Avril 2017
- Justin, sois réaliste… Tu vas faire quoi après? Rester dans le coin et t’enfermer en ville ou chercher un poste à la campagne?
- C’est sûr que la campagne ça me tente, ici j’y suis un peu, mais y’a pas que moi dans l’équation…
- J’en ai pour trois ans à Marseille encore, j’y ai pris mes marques et j’ai pas l'intention de changer d’école. Tu crois pouvoir vivre là-bas avec moi? Ou vivre une nouvelle relation à distance?
- Pas à Marseille même non, mais si tu veux t’en rapprocher, y’a plein de villages aux alentours où on serait bien. Ou si on peut se voir tous les week-ends pourquoi pas… Et une soirée de temps en temps, je bosse que quatre jours par semaine maintenant…
- Ne te voile pas la face… Tu connais déjà les difficultés d’une relation à distance, tu l’as vécu et tu t’es planté… T’es pas fait pour ça…
- C’est différent entre nous, Clems, on se voyait pas pendant plusieurs semaines, parfois presque deux mois.
- Non, Juss, t’as besoin de quelqu’un qui soit présent, disponible, ça va te faire souffrir encore une fois, je veux pas que ce soit à cause de moi. Et je veux pas être malheureuse surtout…
- Si on se sépare, on le sera forcément…
- Pendant quelques temps oui, mais ça passera et quand je vois l’amitié que tu as su faire perdurer avec Clémence et Amy, je me dis que…
- Non, pas cette fois… Avec Clémence, notre amitié est si puissante que rien ne pourra jamais y mettre un terme, elle existait bien avant qu’on sorte ensemble et notre séparation, c’était concerté et accepté. Amy, on a pas eu le choix, si elle était restée en France il en aurait été autrement, crois-moi… Mais toi tu décides de me quitter, comme ça, sans prévenir, sans qu’on en ait discuté calmement, qu’on ai essayé de trouver un compromis… Comme tu l’as fait avec tes parents.
- Justin… Je… Non… M’en veux pas…
- Trop tard… Maintenant, tu prends tes affaires et tu dégages… T’as fait ton choix, t’as pris ta décision… Merci et au revoir… Je te laisse deux heures…
Je quitte calmement la maison, monte dans ma voiture et prends la route. Après quelques kilomètres, je me gare près de l'aqueduc de Roquefavour, enfile mon short, mes baskets et file au pas de course sur le chemin qui rejoint le bois autour du canal de Marseille. Porté par le rythme de la musique dans mes oreilles je prends une cadence élevée, je laisse mon regard se porter à une dizaine de mètres devant moi, le léger mistral sèche mes larmes avant qu’elles ne puissent atteindre mon cou.
Je m’attendais à cette issue depuis quelques semaines déjà, j’avais senti que les trajets jusqu'à Marseille commençaient à la lasser, le sujet revenait régulièrement dans nos discussions lorsqu'elle rentrait épuisée le soir. Petit à petit, j’ai pris le parti de laisser le moment fatidique arriver, avec résignation, gardant l’espoir de trouver une solution, j’étais prêt à faire des efforts, des concessions mais elle ne nous a même pas laissé le temps d’en discuter calmement.
Une fois arrivé au milieu des bois, je laisse éclater ma rage, hurle à m'en faire péter les cordes vocales, laissant les larmes me laver de toute cette colère, tout en continuant à lancer une jambe devant l’autre..
Fini d'intérioriser, fini les pleurnicheries, j’évacue les mauvaises ondes une bonne fois pour toutes et ce sera terminé, je passe à autre chose.
Enfin je sens les larmes se tarir, le calme revenir et la sérénité reprendre le contrôle. Je coupe ma course pour prendre le temps de respirer l’air qui embaume déjà les premières effluves de pin et de plantes aromatiques de Provence. Je ferme les yeux pour venir chercher au fond de mon esprit les dernières miettes de colère et les expulser d’un cri puissant, finissant d’appliquer ainsi tous les conseils reçus de Julie et ses confrères.
Lorsque je regagne enfin ma voiture, je suis exténué, tant par les efforts physiques que par ceux faits pour évacuer la colère, mon téléphone est saturé de messages et d’appels de toutes parts. N’ayant plus la force de répondre à chacun, je rédige un message rapide que j’envoie à tous: “ Je vais bien, j’ai juste besoin d'être tranquille. Merci”
Lorsque je rentre chez moi, la maison est déserte, silencieuse, presque vide, et une modeste feuille de papier est posée sur la table:
Justin,
je pensais pas que nous deux ça finirait comme ça, je voulais pas… Je veux pas…
Tu as été le premier à qui j'ai pu vraiment faire confiance depuis que je suis ici et qui a su me redonner confiance en moi.
Mais je suis fatiguée, les cours, les trajets, les devoirs, je gère mais le prix à payer est trop élevé pour moi. J’arrive même plus à apprécier les moments qu’on passe ensemble, ces nuits torrides avec toi, ces heures de calme dans la nature, nos entraînements…
J’ai passé de très bons moments en ta compagnie, depuis ce premier soir, depuis ce petit papier que tu as glissé sous mon verre et que je conserve précieusement, jusqu’à ce matin.
Mais je suis malheureuse parce que je sais que je vais te faire souffrir, quoi qu’il arrive….
Merci pour tous ces bons moments.
Donne moi de tes nouvelles à l'occasion.
A un de ces jours peut-être. (Je l’espère du fond du coeur)
Gaby.
Non… J’ai assez souffert, j’ai perdu suffisamment de temps, gaspillé trop d'énergie pour me reconstruire à chaque fois. Elle a fait son choix, j’ai fait le mien…
Après un long bain qui termine de me détendre, je m'installe sur ma terrasse, allume une cigarette pour accompagner un verre de bourbon, lance un fond de musique et je prends le temps de me projeter dans l’avenir. Il me reste trois mois pour valider mon Master, si je suis les règles, je dois rester encore au moins un an dans l’académie avant de demander une mutation qui ne sera pas forcément acceptée, mais je tenterai le coup quoi qu’il arrive.
“ Frérot, t’es sur que tout va bien?”
“ Mais oui soeurette, merci… Je suis juste blasé et je sais gérer maintenant…Regarde.”
Je joins à mon message une photo du bon moment que je suis en train de m’offrir.
“ C’est bon je suis rassurée… Appelle-moi si tu as besoin… Je suis en récup jusqu’à Mercredi”
“ Merci… Je prends note… Profites-en pour bien te reposer.”
“Hi Justin. Caro just told me the bad news... I'm sorry for you, and also sad not to be able to comfort you. I hope it's not too hard. Call me if you need. Sweet kisses. Amy Sweetie.”
"Bonjour Justin. Caro vient de m'annoncer la mauvaise nouvelle... Je suis désolée pour toi, et aussi triste de ne pas pouvoir te réconforter. J'espère que ce n'est pas trop dur. Appelle-moi si tu as besoin. Je t'embrasse tendrement. Amy Sweetie."
“Dearest Amy, I am already comforted by your message. Thanks for checking in and worrying about me, but I'm fine. I was expecting this breakup, it was written... I kiss you very much. Justin.”
"Très chère Amy, je suis déjà réconforté par ton message. Merci d'avoir pris de mes nouvelles et de t'être inquiétée pour moi, mais je vais bien. Je m'attendais à cette rupture, c'était écrit... Je t'embrasse très fort. Justin."
Le lendemain est gris et j’en profite pour réaménager un peu mon intérieur, réinvestir mes placards, trier mes fringues et faire un grand ménage de printemps. Je remet aussi à sa place le cadre avec les photos de Clémence et Amy, bien en évidence sur le buffet.
Je les aime tellement ces photos, quand je les vois, je repense à ces moments d'insouciance, à ces années d’amitié indéfectible malgré les épreuves, la distance, nos partenaires.
Il y a les amis et il y a la famille, puis il y a les amis qui deviennent la famille… Cette phrase n’a jamais été aussi vraie que pour Clems et moi, à chaque fois que j’y repense, je me dis que j’ai une chance infinie de l’avoir à mes côtés. Au fond de moi j’aimerai qu’elle soit beaucoup plus que cette amie, que ma sœur, qu'elle redevienne celle qui m'a redonné le goût des sentiments, la confiance nécessaire.
J’en suis là de mon errance intérieure lorsque Julie vient aux nouvelles.
- Salut Julie.
- Salut Justin, tout va bien?
- A part la météo, oui…
- T’es sur? J’ai vu Gaby partir hier, elle avait pas l’air bien…
- Elle a fait son choix…
- C'est-à-dire?
- En gros, soit je décidais de déménager avec elle plus près de Marseille, le plus tôt possible, soit… On a rompu…
- Je suis désolée pour toi… C’est triste…
- Non… C’est rien qu’un nouvel échec, mais j'y étais préparé cette fois. Puis… J’ai appliqué certains conseils avisés et ça marche plutôt bien.
- Je vois ça… Tu réinvestis ton espace?
- Oui… Tu veux boire quelque chose?
- Un petit café en terrasse?
- Installe-toi j’arrive…
- Merci.
Le temps de faire couler un café pour mon invitée, une tasse d'eau chaude et un sachet de thé pour moi, de poser quelques biscuits dans une assiette et je la rejoins à l'extérieur.
- T’es sur que ça vas Juss?
- Mais oui… Juste encore un peu en colère, je sais même pas contre qui, c’est dire…
- Blasé?
- Et blindé…
- Bon… Si t’as un souci, n'hésite pas, tu passes?
- Mais oui… Pour le moment, j’ai juste besoin de me poser, de faire le point et de me défouler.
- Si tu bouges, tu me dis au moins où tu vas, au cas où il t’arrive un souci?
- Bien sûr. Je pense que je vais monter vers la Sainte-Victoire cet après-midi, c’est pas encore envahi de touristes et j’ai besoin d’une bouffée d'air parfumé.
- Je comprends.
Nous sautons du coq à l'âne, la discussion s’oriente vers mes études, puis Lézan, elle me demande des nouvelles de ses amis, que je croise à l'occasion de mes visites. Elle me quitte une heure plus tard, j’enfile un pantalon, ma paire de chaussures de randonnée et file arpenter les pentes caillouteuses du sommet symbolique de la Provence.
Avec la présence de Caroline et Claire, que je retrouve régulièrement le samedi pour nos séances de révision, ma séparation deviendrait presque facile à vivre si ce n’était ce sentiment de solitude lorsque je me retrouve chez moi le soir, elles sont tellement aux petits soins pour moi que ça en devient bizarre parfois. Comme ces petits mots qu’elles laissent traîner sur ma table.
Mon Juju.
Tu n'es pas faible, tu es peut-être à genoux, tu es peut-être tombé, mais tu es fort, tu t'es battu, tu as gagné de nombreuses fois, tu as tenu bon face à la vie, face aux peines, tu n'es pas faible et tu te relèveras.
Tu n'es pas invisible non plus, tu te sens peut-être délaissé, tu as peut-être l'impression que personne ne te remarque, mais tu existes, tu as compté et tu compteras, on t'a aimé et on t'aimera; tu as le droit d'aller mal, ce n'est pas honteux ni ridicule, tu as le droit de pleurer, de dire que tu es triste, ce n'est pas une marque de faiblesse, tu as le droit d'avoir envie de tout casser parce que toi aussi, tu es tout cassé.
Mais je voulais surtout te dire que tu es une belle personne, que ça ira mieux, qu'il ne faut pas perdre espoir, ce n'est pas trop tard, et puis, que je te comprends mais tu dois croire en toi; souviens-toi : tu es beau.
Une putain d'étoile.
Clairette
Quelquefois, il leur arrive de rester pour la nuit, nous partageons un verre au centre ville, puis partageons les quelques couchages de ma maisonnette, même si bien souvent, je passe mes nuits sur un transat sous les étoiles.
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