Avril 2018

9 minutes de lecture

- Allo?

- Justin, c’est Hervé… Immédiatement j’active le mode danger, sans savoir vraiment pourquoi.

- C’est à quel sujet?

- Ecoute, on a bien discuté et réfléchi avec Elise et Alex, on est prêt à vous revoir… Tous les trois… Vous pouvez venir quand?

- J’en sais rien. Je dois en parler avec Caro d’abord, voir si elle est d’accord, et organiser ça avec nos boulots. Je vous tiens au courant rapidement.

- Tu peux me donner son numéro? Je vois ça en direct avec elle…

- Non sûrement pas…

- Comme tu veux…

- J’ai des consignes… Je vous recontacte au plus tôt…. Au revoir.

- Au revoir.

Même si on s'attendait à ce que ce moment arrive un jour ou l’autre, ce coup de fil me laisse songeur, j’ai trouvé Hervé un peu trop calme, un peu trop mielleux pour être vraiment sincère et immédiatement un signal d'alarme s’est déclenché dans mon cerveau.

Je décide pourtant de ne pas en parler à Caroline, l’informant simplement que ses parents m’avaient contacté et qu’ils souhaitaient nous voir.

En parallèle, je décide de prendre discrètement contact avec Zélie, elle n’a pas encore terminé ses études et les droits parentaux ne sont pas sa spécialité, mais elle aura peut être quelques conseils à nous donner ou un futur collègue à me recommander.

C’est ainsi que pour ce premier weekend des vacances de printemps, nous nous retrouvons tous les quatre à Lézan, installés à mon étage. Nous aurions pu laisser Caro et Clara ici et prendre nos quartier à Anduze, mais je sentais l’inquiétude dans le regard de la mère de ma fille et je préférais rester près d’elles.

Au moment de sonner chez ses parents, j’ai senti Caro changer totalement, j’ai senti son corps se tendre, sa respiration s’accélérer, une certaine colère la gagner. Je suis impressionné par ce changement, cette attitude combative qu’elle affiche, bien loin de la gentille jeune fille que j’ai connu et de la gentille jeune femme que j’ai retrouvé et que je connais. Nous ne sommes que tous les deux, Clémence a proposé de garder Clara, pour ne pas l’exposer directement à cette rencontre qui s’annonce tendue.

- Entrez… On vous attendait plus tôt…

- Si c’est pour commencer par ce genre de remarques, on fait demi-tour… On fait déjà l’effort de se déplacer jusqu’ici pour vous, si c’est pour, en-plus, commencer par des reproches, ça en vaut pas la peine…

Une belle entrée en matière qui me met au fait de son état d’esprit et je ne suis pas le seul…

- Ouais… Vous êtes que tous les deux?

- Oui, je veux pas que ma fille vous voit pour l’instant… Je me méfie, après ce que vous m’avez fait…

La deuxième salve annonce vraiment la couleur, le rendez-vous s’annonce clairement électrique…

- Je ne te permet pas. Tu nous dois le respect.

- En fait j’ai plus besoin de ta permission Hervé, ni de celle d’Elise… Le respect ça se mérite, ça se gagne… Et après ce que vous m’avez fait subir, vous allez avoir du boulot pour regagner le mien.

Et de trois… En trois phrases, j’ai clairement vu l’attitude de son père changer elle aussi, ses épaules se vouter, son menton s’affaisser sur sa poitrine, son regard se baisser vers le sol et sa démarche clairement s’alourdir alors que nous n’avons pas encore fait les dix mètres qui nous séparent de la porte…

- Tu nous appelles par nos prénoms maintenant?

- Pourquoi? C’est pas comme ça que vous vous appelez?

- Si, si…

- Bonjour Elise. Le traître n'est pas là?

- Pardon???

La réponse et l’attitude outrée de sa mère aurait pu me faire éclater de rire si je n'avais pas réactivé le mode survie depuis notre arrivée, me méfiant de chacun d’eux et cherchant dans leurs regards, leurs attitudes, dans chaque détail, les raisons de ce rendez-vous.

- Laisse tomber… On a pas besoin de lui…

- Caro, tu vas baisser d’un ton s’il te plait!

- Moi c’est Caroline ou Mlle Fournier pour les gens comme vous, Caro c’est réservé à mes amis et ma famille… La vraie!

- Ok je vois l’ambiance… Alors on va pas y aller par quatre chemins…

- Ouais… On a pas que ça à faire nous non plus!

- Donc, si nos renseignements sont bons, tu habites à Aix avec ta fille et tu as renoué contact avec Justin. Il voit ta fille régulièrement, puisque c’est son instituteur.

Je ne laisse pas à Caro le temps de prendre la parole.

- Et aussi en tant que père, quand je suis disponible c’est moi qui la garde, ça soulage Caro, et ça lui permet d’économiser sur les frais de garderie… Parfois c’est Clémence, ma compagne qui s’en occupe aussi, comme aujourd’hui…

- Ben voyons… Manquerait plus que vous viviez ensemble tous les quatres!

- Ça pourrait se faire rapidement… On commence à être un peu à l'étroit dans mon petit appartement… Et la vie en ville c’est pas fait pour moi et c’est pas bon pour la petite… Justin et Clémence ont de la place chez eux, alors… J’y réfléchis sérieusement…

- Génial… Vive le monde moderne… C’est la débandade!!! C’est scandaleux!!! Manquerait plus que vous baisiez ensemble…

- Elise, je ne te permet pas d’utiliser ce genre d’expression! Je suis majeure et libre de mes choix, si j’ai envie de m’installer avec le père de ma fille et sa compagne, de faire “ménage à trois” ou coucher avec eux comme tu viens de le dire, je le ferai quel que soit ton avis. Il en ont plus fait pour nous depuis le mois d’octobre que vous depuis six ans…

- Tu sais très bien que la situation…

- Oui je sais… Votre réputation… Votre image et celle de votre “famille” vis à vis de votre “communauté”… Vous avez fait votre choix…

- Tu te rends compte que depuis six ans tu fais n’importe quoi?

- Non, je fais de mon mieux… Nuance. Les entendre se défouler sur elle, sur nous, et nous reprocher encore cet accident bête me fait soudainement sortir de mes gonds.

- Hervé, Elise… Je vous le jure, sur la tête de notre fille, qu’on a toujours pris nos précautions. J’ai toujours utilisé un préservatif, c’est toujours Caro qui allait les acheter et qui les gardait… C’était un accident, un putain d’accident! Et vous, vous avez gaché sa vie, nos vies, pour un putain d’accident!!! Si on avait vu que la capote avait pété, vous nous croyiez assez bêtes pour prendre le risque de ne rien faire? A seize ans? De bousiller nos vies et les vôtres? Putain, mais si je m’en étais apperçu, j’aurais fait le nécéssaire pour régler la situation!

- Juss… Calme toi s’il te plait…

- C’est bien la preuve que la contraception c’est de la merde!

- Et vos idées arriérées? C’est pas de la merde peut-être? Faut arrêter de vivre au moyen-age…

- Juss ça suffit!

Le ton cassant que Caro utilise me laisse sans voix, puis elle reprends plus calmement.

Vous m’avez abandonnée au pire des moments, quand j'aurais eu besoin de votre présence auprès de moi, du soutien de ma mère et de la voix de mon père pour me rassurer. Mais vous avez préféré me laisser me débrouiller toute seule. Elise, tu crois que c’était à ta mère d'être à mes côtés et de me tenir la main pour mon accouchement? Tu crois que c’était à elle de s’occuper de ta petite fille quand je devais aller bosser pour survivre? Que c’était le rôle de ton père de jouer à l'ambulance et au taxi pour moi?

- Je ne les ai pas obligés…

- Non, tu leur a juste refourgué ta fille de 16 ans, enceinte, sans leur demander leur avis… Heureusement qu’ils ont été là, EUX! Sinon il se serait passé quoi? Remarquez, vous auriez été débarrassés de moi au moins!

- C’est bon? Vous avez fini le règlement de compte? Si c’est juste pour ça que vous vouliez qu’on vienne, pour essayer d’enfoncer encore un peu plus votre fille, on se casse de suite!

- Non… C’était pas vraiment le but… Mais votre attitude confirme notre volonté et nos démarches…

Christian nous balance une enveloppe contenant une épaisse liasse de papier.

- Vous nous expliquez? J’ai pas envie de tout lire maintenant…

- Ta fille… Il est hors de question que ce soit lui et sa gonzesse qui l’élevent et comme tu les soutiens, que tu vis quasiment avec eux, on va demander à ce que sa garde te soit retirée et qu’elle nous soit confiée…

Le coup est rude, Caro encaisse tant bien que mal, mais je la sens touchée profondément, c’est elle qui commence à s'effondrer maintenant tandis que ses parents arborent un sourire satisfait.

- Et c’est tout ce que vous avez trouvé pour essayer de détruire notre famille, notre bonheur? Vous croyez sincèrement qu’on va se laisser faire? Je suis pas venu en touriste, moi non plus…

Immédiatement, leurs sourires s'effacent devant mon assurance, tandis que Caro me regarde, interloquée…

- Pardon?

- Et oui… Pas de nouvelles depuis décembre, où on vous annonce qu'on s’est retrouvé et là comme par enchantement, vous voulez voir votre fille et votre petite fille… Vous m’avez vraiment pris pour un imbécile, j’avais senti arriver le coup de couteau dans le dos… Alors… Je me suis préparé…

- Et comment?

- Quelques relations bien placées… Donc selon notre avocate et au vu des faits relatés par votre fille et ses grand-parents, vous seriez potentiellement condamnables pour délaissement de mineur aggravé. Certes le fait que ce soient ses grands-parents qui l’ont recueillie peut être considéré comme une circonstance atténuante, mais si on prend en compte son état de santé de l'époque, ça pourrait grandement peser dans la balance et je pense que ça pourrait vous coûter bien plus cher que votre si jolie réputation…

- Mais… Comment… Enfin Justin, tu n’es pas sérieux?

- Si, plus que jamais… Vous essayez de porter atteinte à ma famille, vous en subirez les conséquences… De plus, toujours selon notre avocate et au vu du préjudice subi, Caro serait en droit de vous réclamer plusieurs milliers d’euros de dommages et intérêts, Clara de même, ce qui, en tout état de cause, aboutirait probablement à la vente, de votre maison, voire la liquidation de votre entreprise… Si j’ajoute à ça le fait que Clara est aussi officiellement ma fille depuis plus d’un mois et que votre action porte atteinte à ma personne et à mon image, professionnellement parlant … Quand a votre réputation professionnelle et auprès de votre “communauté”...

- Comment ça officiellement ta fille? Caro… Caroline, c’est quoi cette histoire?

- Elise, ça s’appelle une reconnaissance de paternité, une autorisation de partage de l’autorité parentale et Clara s'appelle désormais Fournier-Fabre!… Avec Justin, nous avons tout fait dans les règles et vous êtes dans la merde… Sur ce, on va couper court et arrêter le massacre. Je vous souhaite une bonne soirée et on se revoit au tribunal, si vous avez les couilles d’aller jusque là… En espérant que le traître en prendra pour son grade aussi…

Nous les avons quittés sans plus de fioritures, sans même un regard, main dans la main, en claquant la porte, sûrs de notre force tant que nous resterons unis.

- C’est chaud là…

- T’inquiètes pas… Je suis là et avec Zélie on a une alliée de choix, crois moi…

- C’est elle notre avocate? Je croyais qu’elle était encore étudiante.

- Disons que c’est plutôt notre conseillère personnelle, mais que j’ai pu avoir l’aide et les précieux conseils d'une de ses futures consoeurs qu’elle m’a recommandée. Ils ne peuvent strictement rien faire contre nous sans se retrouver, eux aussi, dans la merde.

- Et ruinés?

- Ça non, c’était juste un argument foireux pour les achever. Au mieux on peut espérer quelques milliers d’euros pour vous deux, mais c’est toujours ça. A moins que la gestion de leur entreprise soit bancale… L’argent je m’en fout, je veux juste qu’ils paient personnellement pour ce qu’ils vous ont fait et ce qu’ils veulent nous faire.

- Merci Justin… T’as été génial encore une fois, même si j’ai eu peur qu'à un moment tu vrilles…

- C’était pas loin et si t'avais pas été là je pense que ça se serait fini autrement. Tu pourras contacter Ingrid aussi, on risque d’avoir besoin de leurs témoignages avec Julien.

- Bien sûr… Tu penses à tout… Ça me réconforte… Et Papé et Mamé?

- Ils hésitent un peu, d’après l’avocate, mais je pense que le dossier de tes parents va finir de les convaincre.

- Ça m'ennuie de les mêler à tout ça.

- Je comprends, mais on va avoir besoin d’eux aussi.

- D’accord. Je les appellerai demain pour les rassurer et les tenir au courant.

- C’est terminé. Respire un bon coup, faut qu’on fasse bonne figure avec Clara, je veux pas qu’elle s’inquiète… Elle est trop jeune pour comprendre, mais elle a un instinct très développé pour deviner ces choses là…

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