Octobre 2017

7 minutes de lecture

Je décide finalement de mettre en pause mes recherches et d’attendre de mieux connaître Clara, de prendre totalement mes marques dans mon nouveau métier avant de tenter de trouver les informations dont j’ai besoin.

Ingrid me rappelle, à la fin du mois de septembre, nous en profitons pour nous raconter nos vies, prendre des nouvelles et nous donner rendez-vous au plus tôt pour nous retrouver. Cet appel me laisse tout de même pensif, me replonge dans cette sombre période.

- Mon coeur, tu veux faire quoi?

- Je sais pas… Si je me fie aux informations que j’ai pu trouver dans le dossier, Clara est bien la fille de Caroline. Ce serait quand même hallucinant de trouver deux femmes ayant le même nom, le même prénom et se ressemblant autant… Et le comportement de la petite m’inquiète, elle est trop solitaire, elle fait semblant d’essayer quand elle me voit la surveiller, mais je sais bien que c’est une façade.

- Tu l’as jamais croisée devant l'école?

- Non, Clara est à la garderie matin et soir, personne n’est venu pour la réunion de début d’année… Je pense que demain, je vais demander un rendez-vous avec sa mère. Le comportement de la petite doit changer, je vois bien qu’elle a peur de se faire des amis et qu’elle en souffre…

- T’es sûr qu’elle viendra?

- Si c’est Bernard qui la convoque, je crois qu’elle n’aura pas tellement le choix…

- Ouais, c’est sûr. Bon, je te laisse mon coeur, je dois aller bosser, sois sage.

- Toi aussi, j’espère que tu passeras une bonne nuit.

- Je t’aime.

- Je t’aime. A demain.

Voilà deux semaines, Clémence avait reçu la validation de sa mutation à l'hôpital d’Aix et le retour au boulot s’accompagne de quelques inconvénients, comme les gardes de nuit. Ces nuits, seul, me laissent épuisé au petit matin, je passe de longues heures à me tourner et à me retourner dans le lit, à cogiter sur tout n’importe quoi, à chercher sa chaleur, sa douceur et les journées qui suivent sont difficiles en classe. Le cas de Clara me contrarie aussi, de plus en plus, un lien invisible s’est tissé entre nous et je supporte de moins en moins de la voir s’isoler malgré mes efforts.

“Bonjour Mlle Fournier,

je me permet de prendre contact avec vous au sujet de votre fille, Clara. Je souhaiterais que vous vous mettiez rapidement en relation avec son instituteur, Mr Fabre, afin d’échanger avec lui sur les petits problèmes de sociabilisation de votre fille. Nous avons constaté que c’était une élève douée, intelligente, mais solitaire et réservée avec ses camarades et cela nous inquiète quelque peu. Je vous laisse ses coordonnées afin de faciliter vos échanges en cas d’indisponibilité. Si vous le souhaitez, je peux également participer à ce rendez-vous, voire vous recevoir en privé dans un premier temps.

Cordialement.

Mr Sérix,

Directeur de l’école primaire de Cuques.”

- Merci Bernard pour votre aide.

- Je suis ici pour ça aussi, c’est mon rôle de directeur. Mais, Justin, fait attention de ne pas trop t’attacher à cette élève, ça pourrait rendre les autres jaloux et paraître bizarre à certains parents.

- Je vais faire attention, mais…

- Mais?

- Écoutez… Pour être franc, je pense que je connais sa mère. Que je la connais très bien même…

- C'est-à-dire?

- Caroline Fabre… C’est le nom d’une de mes anciennes petites amies, quand j’étais encore au lycée… Elle a disparu du jour au lendemain, il y a environ six ans, sans donner de nouvelles… J’ai vécu un calvaire pendant plus d’un an, fais trois tentatives de suicide en huit mois…

- Oui je suis en partie au courant, je comprends mieux cette espèce d’acharnement.

- Honnêtement, cet événement m’a fait souffrir pendant des années et encore parfois aujourd’hui.

- Mais qu’est ce qui te fais croire que Clara est sa fille?

- Leur ressemblance… C’est… Je pourrais pas vous l’expliquer, ça me saute aux yeux, simplement… Mais il y a autre chose que je n’arrive pas à définir…

- Bon, mais n’oublie pas que tu es son instituteur, essaye de rester à cette place. Au moins dans l’enceinte de l’école.

- Je vais faire très attention… Je suis désolé Bernard de vous causer des soucis pour ma première année de titulaire ici.

- Je comprends Justin et je préfère cette franchise, puis ce ne sont pas des soucis pour moi. C’est pour le bien être de la petite avant tout.

- Bien sûr… Pour son bien être avant tout…

- Ça me va. Pour le reste ça se passe hors de l'école, donc ça ne me concerne pas……

- Merci Bernard…

Les démarches lancées, il ne me restait plus qu'à attendre un retour et un rendez-vous avec Caroline. Je crois qu’on avait pas mal de choses à se dire, que j’avais besoin d’avoir des explications. Mais je ne m’attendais pas à ce qui allait me tomber sur le coin de la figure.

- Allo?

- Allo… Mr Fabre?

Dès les premières syllabes, malgré son émotion palpable, je reconnais sa voix.

- Oui.

- C’est Mlle Fournier, la maman de Clara…

- Bonsoir Caro.

- Juss… C’est bien toi?

- Et oui…

- Tu te souviens de moi?

- Comment j’aurais pu t’oublier…

- Je suis désolée… Sincèrement… Pour tout ce que je t’ai fait subir…

- C’est pas vraiment le sujet là, non?

- Un peu si… Est-ce qu’on peut se voir, rapidement?

- Jeudi à 16h45 après la classe? Mais j’aimerais un retour par écrit sur le cahier de liaison de Clara, pour Mr Sérix.…

- Je m’en suis occupée, j’ai déjà appelé à l'école, je l’ai eu au téléphone et je viens de lui confirmer par mail. Je bosse jeudi après midi, mais je suis de repos vendredi après midi, on a convenu d’un rendez vous à ce moment-là, après la classe.

- Je pense que je serais présent aussi. Si ça ne te dérange pas…

- Non, pas du tout, au contraire… Mais je te parlais de quelque chose d’un peu plus… Personnel… Enfin si tu es d’accord… J’ai besoin de te parler de certaines choses…Tu es dispo demain matin?

- Tu traînes pas…

- Ecoute, ça fait quelques mois que je réfléchis à comment reprendre contact avec toi et aujourd’hui le hasard te remets sur ma route, j’en profite… Si tu préfères prendre un peu de temps, je peux comprendre…

- Demain ça me va, je crois qu’on a des choses à se raconter… Beaucoup de choses… Alors on se dit vers 9h?

- Je dépose Clara à l'accueil de loisirs et je te rejoins?

- Oui, à la Belle Epoque, sur le cours?

- Sur le Cours Mirabeau? C’est pas vraiment dans mes habitudes, ni dans mes moyens…

- Je t’invite, c’est pas un souci… Même mieux, je te récupère vers l’IUT, tu trouveras des places pour te garer, c’est gratuit et on voit ensuite où on se pose…

- On prendra le bus avec Clara, j’économise le carburant… Tu me retrouves devant l’accueil de loisirs?

- Ok. A demain Caroline…

- Merci Justin… A demain.

L’appel terminé, j’oscille entre l'appréhension de la revoir, l'impatience d’avoir des explications et la peur de voir ressurgir les fantômes du passé, de ne pas arriver à gérer, mais surtout de ma propre réaction au moment où nous allons nous revoir…

- Caro m’a appelé toute à l’heure… On doit se voir demain matin pour discuter.

- C’est une bonne chose?

- Je sais pas, je dirai que oui, on a des choses à régler elle et moi…

- Ne te braque pas mon coeur, laisse lui au moins le temps de s’expliquer, je suis sûre qu’elle a de bonnes raisons.

- Certainement, mais je sais pas comment je vais réagir en la voyant… J’ai peur de m’écrouler, de pas supporter de revivre ce qu’il s’est passé…

- Mon coeur, t’es passé à autre chose, t’as grandi, t’as mûri, t’as vécu d’autres expériences depuis…

- Ça change rien, j’ai enfoui tout ça au fond de moi, mais j’ai peur de ma réaction quand tout va remonter à la surface…

- Tu peux plus reculer, je suis sûre que demain, après avoir discuté avec elle, tout ça se sera envolé: tes peurs, tes doutes, ta tristesse… Et puis je suis là moi, en cas de besoin, tu passes par les urgences, je me ferai un plaisir de te soigner à ma façon…

- Bonne idée… Merci ma puce…

Fort heureusement, Clémence est de repos pour vingt quatre heures, je peux lui confier mes doutes, mes peurs et être rassuré, nous pouvons en profiter pour prendre un long bain en amoureux et terminer notre journée dans un lit qui ne reste pas fait très longtemps. Surtout, la retrouver près de moi après trois nuits en solitaire me réconforte et me permet de prendre enfin un vrai repos sans réveil toutes les heures pour la chercher à mes côtés, sans questions existentielles.

Je me rends compte au fil des jours passés à ses côtés qu’elle est un véritable pilier pour moi, qu’elle l’a toujours été en fait. J’ai toujours su et pu trouver auprès d’elle l’appui, le soutien dont j’avais besoin, lorsque je sentais que les choses m’échappaient et prenaient la mauvaise direction. Depuis le départ de Caro elle m’a apporté son aide, sans que, jamais, je n’ai eu besoin de réclamer quoi que ce soit, elle a toujours été à mes côtés, accepté mes petites amies, alors qu’au fond d’elle, elle ne souhaitait qu’une seule chose…

Elle a eu de nombreuses raisons de me lâcher, pendant ma dépression à chaque fois que je l’ai envoyée balader, après notre séparation quand je suis sorti avec Amy, ou plus tard quand je me suis installé ici avec Gaby… Mais elle m’est toujours restée fidèle, toujours présente, comme une ombre…

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