Réponse à "amour astronomique"
C'était le dernier quartier de la lune, cette nuit. J'ai vu F. pour la dernière fois. Il y avait un créneau, là, comme ça, une petite surprise de printemps, entre deux averses. Un crépuscule approprié, en somme, avec des lumières d'or pour adoucir les angles, et des chants d'oiseaux pour donner des faux espoirs, faire croire que tout ira bien.
F. avait le regard triste, un peu. Je crois qu'il ne va pas très bien. Il m'a attirée contre lui pour me parler du travail, de la fatigue, de l'ennui, en m'embrassant les cheveux comme s'il pouvait s'y cacher.
Il a changé, F, en un an ou deux. Lui qui avait toujours été si flamboyant, sûr de lui et incisif, on dirait un feu qui couve à peine. Il a toujours sa belle voix chaude et grave, mais plus hésitante, plus basse encore. Il ne reste que quelques formalités à régler pour son départ là-bas au bord de l'océan. Il me raconte ce qu'il espère, là-bas, et j'entends surtout l'horloge et le temps qui passe trop vite. Je lui dis d'un air faussement léger que ça ne va pas être simple pour aller le voir, après. Il me répond très doucement : « Mais c'est toujours toi qui es partie la première. » Je ne sais pas quoi répondre à ça. Quelle est la part de fuite dans nos départs ? Il y a toujours eu cette sorte de ballet orbital. Nous sommes sur deux orbites concentriques, propulsés plus ou moins en parallèle mais sans jamais arriver à nous rejoindre. Et puis entre nous il y a elle, la comète de malheur qui a empli tout son ciel à lui pour vider le mien.
Il me regarde et s'apprête à dire quelque chose, se ravise et me serre fort contre lui. Même éteint, il est toujours aussi beau. Lui qui a longtemps été le soleil autour duquel je gravitais, il est à présent en éclipse, et moi je suis satellisée, projetée hors de son orbite par un accident du destin. Je me rends compte que c'est peut-être la première fois que je regarde autant, sans être éblouie, sans baisser les yeux. J'essaye de mémoriser la carte du territoire de sa peau, la face visible et la face cachée, pour oublier et pour se souvenir, pour dire au revoir ou à bientôt, puisqu'on ne peut pas arrêter le temps et qu'il faut grandir.
Il y a des ombres dans ses yeux, la lumière frappe le haut de sa pommette et le creux de sa joue. Je décèle chez lui, pour la première fois en plus de dix ans, une fragilité que je n'avais jamais perçue. Il s'est adouci, peut-être. Il me demande à quoi je pense – je ne pense à rien, je m'imprègne d'un moment éphémère, je me concentre à graver dans ma mémoire toutes mes impressions, la ligne de son épaule, la courbe fugace d'un de ses rares sourires. Je lui dis : «A rien. Je m'applique à ne penser à rien, je suis bien, c'est tout. » Il a l'air soucieux, soudain. Je me demande s'il pense à elle, à l'avenir, au lundi matin, mais je ne dis rien. Je ne veux pas penser et je ne veux pas partir. Il dit : « Je n'y arrive pas. A penser à rien. J'aimerais bien. ». Il m'entoure de ses bras, entrecroise ses doigts aux miens. « On est incurables, non ?». Je lui souris sans répondre. On ne peut que se rendre à l'évidence sur ce point. Je ne peux pas passer à autre chose, lui, je ne sais pas. Il est comme la lune, il suit des phases. Parfois il est pleinement là, et souvent sa lumière décroît, il s'efface. Mais il reste toujours dans sa face sombre une présence solide. Quand il sera là bas à l'ouest, ce sera peut-être la zone de silence radio. Je ne sais pas, je n'ai jamais réussi à percer les mystères de son astrologie personnelle. Je me lève pour partir, alors il me serre contre lui, et me dit : « On trouvera, quand je serai là-bas, tu verras. » Peut-être que lui ne veut pas non plus passer à autre chose. Je ne sais pas. Je pars en emportant l'image de son sourire un peu triste, un petit croissant de lumière persistante.
Table des matières
En réponse au défi
amour astronomique
Comme je viens de publier un texte où je parle d'amour avec le vocabulaire des mathématiques, je me suis dit qu'il vous serait facile d'en parler avec celui de l'astronomie (les planètes, les étoiles, les galaxies... sont-elles à la hauteur de celui ou celle que vous aimez ?)
Commentaires & Discussions
Nos orbites contraires | Chapitre | 3 messages | 2 ans |
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