La soirée
Athénaïs
J’avais vraiment besoin de me changer les idées. Alors quand William et Maïa m’ont envoyé une invitation pour la soirée comeback de leur groupe, j’ai accepté immédiatement. Je ne suis pas une très grande fan des foules alcoolisée qui saute au rythme de la guitare électrique, la musique est agréable mais les gens ça n’a jamais été mon truc. Pourtant j’ai ressorti mes docs du placard, pris le temps de fouiller ma chambre à la recherche d’un rouge à lèvres et j’observais à moitié convaincue l’étrange demoiselle dans la glace quand mon téléphone a vibré.
Logan : Retrouve-moi au concert, j’ai découvert un truc.
Et merde, pour penser à autre chose on repassera.
J’arrivais à la fête un peu en retard, déjà William s’agitait sur sa scène de fortune. Quelques gros caissons en bois rassemblés dans la grange qui sert de spot de soirée à tout le lycée. Maya, entonnait l’un de leurs airs les plus appréciés avec sa voix à la fois si pure et si puissance que l’on en verrait trembler les murs. Il n’en fallut pas beaucoup plus pour que tout le monde danse au rythme de sa voix. Je me rapprochais de la scène et pus apercevoir Eliott littéralement possédé derrière sa batterie. Un peu à l’écart, Logan ne jouait pas. Il avait laissé sa guitare à la maison et semblait assez préoccupé.
Je me faufilais jusqu’à lui lorsque je fus heurté par quelqu’un violemment, je n’eus pas le temps d’apercevoir son visage mais je fus frappé instantanément.
Je me suis effondrée. Encore une fois.
L’ambiance était parfaite, la musique incroyable et tout le monde semblaient l’espace d’un instant avoir oublié toutes les horreurs qui hantaient cette ville. En l’espace de quelques secondes, je suis passée du rire à la terreur, du sourire aux larmes, de la danse à la chute. J’ai perdu le peu de contrôle que j’avais conservé.
Mon cœur a ralenti d’un seul coup, la musique s’est accentuée dans mes tympans, frappant désormais aussi fort sur mille enclumes.
Je ne voyais plus rien, mais je sentais tout.
Je me suis pris de plein fouet les hurlements de joies, de la joie à l’état pur sans aucune nuance. C’était si puissant que cela m’anéantissait. Une pluie d’angoisse vint bruler ma peau telle de l’acide et je mordis violemment mes lèvres pour ne pas hurler.
J’étais consciente que tout cela se passait dans ma tête, mais la douleur était si réelle que j’avais du mal à discerner la réalité, la musique, des milliards de chuchotements qui entrait dans mon crâne. J’essayai de récupérer ma respiration, mais c’était comme si je me noyais dans un océan de sentiments qui ne m’appartenait pas.
Mes jambes finirent par me lâcher, je sentais le sol à mes genoux et le sang qui collait de mes lèvres. Ce sont les seules choses qui me permirent de rester consciente, de ne pas hurler. De ne pas devenir folle, définitivement. Bientôt, alors que j’avais la sensation d’être placée au centre de la fosse des enfers, j’entendis une voix familière.
— Athénaïs ! Athénaïs ?! Qu’est-ce qui ce passe, répond moi !
Logan. Je peinais à retrouver mes mots, je ne m’entendais qu’à peine parler.
— Fais-moi sortir, vite.
Ce jour-là je ne vis pas que j’étais assise au milieu d’une foule dansante, que la totalité de mon corps tremblait comme secouée de terreur et que mon souffle était si saccadé que je semblais mourir. Je ne vis pas non plus que Maïa avait cessé de chanter pour appeler à l’aide, ni que Logan m’avait tirée vers l’extérieure. Je ne n’entendis que leurs inquiétudes frapper mes pensées sans aucun filtre, sans aucune limite, ni pudeur.
Une fois dehors, Logan me fit assoir sur le rebord du trottoir, déjà les sons redevenaient normaux et ma vue s’éclaircissait.
— Tu te sens mieux ?
— Je pense.
— C’était quoi ça ?
— Une sorte de crise de panique, je suppose dit-je d’une voix un peu trop sourde pour être crédible.
— Tu es tombée d’un coup, comme au lycée… Qu’est-ce que tu ne me dis pas ?
Je restais silencieuse, je n’avais pas les mots. Comment expliquer quelque chose qui n’a pas de sens ? On restait ainsi, assis en silence, quelques longues minutes qui semblait des heures. Au bout d’un moment, il vit que je commençais à avoir froid dans ma petite robe de soirée et il me proposa de descendre quelques rues plus bas, son père tenait le vieux cinéma dont il avait les clés, on pourrait s’y réchauffer. J’acceptais.
Le vieux cinéma de Halsen ne porte pas son surnom par hasard, encore dans sa forme des années 1940, avec une tapisserie décrépie qui a vu plus de personnes défiler entre ces murs qu’il y a d’habitants dans cette ville. Il est surtout caractérisé par son éternelle odeur de pop corn brulés imbriqués dans les murs.
Il m’amena jusque dans la cabine du cinématographe, avec ces machines et ordinateurs, certaines d’un autre temps.
— J’ai passé des heures ici à regarder mon père lancer des séances et astiquer ces pièces tel un collectionneur de voitures.
— C’est de lui que tu tiens ta passion pour les images ?
— Peut-être, il était fasciné par les histoires qu’elles pouvaient raconter, je crois qu’à ma manière mes photos le sont aussi, plus immobiles mais plus libres d’interprétations.
Je m’asseyais sur le vieux sofa dans un coin, il me proposa un verre d’eau que j’acceptais puis je me décidais à lui raconter.
— J’aimerais bien pouvoir t’expliquer ce qu’il s’est passé tout à l’heure et au lycée, mais la réalité c’est que je n’en sais pas grand-chose.
Je continuais face à son regard interrogateur.
Depuis aussi loin que je me souvienne j’ai toujours eu comme une sorte de mur de glace entre moi et les autres. C’est comme si mes émotions, mes sensations et tout ce qui se passe dans mon cœur et ma tête n’étaient séparés du reste du monde que par une très fine couche de glace qu’un rien pourrait briser.
— Qu’est-ce qui se passe quand… elle se brise ?
— Parfois elle devient juste un peu trop fine et c’est comme si j’entendais les émotions, les sensations. Seulement les plus intenses des gens que je croise, presque comme s’ils me les chuchotaient à l’oreille. C’est désagréable et incroyablement perturbant mais j’ai toujours réussi à le supporter. Depuis quelques années par contre elle est comme devenue plus friable, cassante. Et parfois, elle se brise comme tout à l’heure. Je ne sais pas pourquoi, ni comment, mais quand ça arrive s’est physiquement douloureux, ça ressemble presque à une crise d’angoisse parce qu’il y a trop d’émotions à la fois, trop de sensations en simultané. Mon cerveau n’arrive plus vraiment à décerné qu’elles sont les miennes, c’est presque impossible d’en sortir. La seule chose que j’ai trouvée c’est le sang, son odeur et sa sensation sont si singulières que j’arrive à la distinguer de toutes les autres, si je suis les battements de mon propre cœur et me concentre sur le gout métallique du sang sur mes lèvres j’arrive à attendre que ça passe.
Logan s’était levé, il me tournait le dos face à l’ouverture qui donnait sur la salle, comme profondément perdu dans ses pensées, il faisait ce geste mécanique de caresser les cicatrices de ses mains. Au bout d’un moment, il se tournait vers moi et en se jetant à moitié sur le canapé à mes côtés il déclara :
— Je suis pote avec une X-men.
On éclata en un fou rire, stupide mais presque incontrôlable. Il avait cet art de rendre à toute situation dramatique un peu de son caractère incongru.
— J’aurais dû m’en douté, finit-il par glisser, y avait clairement un truc étrange dans ta manière de tout analysée, tout sentir venir avec autant de précisions.
— Tu trouves ça logique comme explication toi ? T’es bien le seul…
— Disons que ça me paraît aussi normal que tout le reste dans cette ville et puis j’ai toujours été persuadé que les histoires de créatures extraordinaires ne sortaient pas totalement de nulle part.
— Certes, enfin merci pour la « créature ».
— Mais de rien. Dis tu as déjà lu dans mes pensées ?
— Je lis pas dans les pensées.
— Hum… tu as très bien compris la question
— Pas volontairement…
— Ah ! Donc tu m’as analysé ! Quand ?
— La patinoire… J’ai essayé d’éviter, mais quand elles sont très intenses c’est difficile de les ignorer…
— Je vois.
On est resté là encore quelques heures à débattre des théories qui pourraient expliquer mes capacités étranges. Et après avoir passé en revue toutes les morsures possibles et mes potentielles rencontres avec un vieux sorcier, j’ai fini par m’endormir sur le sofa.
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