesse de me tirer les cheveux. Je finis par percevoir ce qui me tourmente : il est assez petit, avec de longs cheveux argentés. Il possède deux paires de petites ailes à ses pieds palmés et deux paires sur le dos, un peu comme celles des libellules. Il se fond parfaitement dans l'eau du lac : sa peau reflète la lumière extérieure et il est presque transparent. Discrètement, je prépare un lasso avec les particules d'air et de lumière présentes autour de moi. J'attends qu'il s'approche et le lance.

Je t'ai eu !

Il se débat et tente de s’échapper. Je le rapproche de moi lentement. Il se met à rire.

C'est bon tu m'as eu ! Qu'est-ce que tu veux ?

Qui es-tu ?

Je rêve ? Une élémentalienne qui ne sais pas qui je suis… Attends… mais... tu n'es pas comme les autres… Je perçois quelque chose de différent en toi... Impossible… impossible mais très intéressant...

Décontenancée, je lâche la bride. Il s'accroche à moi et m'emmène vers le fond du lac.

- Bienvenue chez moi !

Nous sommes dans une grotte où je peux enfin respirer tout mon saoul. Je peux enfin le regarder : ce que j'ai pris pour un enfant dans l'eau est en fait un jeune homme. Il a des écailles d'argent sur tout le corps et des cheveux longs et lisses de la même couleur. Les ailes repliées dans son dos sont immenses et transparentes. Là, je réalise à quel point je suis grande. Je prends conscience de mes trois mètres quatre-vingt-dix-sept (et demi ! résonne la voix d’Abigaëlle dans ma tête.) La… personne en face de moi est toute petite : elle doit faire moins de deux mètres... Une taille humaine standard en somme. il bat des ailes et se place juste sous mon nez.

- Alors, élémentalienne, tu ne sais vraiment pas qui je suis ?

- Non je…

- Je te crois… Après tout, tu ne viens pas de ce monde pas vrai ?

- Comment le sais-tu ?

- Disons que j'ai... discuté avec l'eau qui circule dans ton corps… Impressionnante quantité d'ailleurs...

- Tu as… discuté avec l'eau dans mon corps ?

Il éclate de rire et se présente : il s’appelle Aoi, il est l’un des quatre princes aquatiques.

Un prince aquatique ?

Il dit me trouver charmante et adore la couleur et la texture de mes cheveux. Je ne comprend pas… La texture ? Il m’apprend que les cheveux bouclés n'existent pas à Tensya. Je suis surprise. Ainsi, les femmes n'auraient-elles que des cheveux lisses ? Il s’approche de moi à pas de velours, me tourne autour comme s’il me jugeait… je suis subjuguée par la forme de ses yeux : tout rond et d’un noir profond.

- Je sens qu’avec toi je ne vais pas m’ennuyer…

Il pose ses deux toutes petites mains sur mon visage et m’embrasse avec une passion insoupçonnée. Je sens une vague d’énergie monter en moi, comme un tsunami dévastateur. Je lui prend les mains et le contraint de s’éloigner de moi. Il entrelace nos doigts, me sourit, ferme les yeux et attire son corps contre le mien, à tire d’ailes. Je le laisse faire, sans avoir aucune idée du pourquoi. A nouveau, je sens la vague d’énergie remonter le long de ma colonne vertébrale et cette fois-ci, je la laisse me submerger, je la laisse sortir. Deux énormes ondes sortent du sommet de mon crâne avant de se propager tout autour de nous, soulevant les pierres avant de les laisser retomber au sol avec fracas. Je perd connaissance et tombe dans les bras d’Aoi.

Le pacte est scellé, Alyana…

Lorsque j’ouvre les yeux, je suis à nouveau à la surface, allongée sous un arbre aux feuilles aux tons violets. Je regarde autour de moi et reconnais le lac qui s’était télescopé dans mon esprit le jour de mes dix-huit ans. Le paysage est à couper le souffle : diverses espèces d’arbres bordent le lac, leurs feuilles multicolores se reflètent dans l’eau qui est d’une pureté sans pareille. Des petits poissons dorés affleurent à la surface, pendant que des insectes ressemblant à des libellules batifolent entre les roseaux. J’essaie de me lever : j’ai encore les jambes en coton. Au majeur de ma main droite se trouve une bague sertie d’un saphir bleu d’une beauté incroyable.

Aoi...

Avant que je ne m’évanouisse, il m’a murmuré à l’oreille que le pacte avait été scellé… Un pacte ? Mais quel pacte ? Attends… Mais c’est qu’il s’est permis de m’embrasser celui-là !

C’est tout ce que tu as retenu ?

Cette petite voix coquine, remplie de sarcasmes…

Aoi ? Mais où es-tu ?

Pas très loin ma belle, pas très loin… ferme les yeux…

Je m’exécute et me retrouve dans un endroit sphérique : sous une petite cascade se trouve un petit lac d’une eau bleue très claire et juste au-dessus, plusieurs carrés de toiles blanches sont tendues, un peu comme les tentes des princesses arabes. De nombreux coussins colorés sont dispersés ici et là sur un immense tapis rouge sang. Tout autour se trouvent des torches où brillent des flammes tantôt bleues tantôt pourpres. Allongé comme un pacha mangeant des raisins roses bonbons, Aoi me regarde d’un air admiratif. Il est habillé d’une voilure transparente de couleur cyan, enserrée à la taille, aux chevilles et aux poignets, laissant voir sa peau aux écailles d’argents. Enfin, je dis « il » mais rien ne me dit que c’est un garçon... Il éclate de rire.

- Bien sûr que je suis un homme ! Mon baiser de tout à l’heure ne te l’a pas prouvé ? Tu voudrais peut-être que je recommence ?

- Certainement pas !, lui répondis-je, en rougissant malgré tout. Où sommes-nous ?

- Quelque part dans ton esprit ma belle…

- Dans mon esprit ? Whaou… Je ne comprends pas tout… Tu pourrais m’expliquer ?

- Nous avons conclu un pacte, ma petite Alyana. Je t’ai prêté mes pouvoirs afin que tu puisses contrôler l’eau… en contrepartie… tu devras m’emmener voir ma mère dans l’Océan Turquoise.

- Si je refuse ?

- Un pacte scellé ne peut être défait sauf par la mort de l’un des contractants…, me répondit-il l’air le plus naturel possible. Mais ne t’inquiète pas je ne compte pas mourir de sitôt… et je ne compte pas te laisser mourir non plus... Sans compter que tu ne t’es pas fait prier pour accepter mes pouvoirs magiques !

Je repense à l’ondée qui a traversé mon corps lorsque nos corps se sont rapprochés... Je lui fais remarquer que je n’ai pas vraiment eu le choix, étant donné que je ne comprenais même pas ce qui se passait ! Il rit à nouveau : malgré tout, Aoi m’apparaît comme sympathique, je me surprend à l’apprécier… Je souris à mon tour.

- On vient te chercher… Revient me voir plus tard…, me dit-il en m’envoyant un baiser de la main.

J’ouvre les yeux au moment même où Ninya me verse de l’eau sur le visage. Elle me saute au cou en pleurant car elle a cru m’avoir tué. Je la rassure : j’ai la peau dure ! Elle éclate de rire et sèche ses larmes. Roc m’aide à me lever et me prend dans ses bras : il souligne qu’en l’espace de trois jours j’ai sauvé sa petite fille deux fois. Il ne pourra jamais assez me remercier.

La journée se poursuit sans encombres : Roc réussit à pêcher trois énormes poissons dorés et deux autres argentés, ressemblant aux poissons-chats. Ninya et Vic ne sont plus entrés dans l’eau : ils ont passé l’après-midi à jouer à cache-cache et à grimper aux arbres. Arrivés à la maison, Roc évide, écaille les poissons puis me montre comment les saler (le sel est vert!) pour les conserver plus longtemps. Nous en gardons un frais pour le repas du soir : les enfants sont heureux, pas de légumes pour eux !

Après cette journée riche en émotions, les petits tombent de sommeil : je les porte au lit et les borde. Exténués, ils s’endorment vite. A bout de force moi aussi, je m’excuse auprès de Roc et monte me coucher. Je sombre dans le sommeil, ma tête à peine posée sur l’oreiller aux plumes sucrées.

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