Décembre 2017 (3/3)

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- T’es vraiment sûre de vouloir y aller?

- Je veux leur montrer que je suis heureuse et je veux voir leur tronche quand ils ouvriront la porte et tomberont sur nous trois, réunis…

- Ok, donc en plus tu veux qu’on mène Clara avec nous?

- Je veux leur faire la totale, leur cracher mon bonheur à la gueule, leur montrer que malgré tous leurs efforts pour ruiner ma vie, pour nous séparer, ils ont raté leur coup !

- Caro… Calme toi s’il te plait…

- Non… Je rumine depuis une semaine, je dors mal à cause d’eux… Avec un peu de chance mon abruti de frère sera de la partie avec sa grognasse!

- Si tu y vas en colère comme ça, ne compte pas sur moi… Ni sur la petite… Je veux pas qu’elle assiste à un règlement de compte avec cris et hurlements… Je suis d’accord sur le but, mais pas sur ton état d’esprit… Tu dois y aller détendue, souriante, faire comme si de rien n’était, ça aura encore plus d’impact.

- Tu veux pas que j’arrive avec des fleurs en plus?

- Non, mais avec ton magnifique sourire histoire de bien les mettre mal à l'aise. Écoute, je pense que tu dois prendre encore un peu de temps pour laisser retomber ta colère. T’es arrivée hier, t’as pas pris le temps de te poser, de reprendre contact avec la région, tu sais quoi, laisse moi Clara ce matin et tu pars avec Clems te défouler, ça vous fera du bien.

- Ça fait des mois que j’ai pas fait de sport! Et toi ça fait déjà quatre jours que tu t'occupes de ta fille!

- Et alors? Tu crois que ça me dérange? J’ai six ans à rattraper et pas la possibilité de faire grand chose d’autre, je suis pas à une heure près!

- Okay. Clems?

- Oui?

- Tu m'emmènes courir?

- Avec plaisir…

- Faites juste attention aux traversées de pierres glissantes!

- Ha, ha , ha… Très drôle Mr le grand sportif…

Pendant que les filles se défoulent, avec pour consigne à Clémence de désamorcer la bombe Caroline, je m’installe avec Clara dans la salle à manger pour fabriquer quelques décorations de table pour Noël.

Lorsqu’elles rentrent, les joues rougies par le froid et l’effort, je vois immédiatement dans le sourire et le regard de Caro qu’elle est plus calme, plus sereine qu'auparavant. Je sais que Clémence a pris le temps de discuter avec elle de notre projet de monter sur Alès, qu’elle a su la conseiller, l'apaiser, pour que les choses se passent au mieux.

Je me retrouve soudainement envahi par les souvenirs de tous ces après-midi passés au stade tous les deux, de toutes ces séances où je la voyais progresser chaque semaine, de ce sourire accompli qui illuminait son visage à cette époque au moment où nous quittions le stade main dans la main.

- M’embrasse pas, t’es toute collante!

- Genre… D’habitude ça te gène pas.

- D’habitude je suis dans le même état que toi, c’est pas pareil…

- C’est bon je vais me doucher…

- Alors, ça fait du bien?

- Merci Justin… J’avais oublié à quel point ça aidait à faire le vide et à se calmer… Je m’en suis plutôt bien tirée en plus…

- Je sais ce que c’est, si tu savais les heures que j’ai pu passer à courir pour me vider la tête et réfléchir.

- Regarde maman.

- C’est super joli ma puce… Mais c'est génial ces petites lanternes en papier.

- On peut les poser ou les accrocher, c’est au choix.

- C’est l’idée de papa. Il a plein de bonnes idées pour les décos.

- Je peux en faire une?

- Oui, Clara va t’expliquer, faut que je me pose…

Je les laisse bricoler entre elles, les observant tendrement de loin depuis le canapé dans lequel je m’affale.

- C’est bon, j’ai droit à mon bisou maintenant?

- Là oui!

La caresse de ses lèvres sur les miennes est douce, j’en profite pour prendre une grande inspiration et m’imprégner du parfum de caramel qu’elle dégage.

- Caro, la place est libre…

- Merci… J’en ai bien besoin… Ma puce, tu restes avec papa, je vais me doucher.

- Oui… Tata Clems, tu viens faire une lanterne toi aussi? Je te montre.

- J’arrive princesse… Tu viens avec nous?

- Désolé mais j’ai besoin de reposer mon pied… T'as vu le tube de pommade?

- Sur ta table de nuit en haut… Tu veux que j’y aille?

- C’est bon, j’y vais, je vais en profiter pour “prendre l’air” sur le balcon en même temps…

- Mouais…

Je file en claudiquant vers les escaliers, me hisse doucement jusqu’à ma chambre, applique la pommade en un long massage sur ma cheville qui a pris une teinte violacée mais a bien désenflé. Je viens de m’installer sur le balcon lorsque j’entends Caro arriver.

- Tu boudes?

- Pas du tout… Mais je veux pas que Clara me voit…

J’allume ma cigarette en laissant mon regard divaguer à l'horizon.

- Ce serait pas plus simple qu’on laisse tomber ces conneries plutôt que de se cacher?

- Ça fait deux mois que j’en avais plus eu envie… Mais ça fait trois jours que je suis coincé ici, j’avais prévu un joli programme pour les vacances avec Clara et j’ai tout foiré… Puis te voir revenir avec ce sourire, dans cette tenue, ça a remué des choses…

- C'était une bonne idée de m’envoyer courir ce matin… J’ai parlé avec Clémence et j’y vois plus clair maintenant… Vous avez raison tous les deux…

- Je comprends ta réaction Caro… Que t’aies envie de te venger pour tout ce qu’ils t’ont imposé, toutes ces souffrances… Mais ça sert plus à rien, le mal a été fait et je trouve que tu t’en est plutôt bien tirée au final… Tu dois guérir de toutes ces blessures qui te rongent parce qu'à la longue, elles auront raison de toi. Tu ne peux pas gâcher ta vie parce que d'autres ont essayé de te briser. T'es plus intelligente et beaucoup plus forte que ça.

- Je sais… Mais j’ai du mal à m'en convaincre parfois… Merci Justin…

- Arrête de me remercier à tout vas…

- T'en a plus fait pour nous depuis la rentrée que la plupart de mes proches en six ans…

- Et alors? Clara est ma fille et tu es sa mère… Vous faites partie de ma famille et vous méritez tout ça… C’est pas un concours, je veux juste que vous soyez heureuses, que Clémence soit heureuse et que moi je sois heureux…

Elle s’est levée pour venir s'asseoir sur ma cuisse valide et me serrer contre elle en posant sa joue sur ma tignasse…

- C’est le cas… Grâce à toi… Et à Clémence… C’est une fille formidable Juss, vous êtes pareil tous les deux et… Je suis un peu jalouse…

- Ça me touche… Et je suis heureux que vous vous entendiez bien toutes les deux… C’est important pour moi.

- Pour moi aussi…

En fin d'après-midi, nous avons roulé jusqu'à Alès tous les trois, Caro à garé la voiture a l’abri de la haie, un peu avant le portail de la maison, puis elle a pris le temps de respirer. Six ans qu’elle n’avait pas remis les pieds ici, dans sa ville, dans son quartier, chez elle, je pouvais sentir son émotion, la voir sur son visage qui s’était tendu au fil des kilomètres.

- Tu sais que tu peux encore changer d’avis, on peut encore faire demi-tour…

- Oui… Mais non… On est là… Je dois le faire… On doit le faire…

- On fait comme on a dit? J’y vais je sonne et je vois leur réaction, au moindre doute, j’abrège et je me casse.

- Oui, j'attendrai près de la voiture avec Clara, tu me fais un signe si on peut venir…

Au moment où je sonne mon cœur cogne comme un tambour, je suis aussi effrayé qu’elle, je crois.

C’est Alex qui vient ouvrir la porte de la maison à quelques mètres de moi, il est tout juste reconnaissable, d’après le souvenir que j’en avais sur les photos de l’époque.

- C’est pour quoi?

- Alexandre? Alexandre Fournier?

- Oui, c’est pour quoi?

- Vos parents sont- là?

- De la part de?

- Monsieur Fabre, Justin Fabre…

Le sang a immédiatement quitté son visage, le laissant livide et chancelant.

- P’pa, M’man… Venez… C’est pour vous…

Et il a disparu, laissant place à ses parents, que je reconnais aisément malgré les années.

- Justin!?

- Hervé, Elise… Bonjour… Je suis désolé de venir à l’improviste… Je ne vous dérange pas?

- Non… Si tu viens pour prendre des nouvelles de Caro… Ça fait plus de six mois qu’on en a plus nous non plus… Et des années qu’on ne l’a pas vue…

- Justement… C’est pour ça que je viens… J’en ai moi…

- Mais comment?

- Venez, je vais vous expliquer…

Discrètement, je fais signe aux filles de se rapprocher, tout en restant silencieusement à l'abri de la haie. Lorsqu’ils se présentent au portail, je sens une grande curiosité de leur part.

- Tu sais où elle est? Depuis le mois de juin, mes parents ne veulent plus nous donner de ses nouvelles?

- Avant de vous le dire… Je comprends votre réaction… Ce qui s’est passé il y a six ans… J’approuve pas, j’accepte toujours pas, mais je peux comprendre…

- Donc tu es au courant de tout?

- Pour les “vacances” de Caro en Auvergne? Oui…

Pour ses galères? Aussi…

Pour son accouchement, seule, à des centaines de kilomètres d’ici?Bien sûr…

Pour notre fille, Clara, qu’elle élève, seule, depuis six ans pour préserver l’honneur de votre famille? Evidemment…

Pour sa fuite au début de l’été pour démarrer une nouvelle vie?

C’est pour ça que je suis là…

- Sa fuite?

- Oui, je ne vous en dirai pas plus… Il se trouve que Clara est mon élève, en classe de CP, depuis le début de l’année scolaire… Caro se débrouille comme elle peut pour assumer… Enfin, maintenant, avec un peu de mon aide, c’est plus simple pour elles deux…

Leurs visages se déconstruisent au fur et à mesure qu’ils prennent conscience de la situation, qu'ils se rendent compte que malgré tous leurs efforts, nous nous sommes retrouvés et que leur fille est finalement heureuse.

- Mais comment les as-tu retrouvé?

- Par le plus grand des hasards, comme je vous l’ai dit, j’ai terminé mes études et je suis instituteur depuis la rentrée, Clara est mon élève et quand je l’ai vue entrer dans ma classe, j’ai reconnu les traits de Caro immédiatement… Ensuite, on a repris contact et elle m’a tout raconté…

- Hervé, Elise… Je vous présente votre petite fille… ALEX, JE SAIS QUE T’ES LA, TU PEUX SORTIR!!!

- Qu’est ce que tu fais là? Vous faites là?…

- Rien, je suis juste venue voir si vous vous souveniez qu’on existait… Mais, à priori, savoir comment Justin nous a retrouvées est plus important pour vous que de savoir si nous allons bien… Justin à toujours le même numéro de téléphone, si vous voulez des nouvelles, qu’on discute, vous n’avez qu'à lui laisser un message et on verra si j’ai le temps de vous rappeler… A bientôt peut-être…

Elle m’a tiré par la manche en direction de la voiture pour me faire comprendre qu’elle en avait assez…

Et vous direz au traître caché derrière les rideaux que c’est pareil pour lui… Je suis pas rancunière, je vous en veux plus aujourd’hui… Justin, viens on se casse.

Je ne dis pas un mot en lui “emboîtant le pas” et une fois dans la voiture elle éclate de rire…

T’as vu leur gueules? C'était énorme…

- Caro? On avait dit pas devant la petite…

- …

- Caro???

- Désolée… Excuse-moi Justin… J’ai pas réussi à me retenir…

- T’as bien fait… C’était magnifique… Et le tout sans hurler, presque calmement…

Même si elle avait un peu dérogé à notre plan de départ, je dois dire que le coup avait marché à la perfection. Voir leur mine déconfite devant nous trois réunis, en comprenant qu’ils avaient raté leur coup, ça valait tout l’or du monde pour moi.

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