Novembre 2015 (2/2)
Il est à peine vingt et une heure, je gare ma voiture dans une ruelle toute proche et file vers le bar, je n’aime pas être en retard à un rendez-vous et je suis tellement impatient de faire plus ample connaissance avec la demoiselle que je ne tenais plus en place.
La chance me sourit ce soir, le bar est bondé mais ma table est libre et la miss me trouvera plus facilement. Finalement elle est en avance elle aussi et lorsque je l’aperçois je m’empresse de me lever pour l’accueillir.
- Bonsoir mademoiselle…
- Appelez-moi Gabrielle, ou Gaby si vous préférez.
- Justin. Enchanté.
Je lui tends la main, elle l’esquive et vient m’embrasser sur les joues d’un geste familier.
- Enchantée.
- On pourrait se tutoyer ?
- Je t’en prie.
J’en profite pour la détailler plus précisément, elle porte la même robe noire que le soir précédent, le même châle rouge jeté nonchalamment sur les épaules, ses cheveux noirs noués en une longue tresse sont le seul changement notable que je remarque.
Après nous être installés face à face, j’appelle le serveur et passe commande, un whisky sur glace pour moi, la demoiselle se contente d’un jus d’abricot.
En attendant nos boissons, je décide d’y aller franco.
- Alors, qu’est ce qui t’as décidé à me recontacter ?
- Je sais pas trop, ton regard franc et sincère, mais un peu triste, ta façon assez spéciale de m’aborder, sur le coup ça m’a vraiment mise mal à l’aise, puis j’y ai réfléchi et je me suis dit que je pouvais entrer dans ton jeu, j’ai trouvé ça assez mystérieux, amusant aussi, j’avais besoin de savoir… Et toi, pourquoi cette drôle de façon de m’aborder ?
- J’étais pas au top et je voulais pas passer la soirée seul. Quand je t’ai vu passer devant moi, j’ai pas pu te quitter du regard et quand j’ai vu tes yeux embués de larmes, j’ai juste eu envie que tu viennes t’asseoir avec moi pour essayer de te consoler…
- Bien sûr…
Je sens une pointe de regrets dans son regard…
- Tu me prenais pour un mec qui cherchais juste l’aventure d’un soir et qui se barre au petit matin sans donner de nouvelles ?
- C’est pas si rare ici…
- Je sais… Et pour être franc, c’est plutôt dans mes habitudes en général, mais pas avec les jeunes filles tristes, je suis pas du genre à tirer sur l’ambulance et je sais pas si c’est ta façon de me regarder, en tout cas ça m’a calmé.
- Si j’avais su…
Je suis sur le point de répondre lorsque le serveur arrive avec notre commande. Nous trinquons à cette rencontre, les yeux dans les yeux. La première gorgée me fait un bien fou, et j’en profite pour jeter un œil du côté de Gaby qui essaye de se débarrasser de ses glaçons.
- Dis-moi, est ce que je peux connaitre la raison de ces larmes ?
- Disons que j’avais un rendez-vous, qui s’est transformé en tête à tête avec le comptoir…
- Il sait pas ce qu’il a raté…
- Elle…
- Elle ?
- C’est… Compliqué…
- Explique-moi.
- C’est un peu intime pour des gens qui viennent juste de faire connaissance, disons simplement que j’expérimente…
- Pas de soucis, faisons simplement connaissance. Tu fais quoi de ta vie ?
- Pour l’instant, première année de licence STAPS…
- Sportive ?
- Assez oui, mais je m’oriente vers des études de kiné l’année prochaine. Et toi ?
- Sportif aussi, beaucoup de course à pied, du vélo et de la muscu aussi, mais pas de salle, je préfère le grand air et la solitude. Je suis en première année de master MEEF à l'ESPE…
- Prof? Je dirais… Histoire ou Anglais…
- Plutôt instit…
- La tête et les jambes si je comprends bien?
- Exactement. A t’entendre t’es pas du coin à la base ?
- Effectivement, j’en pouvais plus de la vie parisienne, j’avais besoin de soleil, de chaleur…
Je sens tout de même chez elle du regret, de la tristesse…
- Et ?
- Et quoi ?
- C’est pas une raison suffisante pour tout plaquer et changer de région au beau milieu de ses études…
- Bon OK, j’ai rencontré un mec à Paris, il était du coin et je l’ai suivi… Arrivée ici, je me suis rendu compte qu’il sautait tout ce qu’il pouvait, qu’il s’en foutait de moi… Mais c’était trop tard pour faire marche arrière… Depuis je me méfie beaucoup plus des gens que je rencontre, je garde une certaine distance et j’essaye de prendre mon temps…
Nous avons continué à faire connaissance, dégustant nos boissons lentement, puis, après un second verre, je l’ai gentiment raccompagnée chez elle. Elle n’habitait qu’à quelques rues de là, dans un petit immeuble assez coquet.
- Merci pour la soirée Justin, ça m’a fait du bien, j’ai vraiment besoin de rencontrer de nouvelles personnes.
- Merci à toi d’avoir accepté l’invitation, j’ai passé un très bon moment.
- Tu veux monter boire quelque chose ?
- Pas ce soir Gaby… Passe une bonne nuit… On remet ça rapidement.
- Avec plaisir.
Au moment de nous quitter, sa bouche s’est approchée de la mienne, j’ai tout juste tourné la tête, pour que ses lèvres s’écrasent au coin des miennes et j’ai à peine répondu à son baiser, même si la douceur de son geste incitait à plus de fougue.
- Ok, j’ai compris …
- Non t’as pas compris…
- Si… T’avais juste envie de me sauter, t’as compris que je céderai pas, pas ce soir en tout cas et maintenant t’es pressé de passer à une autre…
- Non… Pas du tout…
- Justin… Je suis pas une poupée qu’on prend et qu’on jette quand on a passé un bon moment… Je me rends compte que la situation m’échappe, mais je ne veux pas perdre une si belle occasion et je ne prends qu’une fraction de seconde pour décider de changer mes plans.
- Gabrielle… T’as du temps à perdre? Ton invitation pour monter boire un verre tient toujours?
- Disons qu'à part aller me coucher, j’avais pas prévu grand-chose alors…
- Je voulais prendre le temps qu’on se connaisse un peu mieux avant d’en arriver là… Mais si je te raconte pas mon histoire maintenant, je suis pas sûr que tu m’en laisse une autre occasion…
Nous montons dans son petit appartement, il me fait penser au studio que j’occupais en Avignon, en un peu plus grand, avec une vraie chambre. Nous nous installons sur son canapé, devant un grand verre de jus de fruits et je lui raconte mon histoire, depuis ma rencontre avec Caro jusqu’à ce soir…
- Je comprends mieux ta réaction…
- Ça nous fait des points communs…
- Presque, je me suis vautrée qu’une seule fois, moi.
Elle me lance ça avec tellement d'aplomb et un si joli sourire que je n’arrive même pas à me vexer.
- C’est un coup bas, ça… Mais je vais pas t’en tenir rigueur…
- Désolée, c’était tentant.
Comme pour se faire pardonner, elle se rapproche de moi et prend ma main en plongeant son regard dans le mien.
- Justin… Merci.
- Pourquoi?
- Ce moment… Je veux dire, je suis pas du genre à proposer à un mec ou une fille, de monter chez moi comme ça, le premier soir, même pour un verre de jus de fruits, mais avec toi, ça me paraît déjà tellement naturel. Comme si on se connaissait depuis longtemps.
- Gaby, je me suis promis de prendre mon temps, je veux pas me précipiter avec toi, je veux déjà voir si tu vas me manquer, demain et les jours d’après. Merci pour cette soirée, j’ai passé un très bon moment.
- Tu t’en vas déjà? Tu veux pas rester encore un peu?
- Ecoute… Je veux pas brusquer les choses, j’ai besoin de temps, monter ici, c’est déjà plus que ce que je voulais m’autoriser ce soir, avec toi. Si ça te pose un problème, si ça te dérange, on s'arrête là, même si j’aurai des regrets.
- Rester encore un peu, ça veut pas dire coucher ensemble. J’ai juste envie de passer encore un peu de temps avec toi.
- Je peux te proposer autre chose, on termine la soirée maintenant et demain on passe la journée ensemble. Disons dix heures, à côté de la fontaine de la Rotonde, en tenue de randonnée si t’en as une, ou une tenue de sport pour marcher un peu, je t'emmène découvrir la forêt de cèdres du Luberon et je m’occupe du picnic.
- C’est où?
- Pas très loin d’ici, tu verras c’est vraiment agréable comme coin pour ballader au calme…
- Volontier.
- A demain Gaby.
- A demain Justin.
Je viens frôler ses lèvres d’un doux baiser, tandis que ses mains prennent les miennes. Je me plonge une dernière fois dans ses yeux, m'imprègne de leur profondeur et la quitte, un peu à regrets tout de même.
Le lendemain nous nous retrouvons à l'heure convenue et je découvre une Gabrielle totalement différente des deux soirées au bar, en tenue décontractée: chaussures et pantalon de randonnée, qui moule joliment ses fesses musclées, sweat à capuche, casquette et queue de cheval. Après un court, mais tendre, baiser au coin des lèvres, elle balance son sac à dos dans le coffre et s’installe à mes côtés. Tout au long de la route, je ne peux m'empêcher de lui parler de mes Cévennes natales, de Lézan et des souvenirs que j’ai là-bas. Elle m’explique ses relations ambivalentes, sa préférence pour les mecs, mais le plaisir qu’elle peut trouver en couchant avec une fille.
Lorsque nous posons le pied sur le parking, l’odeur enivrante des résineux nous envahit, lors de ma première visite ici, j’ai aimé cet endroit, calme, reposant, apaisant. L’immensité des arbres fait ressentir un sentiment d’humilité et à chacune de mes visites régulières, je suis reparti avec une petit morceau de branche ou d’écorce que je laisse sur une étagère, diffuser son parfum dans la maison.
La compagnie de Gaby est très agréable, les discussions vont bon train, parfois sa main vient prendre la mienne, sa tête se pose sur mon épaule quelques secondes et je devine son sourire du coin de l'œil. La fin de balade, pluvieuse, ne fait pas d’ombre à cette journée sympathique et agréable à ses côtés.
Les jours, les semaines qui suivent, nous nous retrouvons pour passer quelques heures ensemble, en pleine nature pour nous balader ou courir, chez elle ou chez moi pour un repas ou une soirée, à la B-E devant un verre, nous apprenons à nous connaître, petit à petit.
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