Les couleurs du monde
La peau d’Arlequin se colore de mille formes cousues main et signale au passant qui le lorgne d’un regard sombre, la diversité de son costume. Maintenant il danse et saute nous enivre de ses pirouettes, nous laisse entrevoir dans le miroir de son teint toutes les couleurs du monde, contraintes de se côtoyer en dépit de leur adversité. Toutes sont là, assemblées comme un vitrail qui expose aux hommes une lecture de métissage, de fusion et de contraste, fruit d’une solidarité populaire et généreuse puisque chacun y mit son bout de tissu trempé à la source même de l’arc-en ciel.
Il fut un temps, qui reviendra, où on l’affubla d’une étoile née sous un ciel nu justement. Traqué pour incarner l’impureté, il circula dans la nuit des hommes si longtemps qu’il en perdit sa gaiété et ses couleurs. Il blanchit. Sa peau devint aussi pâle que celle de ses détracteurs mais au fond de lui l’uniforme gagnait. Il s’habilla de la couleur du temps, blanc sur fond blanc, et put à nouveau apparaître dans un jour sans éclat parce que le blanc orphelin s’attristait de sa solitude. Il oubliait sa variété, la richesse de ses origines pour se confiner dans une langue atone, standardisée et régularisée, sous prétexte de chasser en lui toute trace dissonant avec son immaculé. Son visage si noir de nature se grisa, ternit vers un drôle de blanc cassé, il se purifiait disait-il. Les autres couleurs qui formaient son costume se décousirent. Le rouge et le noir, le jaune et l’indigo, chaque losange errait aux quatre coins du monde, solitaire mais lorsque deux ou plusieurs d’entre eux se rencontraient, ils se déchiraient et finissaient en tristes lambeaux.
Il faudra des petites mains toutes jeunes pour revisiter le foyer d’Arlequin et redonner à son costume l’éclat de l’arc-en-ciel, que le monde s’éclaire d’un jour bariolé d’étoiles et de couleurs toutes neuves.
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