Septembre 2017
- Justin? Tu vas bien?
- Oui Leïla, ne t’inquiètes pas, juste une petite absence.
- T’es sur? T’es vraiment pâle tout d’un coup.
- Un coup de stress, mais ça va passer.
- Bonjour. Excusez-moi pour mon retard mais ma maman n'a pas réussi à se garer assez près alors on a dû marcher un peu.
- Bonjour Clara, c’est pas bien grave, ce sont des choses qui arrivent, tu peux aller t'installer. Il te reste une place. Les enfants, maintenant que nous sommes au complet, je vais me présenter et vous en ferez autant, même si, pour les plus grands, nous nous connaissons déjà. Je m'appelle Justin Fabre, je viens de Lézan, un petit village du Gard, c’est ma première année en tant qu’instituteur et je suis content de la passer avec vous.
- Moi c’est Leïla, vous me connaissez presque tous, je suis là pour aider Justin, surtout avec les grandes sections.
Chacun de ceux qui le souhaitent se présentent, certains en donnant tout juste leur prénom, alors que d’autres sont beaucoup plus bavards.
- Clara tu veux essayer?
- Oui… Bonjour, je m’appelle Clara Fournier, je viens d’arriver à Aix avec ma maman, avant j’habitais en Auvergne, à côté de Vichy, à la campagne.
Malgré le nouvel uppercut qui vient de s’écraser sur ma mâchoire, confirmant mes premières impressions, j’essaie de garder une certaine contenance. En la voyant entrer dans la classe, la grande ressemblance avec une certaine Caroline Fournier m’avait sauté aux yeux, mais je me disais que c'était un tour joué par mon cerveau. Elle aurait aussi pu être simplement la fille d’Alex, mais en entendant son nom de famille, sa façon de parler, en voyant comment elle se tient, plus aucun doute n’est possible.
- Très bien les enfants, aujourd’hui, pour commencer l’année, on va organiser quelques petits jeux tous ensemble, pour faire un peu mieux connaissance. Je vous demande simplement de les partager avec les quelques nouveaux.
La journée est assez bizarre, je suis très heureux de voir ces enfants jouer ensemble, se mélanger, petits et grands, garçons et filles, pourtant, à chaque fois que je pose mon regard sur Clara, un drôle de sentiment s’empare de moi. Elle ressemble vraiment à celle que j’ai connu, il y a quelques années, à celle que j’ai aimé, mais avec un petit quelque chose de différent qui me perturbe, sans que je ne sache pourquoi.
- Coucou mon amour! Alors, cette première journée?
- Je suis crevé… Mais content, ça s’est bien passé, ils ont été adorables. On a passé la journée à jouer ensemble, pour qu’ils créent des liens entre eux.
- C’est cool.
- Je vais me changer et on va courir un peu? J’ai besoin d’air…
- Avec plaisir, la journée a été longue, j’ai essayé de m'occuper mais tu m’as rien laissé à faire.
- Désolé, j’aime pas le bazar et la saleté…
Je choisis de rester silencieux, pour le moment, au sujet de Clara, tant que mes doutes ne sont pas confirmés. Je revois le visage de la petite fille, je revois le visage de Caro, je repense à notre histoire, à ce qu’il s’est passé ensuite.
Je raconte ma journée à Clémence sans même m’en rendre compte, perdu dans mon passé, dans mes pensées, me posant tout un tas de questions sur ce qui a bien pu se passer dans la vie de Caroline depuis six ans.
- Mon coeur? Justin? T’es sur que ça va?
- Ouais…
- Alors?
- Alors quoi?
- Ce weekend, tu veux remonter au bled?
- Pourquoi pas… On verra comment se passe la semaine… Mais je pense que ça nous fera du bien.
- Ok. On rentre?
- Si tu veux…
- Il se passe quoi?
- Rien je t’ai dit… Juste de la fatigue…
- Me dit pas “rien”… Je te connais…
- J’ai pas envie d’en parler. Ça te va?
- Non… Mais je comprends…
Les jours suivants, à chaque fois que je vois la petite fille, le visage de Caro se superpose au sien, comme une hallucination permanente. Impossible de voir qui l'amène le matin, ou vient la chercher, puisqu’elle arrive de la garderie périscolaire et y retourne le soir.
Ce qui me chagrine le plus, c’est de voir cette si jolie petite fille rester très souvent seule dans son coin, gardant toujours une certaine distance avec ses camarades, même lorsqu'elles viennent lui proposer de venir jouer avec elles.
C’est pour cette raison qu’au bout de quelques jours, je décide d’outrepasser ce rôle d’instituteur et d’essayer de discuter avec elle de la situation.
- Dis moi Clara, il y a un problème avec tes camarades?
- Non. Pourquoi?
- C’est quand même dommage de rester toute seule dans ton coin. Pourquoi tu ne vas pas jouer avec les autres enfants?
- Tu sais, c’est pas vraiment mes copains eux, mes copains ils sont en Auvergne…
- Et tu veux pas t’en faire de nouveaux ici?
- Non, après je serais encore triste quand je vais devoir repartir ailleurs…
- Pourquoi? Tu dois déjà repartir?
- Non… Je sais pas…
- D’accord. Clara, fais-moi plaisir, essaye d’aller jouer un peu avec tes camarades, tu verras, je suis sur que tu te fera de nouvelles copines.
- D’accord…
- Allez, file…
Lorsque je rejoins mes collègues, leurs regards me semblent… Curieux et surpris…
- Tout va bien Justin?
- Oui, elle a juste un peu de mal à s'intégrer… Je pense que le déménagement, le départ de son ancienne école, ça a été compliqué pour elle…
- Ca fait partie du boulot, mais c’est bien de t’en être rendu compte rapidement et de lui en avoir parlé.
- Je sais pas pourquoi, mais je me sens proche d’elle. J’ai l’impression que sa mère a une vie compliquée et son papa… Elle n’en parle jamais… Bernard, vous avez déjà vu ses parents?
- Non, tout a été fait par courrier et par mail, je n’ai de traces que de sa mère, si je me souviens bien.
- D’accord… Je peux vous laisser quelques minutes, j’ai un coup de fil à passer?
- Oui vas-y, mais ne traine pas trop.
Depuis quelques jours, une idée me trottait dans la tête, une seule personne pouvait être au courant, avoir quelques nouvelles de Caroline.
Comme je pouvais m’y attendre, la sonnerie retentit dans le vide et le message sur le répondeur ne me donne pas le nom de la personne à qui il appartient aujourd’hui. Je décide tout de même de tenter ma chance par message.
“ Salut Ingrid, j’espère que tu n'as pas changé de numéro. C’est Justin, je sais pas si tu te souviens de moi. Est-ce que tu peux me rappeler s’il te plait.”
S'en suit un échange de messages écrits.
“ JUSTIN??? C’est pas vrai!!! Bien sur que je me souviens… J’ai toujours gardé ton numéro dans mon répertoire, au cas ou…. Il se passe quoi?”
“ J’aurai quelques questions à te poser à propos de Caroline. Merci.”
“ Je vois… Je suis au boulot là… Ce soir?”
“ Je finis la classe à 16h30…”
“ OK je t’appelle juste après…”
“ Ma puce, j’aurai un peu de retard ce soir, je t’expliquerai. Ne viens pas me chercher, je prendrai le bus.”
“ Pas de soucis, merci de me prévenir. Rien de grave j’espère.”
“ Non, juste un petit contretemps. Je t’aime.”
“ Je t’aime.”
La suite de la journée est d’une longueur insupportable, j’ai du mal à me concentrer sur mon cours et je dois même corriger plusieurs fois quelques erreurs au tableau. Heureusement que mes élèves sont là pour me le faire remarquer en riant.
Finalement, je trouve que c’est une bonne technique d’apprentissage aussi, ça me permet de vérifier leurs acquis et de cibler certaines difficultés.
- Allo?
- Justin?
- Ingrid! Je suis content de t’entendre. Ça fait un bout!
- Cinq ans à peu près. Tu deviens quoi alors?
- Instit à Aix en Provence. Et toi?
- Je travaille sur Lyon, chercheuse au CNRS, en géologie. Mais toi, instit!!! J’y crois pas…
- Et si!!! Écoute, je ne vais pas faire dans le détail. Est-ce que tu as eu des nouvelles de Caroline ces derniers temps?
- Indirectement… Oui… Je sais que ses parents en avaient plus ou moins. Elle va bien, enfin à ce qu’on m’a dit. Mais elle n’a jamais remis les pieds à Alès. Même si j’ai essayé de reprendre contact avec elle, j’ai jamais eu aucun retour. Elle a sûrement changé de numéro… Pas comme nous… Mais pourquoi cette question?
- Pour être franc, j’ai des doutes sur une de mes nouvelles élèves, déjà elle porte le même nom de famille et physiquement c’est presque son portrait craché… Alors sur le coup je me suis dit que ça pouvait être la fille d’Alex, mais elle ne parle que de sa mère… J’ai pas encore fouillé dans son dossier, je voudrais pas paraître trop curieux auprès de mon directeur et j’ai peur de ce que je vais découvrir…
- Ok… Je vois le problème…Ecoute, j’ai pas entendu parler d’un enfant, puis, la petite est en CP, elle a six ans, c'est impossible que ce soit sa fille…
- C’est ce que je me dis aussi, mais… La ressemblance est vraiment frappante…
- Le hasard de la génétique… Je suis désolée de pas pouvoir t’aider plus que ça… C’est tout ce que tu voulais savoir? Julien s'impatiente…
- Julien? Vous êtes toujours ensemble?
- Mariés mêmes… Et toi?
- Félicitations… C’est vraiment une super nouvelle… Moi… Ca a été compliqué, c’est long à expliquer, mais là, je crois que c’est la bonne… Rappelle-moi un de ces jours, je te raconterais.
- Okay tu m’expliqueras tout… A bientôt Justin.
- A bientôt Ingrid, merci pour ton appel. Embrasse Juju de ma part.
Le soir même, je décide de faire part à Clémence de mes doutes, de Clara, de cette discussion avec Ingrid. Elle semble aussi peinée que moi pour la petite et m’encourage à trouver une solution pour qu’elle se sente mieux à l’école et à trouver les réponses à mes questions.
- Si c’est bien la fille de Caroline, si Caroline est de retour dans ta vie, tu vas faire comment?
- Comment quoi?
- Juss… Je… J’ai peur… Je veux pas… Qu’elle vienne s’immiscer entre nous…
- Clems, j’ai trop souffert à cause de cette histoire… Ça fait plus de cinq ans qu’elle a disparu des radars, aucune nouvelle, pas de coup de fil, rien… Et parce qu’elle va, peut-être, éventuellement, revenir dans ma vie, je vais tout foutre en l’air avec toi, après toutes nos galères? Sûrement pas, rassure toi…
- Merci mon coeur…
- Je tiens trop à toi et j'ai pas envie de te perdre encore une fois… Je te le promets…
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