Alyana VS le Kaern

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Les deux camps se jaugent longuement. Le silence s’est fait autour de nous, comme si la nature elle-même appréhendait la suite… Le monstre émet un bruit ressemblant aux sifflements des serpents à sonnette. Il est le premier à attaquer : vif comme l’éclair, il se retourne et balaie la première ligne d’un coup de queue meurtrier. Arbres et soldats volent dans tous les sens sur plusieurs mètres : les psychiques font de leur mieux pour rattraper les Titans mais pour certains d’entre eux les trois têtes du Kaern sont beaucoup plus rapides. Elles réussissent à les prendre dans leurs gueules et ne peuvent que hurler de douleur, transpercés par des milliers de petites dents. Nous ne pouvons qu’assister à leurs morts atroces.

Evaïs lance sa première offensive : les élémentaliens utlisent tour à tour le feu, l’eau, l’air et la terre tandis que les militaires tentent de transpercer l’épaisse peau de leurs armes. Si le feu semble l’atteindre, les autres éléments, épées et marteaux n’ont aucun effet sur lui. Afin qu’il ne puisse pas écraser les soldats, je demande au sol situé sous les pattes du Kaern de se ramollir afin qu’il perde l’équilibre. Un instant désarçonnée, la bête reprend vite le dessus en battant ses ailes transparentes, soulevant au passage une bourrasque de vent froid. Il ne s’envole pourtant pas…

Ses ailes sont trop faibles pour le soulever mais assez puissantes pour nous envoyer valser…

Evaïs rappelle ses militaires pour qu’ils se placent derrière les élémentaliens afin de partager leurs énergies avec eux, en posant leurs mains sur leurs dos. Les salves de feu s’agrandissent jusqu’à devenir de vrais geysers : la bête hurle son agonie. Quatre sont concentrés sur les pattes et un à la base des trois cous. La victoire semble assurée bien que trop facile.

- Alyana ! Son point faible se trouve à la jointure de ses ailes ! C’est ainsi que nous avons réussi à le battre la dernière fois ! Aurale, par le plus grand des hasards, lui avait envoyé une boule de son liquide empoisonné dans le dos : ce n’est qu’à ce moment-là qu’il s’est affaibli considérablement et que mère a réussi à l’emprisonner.

- Sur son dos ? Mais alors…

Je n’ai pas le temps de finir ma phrase : le Kaern a déployé ses ailes et se met à les battre frénétiquement. De lourdes bourrasques de vent se mettent à souffler, soulevant sous son passage roches, boue et arbres. Un instant d’hésitation a suffi pour qu’une dizaine de personnes se retrouvent ensevelies sous les décombres naturelles. Deux des cinq psychiques sont prisonniers du vent : l’un se prend un tronc d’arbre de plein fouet, tandis que l’autre se fait transpercer par une épée perdue. Les militaires se servent de leurs armes pour détruire les projectiles tandis que les élémentaliens utilisent tour à tour des sorts de vents, d’eau et de feu. Profitant de la pagaille, le monstre contre-attaque : sous des sifflements stridents, ses têtes fendent l’air pour cueillir les soldats sur le sol et avaler des dragnirs. Le nombre des soldats d’Evaïs baisse à vue d'œil. Je prends place devant Aoi sur Galadryelle et chevauche vers le commandant, me prenant au passage une pluie de cailloux, dont certains tranchants m'égratignent la peau.

- Evaïs ! Son point faible ! Son point faible se situe sur son dos !, lui lançais-je.

- Tu en es sûre ?

- Absolument ! Il va falloir y grimper !

- Alyana ! N’y songe mêm…

Le rugissement de la bête stoppe sa parole. D’un même mouvement, nous tournons la tête vers la bête. Ses trois têtes ondulent de façon menaçante et ses yeux fixent notre trio. Galadryelle se met alors à gronder, tous crocs dehors puis se place en position d’attaque. Le Kaern recule, comme sur la défensive, rabattant ses ailes sur son corps. Je jette un regard circulaire sur le champ de bataille : de l’armée d’Evaïs, il ne reste que quelques hommes valides et trois psychiques… Nombre d’entre eux sont morts ou grièvement blessés.

- Ça y est… il m’a reconnu…, murmure Aoi. Alyana. Evaïs. Je vais faire diversion. Pendant ce temps, grâce à ton sort de lévitation, vous vous envolerez sur son dos et couperez ses ailes. Galadryelle, ma belle, tu veux bien m’aider ?

Pour toute réponse, ma zethys se contente de lui lécher la main. Il la chevauche et lance un cri perçant. Mon cœur se serre lorsque je l’entends. Il arme son arc d’une épaisse flèche d’énergie et la lance. Une lumière vive nous aveugle un instant et je comprends que c’est le moment propice pour disparaître des yeux du Kaern. Nous nous élevons dans les airs rapidement. Evaïs n’a pas dit un mot et son silence m’inquiète.

Pas le temps pour le sentimentalisme Yona. Aoi est en danger.

Nous contournons la bête dont toute l’attention est focalisée sur mon petit prince aquatique. Elle a bien compris que la flèche de lumière n’était qu’un leurre mais semble plus encline à assouvir sa vengeance qu’à nous poursuivre. Sa queue fend l’air de façon menaçante. Il va falloir jouer l’atterrissage finement afin qu’elle ne sente rien... Evaïs, rapide comme le vent, m’entoure de ses bras : le Kaern nous assène d’un violent coup de queue et nous atterrissons brutalement une centaine de mètres plus loin, après avoir littéralement traversé deux énormes troncs d’arbres. Il s’est volontairement mis en danger pour me protéger, la chute a été rude.

- Tout va bien ? (je hoche la tête) Bien. N'atterrit pas sur le dos du Kaern. Fait nous survoler la jointure afin que je puisse voir comment elles sont et trouver le moyen de les couper.

- A vos ordres !

Avec cette simple phrase j’ai réussi à le dérider un peu. Tant mieux. Nous nous envolons et cette fois-ci je reste sur mes gardes. J’entends le sifflement du Kaern ce qui ne présage rien de bon. Par précaution, je nous rends invisible, juste au moment où l’une des têtes se tourne dans notre direction. Aoi lui décoche une flèche qui l’atteint précisément à ce cou : il pousse un rugissement de fureur avant d’attaquer mon petit prince. Galadryelle est vive comme l’éclair : elle esquive chaque attaque, portant de temps à autre un coup de griffes ou mordant l’abominable créature.

La diversion est parfaite : Evaïs et moi approchons de la base des ailes. Vues de près, elles sont semblables à celles des chauves souris. Chaque pointe se termine par un crochet tranchant. Elles sont séparées d’une distance d’au moins deux mètres. La base est faite d’os et m’a l’air très dure. Le Kaern n’arrête pas de bouger dans sa quête d’avaler le prince Nymphalien, ce qui rend mon vol de plus en plus difficile à effectuer. Evaïs me fait signe de remonter.

- La base des ailes est sans doute raccrochée au corps par une articulation : c’est là qu’il va falloir frapper. Malheureusement, je n’ai qu’une seule épée…

- Je sais utiliser le vent comme une lame tranchante, en revanche je ne sais pas si cela sera suffisant.

- Nous frapperons en même temps : fais de ton mieux, si tu vois que ton sort n’est pas assez puissant, envole-toi je m’occuperais du reste.

- Je ne te laisserais pas…, il me fait taire d’un baiser.

- Obéis-moi, juste pour cette fois.

J'acquiesce, plus pour lui faire plaisir que par abandon. Nous redescendons : cette fois-ci, je nous dépose sur le dos du Kaern. Ce dernier sent notre présence et retourne une de ses têtes, juste à temps pour nous voir couper ses ailes. Enfin, une aile. Mon sort n’a pas été assez fiable et n’a réussi qu’à entamer à moitié l’os. Au même moment, Aoi lui décoche une longue flèche qui transperce l’un des cous de part en part. Le monstre hurle de douleur et se débat. Je finis à terre suite à une chute de plusieurs mètres. Une douleur vive me transperce la jambe : une branche pointue a traversé ma cuisse. Je la casse et y laisse un morceau afin de prévenir une hémorragie. J’entends Aoi m’appeler. Vite, je dois m’envoler afin qu’il voit que je vais bien. Je manque de me faire écraser par le monstre dont la colère est colossale. J’active mon sort de lévitation juste à temps et m’empresse de rejoindre Evaïs.

La colère et la douleur ont décuplé la vitesse du monstre : ses têtes fendent l’air à une rapidité à vous couper le souffle. L’une d’elles réussit à prendre Aoi dans sa gueule, tandis que la couronne d’épine transperce Galadryelle. Je hurle. Les deux autres me délaissent et s’attaquent à Evaïs qui se défend comme un diable donnant des coups d’épée et esquivant les crocs et les épines. Je lance un sort de feu sur l’une d’elle mais ayant perdu une partie de l’énergie d’Aoi, il est trop faible pour le blesser suffisamment. Ma magie personnelle a atteint ses limites. Je n’arrive presque plus à maintenir le sort de lévitation actif.

- Va-t-en Alyan…

Il n’a pas l’occasion de finir sa phrase qu’une épine lui transperce la poitrine. Un filet de sang violet s’échappe de sa bouche. Mon cœur s’arrête de battre. J’ai l'impression que mon âme se brise en mille et un morceaux. Je pousse un hurlement qui me terrifie moi-même. Je sens à nouveau cette force noire m’envahir : mon aura se matérialise autour de moi, dans un mélange de doré et de bleu qui se transforme en rouge et devient noire. La colère et la haine m’envahissent comme un raz-de-marée destructeur : ma douleur est immense, tel un puits sans fond. Je ne ressens plus aucun autre sentiment. J’ai perdu mon meilleur ami et mon nouvel amour. Sous mes yeux impuissants. Intérieurement, je me maudis d’être aussi faible.

Le Kaern s’est immobilisé, percevant une autre puissance que la sienne. Il se retourne vers moi avant de lâcher Aoi et de secouer ses têtes afin de se libérer des corps. Je lance un sort de vent afin que mes précieux compagnons ne tombent pas violemment sur le sol et les protège du combat qui va immanquablement suivre.

Je me sens puissante : une magie autre que la mienne s’écoule dans mes veines. Elle est noire, sinueuse, perverse. Je ne suis que vengeance. Je m’élève dans les airs et mes cheveux volant autour de moi me font une auréole rouge sang. Je suis face au monstre et n’éprouve pas la moindre peur. Ce dernier émet son sifflement caractéristique, signe qu’il va attaquer. Un tête s’approche de moi vivement et je la stoppe d’un mur invisible. D’un revers de main, je fais comme si je lui donnais une gifle : mon coup porte et le cou s’affaisse sur le côté, avant de revenir à l’attaque. Un peu sonné, la bête ne se laisse pas faire et deux autres têtes s’élancent vers moi simultanément : je donne un coup de poing rageur à l’une et sens sous ma paume l’os du crâne se briser. Ses yeux se révulsent et virent au blanc. J’arrête l’autre en maintenant sa gueule ouverte avec mes mains : sous la force de l’impact, je recule mais tiens bon. Ma rage est telle que je lui brise sa mâchoire avant de la lâcher. Ce cou-là s’effondre. N’en reste plus qu’un.

Soudain, un éclat attire mon attention. Entre les ailes se cache quelque chose de rond et de lumineux, sombre mais lumineux, comme une lumière noire. Lorsque le Kaern s’aperçoit que je l’ai vu, il devient plus véhément, m’attaquant sans relâche. Ce duel est effrayant : il réussit à me projeter trois fois à terre afin qu’il puisse m’écraser de ses lourdes pattes. Je les esquive de justesse à chaque fois. Mon bras gauche est cassé et pend mollement à mon épaule. Je n’arrive pas à esquiver un coup de patte qui m'envoie violemment sur un tronc d’arbre. Je glisse lentement sur le sol. Allongée sur le dos, je lui lance la plus énorme boule de feu que je suis encore capable d’effectuer en plein dans sa gueule grande ouverte, prête à me dévorer. Puis je m’envole avant d'atterrir sur son dos. Il se met à cambrer, à sauter à tort et à travers afin de me désarçonner. Je lui entrave les jambes avec un sort de terre, sachant très bien qu’il ne durera pas longtemps mais assez pour observer ce qui se cache ici. Je lui lance un sort de vent afin de lui trancher la dernière tête. Malgré cela, la bête est toujours vivante.

J’aperçois alors une sphère de verre, incrustée dans la peau même du Kaern. A l’intérieur vole une espèce de fumée noire qui semble avoir une vie propre. Cette dernière se met à vouloir m’attaquer, tambourinant violemment contre la paroi. Sans y réfléchir à deux fois, je brise la sphère et lance un sort de feu à cette fumée noire. Le Kaern émet un bruit semblable à un hurlement, un rugissement terrible qui se répercute sur les plaines avoisinantes. Je me soulève dans les airs et contemple la mort de cette bête monstrueuse, un sourire sardonique aux lèvres. Elle se met à fondre sous mes yeux, une odeur de putréfaction s’élève dans les airs et me pique les yeux et le nez. En deux minutes, il ne reste du Kaern que des os. J’en éprouve une certaine… satisfaction.

Je regarde mes mains. Mon aura n’est plus noire mais rouge. Je descends vers le dôme de protection où se trouvent les corps d’Evaïs, d’Aoi et de Galadryelle. Le visage inondé de larmes, je prends ma dague et coupe mes poignets jusqu’à atteindre mes veines : le sang qui s'échappe à flot vole directement vers mon petit prince et vers ma zethyx, soignant leurs blessures. Je sais que ce que je fais est complètement inconscient, c’est même du suicide mais peu m’importe. Je suis prête à donner ma vie pour les sauver. Et puis… Sans Evaïs près de moi... Si seulement je pouvais réveiller cette force-là à loisir mes amis et mon amour ne seraient pas dans cet état. Je m’approche lentement de lui : mon cœur me fait mal, trop mal. Il saigne d’un sang que je ne vais bientôt plus pouvoir verser.

- Tu veux le sauver pas vrai ?

- Qui est là ?

- Le moment n’est pas propice aux présentations, Alyana. Tu veux le sauver oui ou non ?

- Oui.

- Très bien approche-toi de lui, met ton visage au-dessus du sien et prononce : Aerya Vitalya puis colle tes lèvres aux siennes.

- Aerya Vitalya.

De ma bouche sort un volute de fumée dorée qui s’engouffre dans celle d’Evaïs lorsque je l’embrasse, mes mains posées sur son torse blessé. C’est comme s'il aspirait ma propre vie... Je sens sa blessure se refermer instantanément sous mes mains. Ses yeux bleus s’ouvrent et rencontrent les miens. Il semble totalement perdu, je me détache de son corps nouvellement guéri, lui souris avant de perdre connaissance.

- Avant que tu ne sombres totalement, sache que mon nom est Judays. Judays Ravilya.

- Judays… Ravilya ?

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