Le Grand Conseil

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_Le Grand Conseil_

La Salle du Conseil, située au cœur du majestueux Palais Royal de Cinderholt, baignait dans les premières lueurs de la journée. Les lourds rideaux de velours pourpre venaient d’être rassemblés sur le côté des larges fenêtres. Sur les murs, les tapisseries anciennes, qui dépeignaient des scènes où dragons légendaires et machines à vapeur semblaient coexister dans une harmonie troublante, reprenaient vie à la lumière naturelle. Les visages des héros contemplaient admiratifs toute l’agitation qui régnait depuis plusieurs heures. Les serviteurs se relayaient pour redonner vie à la pièce, apporter du café et quelques brioches encore fumantes.

Au centre de la pièce trônait une table ronde en bois d'ébène, massive et sombre, autour de laquelle étaient assis les plus hauts dignitaires du royaume. En léger retrait, la Reine venait d’y retrouver son trône. La jeune femme, issue d’une longue lignée de souverains paraissait se perdre dans son fauteuil démesuré. Au fil du temps, le souverain d’Aerthoria avait cédé ses pouvoir au grand Conseil, mais conservait une parole que tout le monde se devait d’écouter. La reine scrutait les visages fermés des Conseillers.

Chacun d'eux, choisi pour sa sagesse ou son influence, portait l'ombre d'une inquiétude qu'il tentait de dissimuler sous des expressions graves et mesurées. À leurs côtés, les représentants des guildes les plus puissantes, les forgerons, les alchimistes, les maîtres commerçants, les navigateurs, murmuraient entre eux, échangeant des regards chargés de sous-entendus.

Les messagers allaient et venaient sans discontinue, la porte de la salle n’avait par moment pas le temps d'être refermée par le garde en charge de la surveillance. Chacun apportait un nouveau lot de nouvelles, des rapports venant des quatre coins du royaume, tous empreints d'une urgence croissante. Les parchemins, encore humides d'encre pour certain, écrits à la hâte pour d’autres, étaient posés devant les Conseillers qui ne prenaient même plus le temps de les consulter. Ils en connaissaient la teneur. Chaque document dévoilait un peu plus l'ampleur de la crise à venir : la Draconis se faisait de plus en plus rare. Certains commençaient même à parler de pénurie.

Les murmures des Conseillers, d’abord à peine audibles, s’amplifièrent progressivement, formant une cacophonie de voix inquiètes. Des discussions fébriles s’élevaient autour de la table, où chacun tentait de proposer des solutions, souvent incomplètes, parfois désespérées.

L'atmosphère devenait de plus en plus tendue.

Lord Victor Greystone , le Conseiller en chef, se leva lentement de son siège, et avec un geste mesuré, il frappa le sol de sa canne. Tous les regards se tournèrent vers lui, et l’atmosphère, déjà tendue, sembla se figer. Même les pas des coursiers se faisaient plus discret.« Mesdames et Messieurs, commença-t-il de sa voix grave, je vous confirme que nos réserves de Draconis sont presque épuisées. » Une onde de murmures parcourut la salle, mais un regard ferme de Greystone ramena le silence. « Tous les rapports annoncent le même constat. La production de nos usines ralentit déjà, et sans un nouvel approvisionnement, nous risquons non seulement l'arrêt total de notre industrie, mais également la mise en péril de nos défenses. »

Le poids de ses paroles tomba lourdement sur l’assemblée, les représentants de différentes guildes échangeaient des regards inquiets. Ils comprenaient enfin la raison de leur venue. La situation était plus critique qu’ils ne l’avaient imaginée.

Dame Octavia Morland, la Conseillère des finances, se redressa dans son fauteuil, son visage habituellement impassible trahissait une légère inquiétude.

« Cela pourrait entraîner une crise économique d’une ampleur inédite, » déclara-t-elle. Ses doigts tambourinaient nerveusement sur l'accoudoir de son siège. Nos exportations sont vitales pour l’équilibre de notre trésorerie. Si nous ne trouvons pas rapidement une nouvelle source de Draconis, le chômage, la famine, et les émeutes pourraient dévaster notre royaume. »

À sa droite, le Professeur Taddeus Ironwood, connu pour son esprit brillant mais tout aussi excentrique, hocha la tête avec une gravité inhabituelle.

« La Draconis n'est pas seulement un carburant, intervint-il, c'est l'épine dorsale de nos avancées technologiques. Sans elle, nos recherches stagneront, nos machines cesseront de fonctionner, et nos armes, celles qui dépendent de cette énergie unique, deviendront obsolètes. Nous serons vulnérables face à nos ennemis. »

Les mots du Professeur pesaient lourdement dans l’air. L’ensemble du royaume d’Aerthoria dépendait de ce simple minerait. La salle demeurait silencieuse, certains regards se cherchaient, quelques messes basses se rencontraient et se diffusaient. Le regard de Lord Greystone balaya l'assemblée, attendant que les représentants assimilent la gravité du problème avant de poursuivre la discussion sur les solutions possibles : de nouveaux quotas, l’arrêt de certaines usines, le transfert des ressources.

Seraphine Ashcroft de l’ordre des arcanistes, une aristocrate aux cheveux argentés et aux yeux perçants, prit la parole avec une voix douce mais ferme.

« Si les usines s'arrêtent, les ouvriers perdront leur emploi et leurs moyens de subsistance. Cela pourrait provoquer des émeutes, voire une révolte générale dans les quartiers industriels de Cinderholt. Le peuple est déjà mécontent de l'inflation et des conditions de travail. Si nous ne faisons rien, la colère pourrait se retourner contre nous. »

Un murmure d'accord parcourut la salle, tandis que les autres représentants acquiesçaient, conscients du danger social qui couvait. Mais avant que quelqu’un ne puisse répondre, Alistair [cc4] Vane, un ancien soldat reconverti dans la stratégie militaire, assis à l'autre bout de la table, se pencha en avant.

« Ce n’est pas seulement une question d’économie. Nos voisins ne manqueront pas de profiter de notre faiblesse. Si nos zeppelins de guerre et nos armements lourds cessent de fonctionner par manque de Draconis, nous serons vulnérables à une invasion. Velkara n’attend que ça. Son armée n’hésitera pas à frapper si l’occasion se présente. »

Sa voix rocailleuse ne laissait jamais indifférente, son bras mécanique non plus.

Le débat s'intensifia, chacun y allait de ses idées et ses propositions pour gérer au mieux la crise à venir. Les problèmes étaient nombreux et imbriqués, chaque conséquence semblant en entraîner une autre. Les propositions finissaient par se contredire, c’est pour vous dire à quel point le problème était sérieux et inédit.

Depuis son trône la Reine écoutait la fin annoncée de son royaume. Depuis quelques temps déjà, le mécontentement grandissait déjà dans les rues de Cinderholt. Les murmures de rébellion se faisaient entendre dans les tavernes et les marchés. Elle savait que si le Palais Royal ne parvenait pas à stabiliser la situation, la population perdrait toute confiance, ce qui mettrait en péril la stabilité du régime lui- même.

Le débat sur les conséquences de la pénurie de Draconis s’enlisait dans des argumentations stériles. Lady Ashcroft, toujours calme et posée, demanda la parole. Ses yeux violets, brillants d'une lueur mystérieuse, parcoururent la salle alors que toute l’assemblée attendait son idée.

« Il est évident, commença-t-elle d'une voix mesurée, que nos réserves actuelles de Draconis ne suffiront pas à nous soutenir longtemps. Nous devons explorer de nouvelles zones. Je propose que nous organisions une expédition afin de trouver des sources encore inexploitées de Draconis. » Elle laissa ses mots planer un instant avant de continuer. « Il existe des régions de notre royaume qui restent inexplorées ou des mines anciennes qui ont été abandonnées à tort. Il y a aussi des rumeurs persistantes concernant des sanctuaires draconiques oubliés, des lieux où les dragons autrefois régnaient et où de la draconis pourraient encore s’y trouver. »

Un murmure parcourut la salle, les Conseillers échangeant des regards sceptiques. Certains semblaient intrigués par la suggestion de Seraphine, mais d'autres, plus pragmatiques, voyaient les risques évidents d'une telle entreprise.

Ce fut un représentant de la Guilde des Marchands, un homme à la mine austère nommé Master Bellworth, qui exprima le premier son scepticisme.

« Lady Seraphine, avec tout le respect que je vous dois, une telle expédition serait extrêmement coûteuse. Nous pourrions perdre des vies précieuses et des ressources sans aucune garantie de succès. Et que se passera-t-il si nous échouons ? La situation du royaume ne fera qu’empirer. »

Son ton, bien que respectueux, portait une note de défi. Ces deux-là se connaissaient depuis longtemps et prenaient un malin à se défier lors des séances du Conseil.

Les Conseillers Morland et Ironwood hochèrent la tête, partageant les mêmes préoccupations. L'incertitude des résultats, combinée au coût et aux dangers, faisait de cette proposition une entreprise risquée en des temps déjà troublés.

« Je comprends vos craintes, intervint alors le Conseiller Victor Greystone avec une sérénité imposante, mais rester immobile n'est plus une option. Si nous n'agissons pas maintenant, les conséquences seront encore plus désastreuses. » Il capta un hochement de tête de la Reine. « Une telle expédition est risquée, oui, mais elle est notre seule chance de trouver une solution durable. Nous ne pouvons plus nous permettre de rester dans l'attente. » Il marqua une pause et se leva de sa chaise. « Je parle sous le contrôle de notre Reine, nous devons exécuter la proposition de Lady Ashcroft. Nous ne pouvons pas envoyer l’armée, mais une équipe composée des meilleurs éléments de chaque guilde serait une solution acceptable. »

Le vote qui suivit fut sans surprise. L’assemblée suivait l’avis de la Reine. Votant la première, personne n’osait remettre en question son choix. Une fois toutes les mains levées, il restait à former la délégation qui porterait le sort d'Aerthoria sur ses épaules.

Lord Greystone conserva la parole.

« Cette mission nécessite des compétences variées, » déclara-t-il appuyé sur sa canne. « Nous aurons besoin de combattants aguerris pour affronter les menaces physiques, de scientifiques pour analyser et utiliser la Draconis que nous pourrions trouver, et de diplomates capables de négocier si nécessaire. Chacun doit être prêt à faire face aux imprévus et aux dangers de l'inconnu. »

Il se tourna vers le représentant de la guilde des artisans, un vieil homme au visage creusé par les heures passées devant ses machines.

« La guilde des artisans propose Evelyn Drosselmeyer.

— Nous vous écoutons.

— Miss Drosselmeyer est une machiniste. C’est aussi une brillante inventrice. Son expertise incomparable en machines et en technologie, ainsi que sa connaissance des mécanismes complexes et sa capacité à résoudre des problèmes techniques en feraient un atout indispensable lors de l'exploration des mines anciennes ou dans la manipulation de la Draconis.

— Guilde des marchands, c’est à vous.

— Finn Gallagher fera partie de l’expédition.

— Gallagher, dites-vous ? intervient dame Octovia.

— Oui, madame. Finn a eu quelques soucis avec la police mais il est reconnu pour ses talents de furtivité et d'infiltration. Son agilité et sa capacité à se fondre dans l'ombre en fait l'agent idéal pour une mission discrète. Il pourra recueillir des informations cruciales sans attirer l'attention.

— A vous, s’adressa le Conseiller Greystone en pointant de sa canne la guilde des alchimistes.

— Nous vous proposons notre élève Elsa Frostbane .Elle est en dixième année. Capable de créer des potions et des concoctions essentielles en cas d'urgence, elle apporterait une connaissance précieuse sur la manipulation des substances rares comme la Draconis, et ses compétences scientifiques pourraient permettre la survie du groupe.

— Accepté. »

Quand le Conseiller se tourna vers la guilde des guerriers, Alistair se proposa pour cette mission. Alistair Vane, vétéran des guerres passées et détective privé à ces heures perdues, était connu pour ses compétences en combat et en stratégie. Sa présence garantirait que le groupe serait bien protégé contre les dangers physiques, qu'ils soient humains ou non, et son sens tactique serait crucial pour naviguer dans les situations de conflit.

Il en fut de même pourLady Seraphine Ashcroft de la guilde des savants. Reconnue pour ses dons magiques et son expérience diplomatique, elle possédait la finesse et la connaissance des coutumes nécessaires pour négocier avec des entités inconnues, et ses talents magiques seraient un atout majeur pour surmonter les obstacles surnaturels.

Dame Octavia se tourna vers l’un des coursiers et l’envoya prévenir les membres de l’expédition de leur réquisition royale.

La Reine, qui jusque-là avait observé en silence, prit la parole, son regard empreint de détermination.

« Nous comptons sur vous Lady Ashcroft et monsieur Vane. Je vous fournirais un zeppelin. Je laisserais le Conseiller Greystone vous le faire préparer. J’admire votre courage. »

Avec ces mots, elle leva la séance d’un geste solennel.

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