Août 2014 (2/3)

8 minutes de lecture

Les premiers jours, je profite du décalage horaire pour me reposer, passer du temps avec la famille, visiter tranquillement la petite ville, typiquement américaine. Ici, pas de centre ville à proprement parler, mais plusieurs “lotissements” reliés à la rue principale, rien de franchement intéressant, si ce ne sont les montagnes et forêts environnantes. Chaque jour nous partons avec Joe et Ted pour une séance de sport sur la piste d’athlétisme de la Highland Falls Intermediate School lors desquelles je constate les progrès fulgurants d’Amy. De mon côté me frotter à mon beau-père et mon beau-frère me donne une motivation supplémentaire, et je dois dire qu’en extérieur mon niveau est même légerement superieur au leur, mais j’en garde un peu sous la pédale de peur d’être mal vu.

Quand nous investissons le garage, tandis qu’ils pratiquent tous les deux la force pure sur leur presse ou avec leurs haltères, avec Amy nous enchaînons nos exercices de renforcement habituels, qui demandent plus d'endurance et de volonté que de force brute.

- Good job Sweetie! You have made great progress! (Bon travail Sweetie ! Tu as fait de sacrés progrès !)

- Did you see that! Look at those abs, it’s stone! (Tu as vu ça ! Regarde ces abdominaux, c'est de la pierre !)

- Look at your face, you look like you are constipated!!! (Regarde ta tête, on dirait que tu es constipée !!!)

- Asshole! (Trou du cul !)

- Amy!!! These words have nothing to do in your mouth!!! (Amy !!! Ces mots n'ont rien à faire dans ta bouche !!!)

- Sorry Daddy…

Je vois à son sourire qu’elle n’est en rien désolée, mais le simple fait d’entendre le ton cassant et sec employé par son père, je comprends que son éducation n’a pas été une partie de plaisir pour elle.

- I'm proud of you Sweetie, you look ready for our road trip. (Je suis fier de toi Sweetie, tu as l'air prête pour notre voyage en voiture.)

- I'm happy with the result too, and it allowed me to spend time with Daddy and Teddy, it was cool. (Je suis contente du résultat aussi, et ça m'a permis de passer du temps avec mon père et Teddy, c'était cool.)

Dès mardi, nous regagnons New-York pour y passer les quatre jours suivants en amoureux, à l’hôtel Carnegie, au cœur de l’île de Manhattan, à quelques rues de Central Park.

Lorsque nous sortons du métro en fin de matinée, j’ai besoin de quelques instants pour me remettre du choc, l’immensité des buildings, la circulation, la chaleur, la foule, tout est oppressant pour moi qui suis habitué aux grands espaces et au grand air. Amy est là, contre moi, guettant mes réactions, mi-amusée, mi-inquiète, elle sait que la foule, les centres-villes, le manque d’espace me mettent mal à l'aise, mais quitte à venir sur le nouveau continent, autant en profiter pour visiter Big Apple ou au moins une partie.

Nous passons l'après-midi au grand air finalement, Central Park restera un beau souvenir de ce séjour à Manhattan. Nous nous promenons simplement dans la partie sud du parc, main dans la main, jusqu’au MET que nous visiterons plus tard. L’impression est bizarre, nous retrouver au cœur de la nature, entouré par les buildings immenses, traverser une véritable forêt en pleine ville me rappelle Vichy, voir une rue la parcourir est très étonnant, mais au final la balade est agréable. Après un repas pris dans la chambre de l'hôtel, nous inaugurons la salle de bains avant le lit et pour la première fois je vois Amy se promener nue devant moi, elle qui avait pour habitude de toujours s’entourer d’un peignoir ou d’une serviette.

- Dis donc Sweetie, c’est quoi cette nouvelle habitude?

- C’est pas une nouvelle habitude, ça m'est déjà arrivé à une époque, même si je dois avouer que dernièrement j’étais plus très à l'aise avec mon corps, je me trouvais un peu grosse, mais avec le sport, si j’ai pas encore totalement retrouvé la ligne je me plais maintenant…

- Toi? Complexée par ton corps? Devant moi? Tu plaisantes ma chérie, j’ai jamais jugé une fille sur l'apparence physique, enfin pas sur son poids en tout cas… Et toi tu croyais qu’avec tes quelques kilos de “trop”, j’allais te juger?

- Non je sais que tu juges pas les gens là-dessus, mais moi ça me gênait…

- Sweetie, you really don't have to be complexed by your body, you're a beautiful girl, you're nice, funny, and American, damn it's the dream for any guy!!! (Sweetie, tu n'as vraiment pas à être complexée par ton corps, tu es une très belle fille, tu es gentille, drôle, et américaine, putain c'est le rêve pour n'importe quel mec !!!)

- You love American girls? (Tu aimes les Américaines ?)

- Not exactly, I love MY Américan girl!!! (Pas tout à fait, j'aime MON Américaine !!!)

- And I love MY French guy so much!!! (Et j'aime tellement MON Français !!!)

- Alors arrête d'être complexée par tes rondeurs imaginaires!

- Okay Sweet love.

Le mercredi nous consacrons notre journée aux visites des grands monuments historiques en commençant aux aurores par Liberty Island, son musée et la Statue de la Liberté, avant de retrouver la terre ferme et Ground Zero, le Mémorial du 11 Septembre.

Ici, je ressens encore une grande émotion. J’avais six ans lorsque le drame s’est produit et je suis resté des heures devant la télévision à essayer de comprendre ce qu’il se passait, les causes de l’attaque, comment on pouvait avoir l’idée d’assassiner autant d’innocents pour des questions politico-religieuses et avec le temps je suis resté très marqué par cet attentat. Alors me retrouver ici, à l'endroit même où s'élevaient ces deux tours, à l'endroit même où des milliers de personnes se sont retrouvées prises au piège et ont perdu la vie, me trouble profondément. Amy y a perdu une tante et une cousine et le silence respectueux qui s’établit entre nous, alors que nous parcourons la liste des victimes des yeux, elle blottie au creux de mes bras, est très parlant. Lorsqu’elle se détache de moi pour aller caresser les deux noms gravés dans le métal, je ne peux que la suivre et l’imiter avant d’essuyer ses larmes et de l’embrasser…

- You know, we always wonder why they were there that day, Auntie Kate didn't have to work, to keep Jessie at home. Franck, my uncle, didn't know they were here. He was in Florida for work, and wasn't due back until the following weekend. When he learned of the drama, he didn't worry, thinking that they were at home, but when in the evening he listened to his wife's message on the phone... She saw death coming, she knew that they were going to die and that Franck was going to find himself alone because of her... That she had, somehow, killed her own daughter... Can you imagine? (Tu sais, on se demande toujours pourquoi elles étaient là ce jour-là, Tante Kate ne devait pas travailler, pour garder Jessie à la maison. Franck, mon oncle, ne savait pas qu'elles étaient là. Il était en Floride pour le boulot, et ne devait rentrer que le weekend suivant. Quand il a appris le drame, il ne s'est pas inquiété, pensant qu'elles étaient à la maison, mais lorsque le soir il a écouté le message de sa femme sur son téléphone... Elle a vu la mort venir, elle savait qu'elles allaient mourir et qu’à cause d'elle Franck allait se retrouver seul... Qu'elle avait en quelque sorte tué sa propre fille... T'imagine?)

- No, I can’t… It's really too awful… Don’t move Sweetie, I’m coming back. (Non, je ne peux pas... C'est vraiment trop affreux... Ne bouge pas Sweetie, je reviens. )

Je me rends auprès d’un vendeur de fleurs ambulant, à quelques mètres, achète deux roses blanches et je retourne les lui donner.

- What are you doing?

- For them…

- Justin… Don’t feel like you have to…

- I don’t… It’s for all of them… Too bad, we don't have candles…

- Thanks…

Elle m'entraîne ensuite dans le musée, où sont exposés les vestiges de ces attentats, des objets personnels des victimes et des équipes d’intervention, des morceaux des tours, des pieces des véhicules de secours et des avions, nous découvrons aussi les portraits des victimes au milieu desquels elle me désigne ceux des deux membres de sa famille. L’endroit est très émouvant et je dois dire que l’émotion m’étreint à chaque nouvelle découverte tandis qu’Amy, plus habituée à cette visite, conserve simplement un silence solennel qui ne cache pourtant pas sa tristesse.

La soirée est morose, je suis encore profondement secoué par cet après midi, choqué par l’histoire de sa tante et de sa nièce, je touche à peine à mon repas avant de sombrer dans un sommeil cauchemardesque, hanté par les souvenirs de mon propre passé.

Le jeudi, la journée est pluvieuse et nous en profitons pour visiter le MET, parcourir les salles d’exposition sur l’Egypte, la Grèce, Rome. Je suis tellement hypnotisé par les nombreuses œuvres d’art qui les ornent, que j’en arrive à oublier la faim et surtout le choc de la veille, si ce n’est pas Amy qui relève l’heure, je crois que j’aurais sauté le repas de midi.

Après avoir avalé un sandwich et une bière sur la terrasse nous terminons notre visite par la partie consacrée aux arts européens, orientaux et asiatiques, nous zappons les expositions d’art contemporain pour terminer par celle consacrée aux instruments de musique, dans laquelle je traîne plus que de raison. Je suis fier de croiser tout au long de la journée des œuvres d’artistes français comme Manet, Cézanne et Van Gogh et plus généralement Européens, comme Le Caravage, Rembrandt…

Lorsque nous sortons, il est largement l’heure de retourner à l'hôtel et je n’ai pas vu passer notre journée.

Notre dernière journée sur place est consacrée au sport avec la visite du Madison Square Garden, antre du basket avec les Knicks et du hockey avec les Rangers. Pouvoir entrer dans les vestiaires qui ont vu passer tant d’immenses stars, m’asseoir sur les bancs où Patrick Ewing et Carmelo Anthony entre autres ont posé leur fesses, fouler le parquet de cette salle mythique qui a vu jouer les plus grands est un magnifique cadeau.

Nous enchaînons avec le MetLife Stadium, le stade de football qui héberge les Giants, pour terminer par une soirée baseball dans le mythique Yankee Stadium, plein à craquer pour soutenir les non moins mythiques Yankees. L’ambiance est volcanique, surréaliste, et le spectacle se déroule aussi bien dans les tribunes que sur le terrain, même si j’ai un peu de difficultés à comprendre les règles.

Après toutes ces émotions, toute cette immensité, toute cette foule, je suis heureux de retrouver la petite ville de Highland Falls et la grande famille le lendemain, mais tout de même satisfait de ce séjour.

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