Mercredi 25 Octobre 2017 (2/3)

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Ces nouvelles ont fait l’effet d’une bombe. Dans ma tête, tout se mélange, tout se bouscule, le passé, le présent, le futur, Clémence, Gaby, Amy, Clara, elle, ce que j’ai envie de lui dire, ce que je me dois de lui dire, ce que je ne dois surtout pas lui dire pour l’instant, et pourtant, après quelques longues secondes d’un silence pesant, je dois me ressaisir, lui répondre…

- Wahou… Je… Je crois qu’il me faut le temps d’encaisser… T’as terminé? Ton petit dej je veux dire…

- Oui merci… Ça fait du bien un vrai petit déjeuner et t’avais raison pour le thé, il est vraiment très bon.

- Ça te dit d’aller marcher un peu? J’ai besoin de prendre l’air… Et de… Gilou, tu peux me dépanner?

- J’ai un paquet neuf derrière le comptoir, sers toi…

- Merci… Tu me sauves… Je repasse toute à l'heure pour régler la note et je t'en ramènerai un neuf..

- Pas de soucis. A toute Juss, Mademoiselle…

- Tu fumes maintenant?

- Non… Enfin oui… Juste quand je suis vraiment stressé, où vraiment bien… Même si à une époque…

- J’en ai eu des échos, mais j’ai pas envie d’en entendre parler… Pas aujourd’hui…

- Moi non plus… T’en veux une?

- Ouais merci…

- Et toi? Tu fumes maintenant?

- Depuis que j’ai commencé à bosser, une en passant au début… Puis… Mais je me limite, et jamais devant notre fille…

“Notre fille”, je crois que rien ne peut me rendre plus heureux que ces deux mots…

Instinctivement, je passe mon bras autour de ses épaules, dépose un baiser sur sa joue et prends la direction du parc Jourdan, oasis de verdure au milieu de la ville, juste à côté du quartier des facs…

Je viens de terminer ma cigarette, perdu dans mes pensées, nous marchons maintenant bras dessus bras dessous et je décide de me lancer, de rompre ce long silence qui s’est installé.

- Je suis désolé Caro… C’est moi qui suis la cause de tout ça… Je…

- Juss… Il faut être deux pour faire l’amour… Et surtout faire un enfant…

- Je m’en veux de pas avoir su deviner, de pas avoir insisté plus, pour savoir… J’aurais dû être à tes côtés pendant tout ce temps, t’accompagner, te soutenir… Alors que pendant des mois, j’étais en colère contre toi, contre tes parents, de ne pas m’avoir donné d’explications… Et voir grandir ma fille, au lieu de…

- Vivre ta vie? T’avais pas à subir ça…

- Subir? Assumer plutôt. Et toi dans tout ça? T’avais les moyens de faire de grandes études, de trouver le boulot de tes rêves, et au lieu de ça, tu te retrouves à 16 ans, à élever notre fille toute seule, perdue dans une région inconnue, pendant que moi j’ai réalisé mon rêve et j’ai profité de ma vie… Tu méritais pas ça Caro… On aurait pu se débrouiller… Tous les deux…

- Justin, c’est bon… J’ai pas besoin de ta sollicitude…

- C’est pas de la sollicitude, plutôt de la bienveillance… Je suis tellement fier de toi, si tu savais… Il faut une sacrée force de caractère pour vivre ce que tu as vécu, élever une petite fille, seule et si jeune.

- Mes grand parents m’ont bien aidé, il ne m’ont jamais rien reproché d’ailleurs, Clara c’est plus que leur arrière petite fille…

- Clara… Tu lui a raconté quoi, au sujet de son père?

- Pas grand chose… Que…

- Que…

- Je suis désolée Justin… Qu’on s'aimait plus et qu’on s’était séparés avant sa naissance… Que je te donnais de ses nouvelles, mais que tu ne pouvais pas venir la voir… Je voulais la préserver… Excuse-moi…

- De quoi? D’avoir évité à ta fille, à notre fille, de se poser plus de questions? De lui avoir évité de se confronter avec l'imbécillité de ses grands parents? T’as fait ce qu’il fallait, de A à Z, t’as géré comme une cheffe…

- Merci… Ça me touche vraiment… Mais maintenant? Tu voudrais faire comment?

- J’en sais rien, j’ai besoin d’y réfléchir, de peser les tenants et les aboutissants… Je vais pas t’obliger à m'inclure dans l’équation, j’en profite chaque jour de la petite, peut être plus que toi en ce moment, alors, si tu préfère attendre un peu, où ne rien lui dire, c’est ton choix et je peux pas aller contre ça. Si tu as envie que je sois là pour elle, pour vous, ça me dérange pas non plus, au contraire, je suis prêt à m’occuper de ma fille et à aider sa mère.

- T’es sérieux Justin? Mais Clémence, vos boulots, vos habitudes, vos amis, votre vie…

- Tu nous crois assez égoïste pour ne pas vous trouver une place? J’ai fait une connerie, même si c’est pas vraiment notre faute, je suis prêt à l’assumer… Surtout une connerie aussi adorable. Caro, je suis complètement sous son charme, elle te ressemble tellement, que j’en suis à me demander si c’est bien moi le père…

- Fais moi confiance, c’est bien toi, t’as aucun doute à avoir là dessus…

- Je vais juste devoir trouver les mots pour annoncer ça à tout le monde… Je crois que mes parents vont faire une attaque…

- Ménage-les pour l'instant, prends ton temps…

- Tu te rendras vite compte que c’est pas vraiment mon genre…

- C’est les seuls grands-parents de ta fille… Et Clémence? Elle va le prendre comment?

- J’en sais rien… Mais je la vois pas faire un esclandre et tout plaquer… Elle aura surement besoin de temps, comme moi, pour s’habituer aux choses… Mais elle posera aucun problème, crois moi. Elle a bien vu à quel point ce qui s’est passé entre nous m’a atteint, elle l’a subi, elle sait que t’as toujours été présente dans mes pensées. Je t’ai retrouvé après beaucoup de souffrances pour tous les deux et j’en suis soulagé, heureux, si tu savais. Voir que tu es en pleine forme, que t’as rien eu de grave, ça m'enlève un gros poids, Clara c’est le cadeau bonus.

- Merci… Je suis vraiment soulagée que tu le prennes comme ça… Accepter de me voir, j’y croyais à peine, accepter ta fille, ça tient du rêve, alors nous accepter toutes les deux, c’était juste inimaginable après ce que t’as vécu à cause de moi…

- Ce que j’ai vécu à cause de toi? A cause de tes parents plutôt… T’y es pour rien Caro, t’as subi leur décision de faire passer leur honneur avant leur fille et leur petite fille. J’ai été en colère oui, mais je t’en ai jamais vraiment voulu… A toi, jamais… A eux par contre…

La sonnerie de mon téléphone nous interrompt.

C’est Clems, tu me laisses deux minutes? Installe-toi sur le banc, là bas, j’arrive.

- Ok.

- Allo mon coeur,

- Coucou mon chéri. Alors, comment ça s’est passé?

- Plus long que prévu, beaucoup plus long, on est toujours en train de discuter…

- Encore?

- Oui…

- Tu m’expliques?

- Non, pas au téléphone… Désolé… C’est… Surprenant…

- Rien de grave au moins?

- Rien de vital… Mais ça risque de chambouler pas mal de choses…

- Ok… On est plus à ça près… Mais toi tu te sens comment?

- Heureux de la retrouver en bonne santé, mais bouleversé par ce qu’elle m’a annoncé…

- C’est déjà ça… Je vais vous laisser terminer alors. Je t’embrasse mon amour.

- Je t’embrasse aussi ma puce, et je t’aime.

- Je t’aime aussi, à ce soir.

- A ce soir.

Machinalement, j’allume une nouvelle cigarette après avoir rangé mon téléphone, et je m’installe sur le banc à côté de Caro.

- Alors? Elle a réagi comment?

- Je lui ai rien dit… C’est pas le genre de chose à annoncer au téléphone… On prendra le temps d’en parler ce soir quand elle rentrera.

- Et vous deux? C’est “je t’aime-moi non plus”?

- Pas vraiment… C’est la seule qui ait gardé le contact avec moi après ton départ, avec Ingrid… Ça nous a encore rapproché… Pendant huit mois, après ton dernier appel, elle a passé son temps libre près de moi, soit chez mes parents, soit à l'hôpital, elle m’a secoué un paquet de fois, on s’est engueulé aussi, souvent. J’ai été odieux avec elle et même pire, mais elle est toujours revenue. Je crois que c’est la seule qui me comprenais, qui savait vraiment ce que je ressentais. Quand tes parents sont venus à la maison pour s’expliquer, un an après ton dernier coup de fil…

- C’est moi qui leur ai demandé de le faire… Ils voulaient vraiment te faire passer le message, te demander de laisser tomber, une dernière fois… Comme je pouvais pas te le dire directement…

- J’ai compris de suite que c’était plus ou moins leur idée, mais aussi un peu la tienne, c’est pour ça que je suis passé à autre chose, comme tu me l’avais demandé. C’est elle qui a eu l’idée de partir à vélo, et la suite, tu la connais… Tu vois ce petit tatouage au creux de mon coude, mon premier?

- Oui.

- Elle a exactement le même… Quelque mois après notre rupture, j’ai eu cette idée, graver à jamais notre amitié sur notre peau pour ses dix-huit ans…

- Puis c’est pas mal parce que le C, il marche aussi pour Clara…

- Et pour Caroline…

- Merci…

- T’as le temps de manger un morceau?

- J’ai prévu d’attendre que Clara ait terminé pour rentrer… De profiter de ma journée de repos, pour me promener en ville.

- Au fait, vous vivez où? Si c’est pas trop indiscret?

- Non, t’as le droit de savoir, c’est ta fille aussi, après tout… Je loue un petit appartement à Val Saint André… Pas très grand mais on a deux chambres et un petit balcon… Et c’est pas trop cher, je bosse comme serveuse dans un resto italien au Tholonet.

- Si t’avais vu mon studio quand j’étais à la fac… Un placard à balai, à peine 20m 2, salle de bain comprise… Quand je pense qu’avec Amy on y a vécu tous les deux… Pardon, je suis désolé…

- Non… Je sais que t’as vécu des choses depuis six ans… J’ai besoin de savoir que t’as été heureux, ça me soulage en sachant ce que je t’ai fait subir…

- Ce que tes parents nous ont fait subir…

- Ouais… Puis t’as cette étincelle dans le regard quand tu parles d’elle et de Clémence aussi…

- Amy… Tu risques de la croiser rapidement, elle doit passer d’ici la fin de l’année… Enfin, si ça te dis…

- Tu comptes me présenter toutes tes ex?

- Uniquement celles qui ont encore de l’importance pour moi et avec qui j’ai gardé contact… C'est-à- dire… Amy… Tu verras, c’est une fille formidable… Comme vous toutes…

- Bon… On va manger un bout? Et c’est moi qui t’invite cette fois…

- T’es sûre?

- Oui. Si tu manges pas trop… Pizza?

- Ok… C’est pas bon pour ma ligne, mais je vais faire une exception pour toi…

- Et ça? T’as toujours été sportif depuis qu’on se connaît, mais le changement est assez radical…

- Disons que certains événements m’ont aidé à perdre du poids, même si j’ai mis du temps avant de pouvoir ne serait-ce que regarder mes baskets, courir c’est vite devenu la solution, pour me vider la tête, calmer ma colère, oublier ma tristesse… Ce matin, avant de te retrouver, j’y suis même allé, une petite heure. Pour le reste, je fais du renforcement statique, quelques pompes, des abdos, différents exercices et un peu de vélo. Et toi?

- Après la naissance de la princesse, j’ai rechaussé les baskets, mais ça me rappelait nos séances ensemble, alors je me mettais à pleurer à chaque fois… Et j’arrivais plus à avancer… Mais je me suis forcée, pour perdre les kilos que j’avais pris avec la grossesse. Quand elle a commencé la draisienne, puis le vélo, je m’y suis remise plus sérieusement, on passait du temps toutes les deux au milieu des champs, dans les parcs de Vichy et à la piscine évidemment…

- Tu sais qu’on aurait pu se croiser en 2013, on y est passé en vélo avec Clémence.

- Oui j’ai suivi ça de loin… J’ai un peu fait exprès à cette période, de pas sortir de ma campagne… Je voulais pas prendre le risque de vous croiser… J’étais pas prête…

- Pourtant on était plus ensemble à cette époque…

- Oui, mais trop dur quand même…

Après avoir partagé une pizza assis sur les marches du palais de justice, au milieu des étudiants, nous prenons un café en terrasse, à la B-E, je règle mes dettes auprès de Charline, la serveuse qui remplace Gilles l’après midi, puis nous promenons encore un peu en discutant de la pluie et du beau temps, avant que je ne la dépose sur le parking où je l’avais retrouvée le matin même.

- Merci Justin pour cette journée… Ces retrouvailles… C’est… Fabuleux… De se retrouver sans animosité et de pouvoir discuter de tout ça... Tu me laisse un peu de temps pour faire le point?

- Merci à toi Caro… Je vais avoir besoin d’un peu de temps moi aussi. Je suis heureux de te voir souriante et en bonne santé, c’est tout ce qui compte. On se voit vendredi soir de toute façon?

- Oui c’est vrai… Clara et les copains de l’école…

- Te mine pas pour ça, c’est juste un mauvais passage, je crois que le changement de région, la perte de ses premiers copains l’ont marquée… Son papa va s’occuper d’elle maintenant.

- T’es un mec génial Juss… T’as pas beaucoup changé…

- Aucun risque que je change…

- Faudra qu’on lui dise, non?

- Oui faudra que tu lui dises.

- Qu’ON lui dise… Je veux que tu sois là aussi…

- Quand tu te sentiras prête et quand tu la sentiras prête…

- Oui… Je suis impatiente maintenant…

- Moi aussi. Je te tiens au courant, laisse moi juste le temps d’en parler à Clems d’abord…

- Bien sûr… A vendredi Justin et encore merci pour tout…

- Arrête de me remercier… A vendredi… Embrasse Clacla pour moi.

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