Juillet 2018

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Finalement, la confrontation chez le juge a lieu dans le courant du mois de Juillet, à Nîmes, et tout se passe comme notre avocate nous l’avait annoncé. Venus sans même un avocat, un peu trop sûrs de leur coup, Elise et Hervé sont déboutés de leurs demandes, condamnés à payer quelques milliers d’euros de dommages et intérêts à leur fille et à leur petite-fille, en plus d’une suspension totale de leur droits familiaux envers elles, d’une interdiction totale de visite et d’une mesure d’éloignement ferme. Seule contrainte pour nous, nous avons l’obligation de prévenir systématiquement les autorités avant notre passage à Alès pour que les dispositions soient prises par avance.

Par la même occasion, Caro étant toujours en possession de parts dans leur société, l’avocate demande leur mise en demeure de les lui racheter et qu’elle en touche l'argent le plus rapidement possible, demande validée par le juge.

Ça a été une des dernières fois que nous entendions parler d’eux et que nous les voyions, Clara ne les connaîtrait jamais et j’en étais soulagé.

- Coucou mon amour. Alors, t’as de bonnes nouvelles?

- Que des bonnes nouvelles, tout s’est déroulé comme l’avait annoncé l’avocate et elle les a mis en demeure de racheter à Caro les parts qu’elle avait dans leur entreprise. Ca leur fera un joli pécule pour recommencer leur vie.

- Ça fait plaisir… Je suis soulagée pour elles et pour toi…

- On en a terminé, le temps de récupérer Clara chez mes parents et on rentre. A toute à l’heure.

- A tout à l’heure…

- Bisous Clems!!!

- Embrasse fort ma copine, Chéri.

- Alors? Soulagée?

- Oh que oui! Si tu savais…

- Je le sais… Je le vois surtout…

- C’est pas grand chose, ce qu’on va toucher, mais je crois que c’est la première fois que le premier des quatre chiffres du total de mon compte sera pas un “un”.

- Ne dépense pas tout d’un coup… Et une fois que tu auras touché l’argent de tes parts, il faudra que tu places cet argent correctement, comme celui de Clara.

- Oui… Je sais… Mais c’est compliqué de pas flamber quand t’as jamais eu beaucoup d’argent…

- Je vais t’aider, te surveiller. Je pense que tu dois commencer par déménager, trouver un coin plus tranquille, même si ça t’éloigne de l’école et du boulot.

- Non, je suis bien chez nous, on a nos habitudes, c’est calme… Je te remercie Justin, sans toi, je crois que j’aurai encore fui mes problèmes…

- Sans moi, t'aurais surtout pas eu tous ces problèmes… T'aurais jamais remis les pieds à Alès, en tout cas pas dans ces conditions…

- Oui, mais je suis pas sûre qu’ils auraient pas tout fait pour récupérer la petite quand même…

- Maintenant c’est terminé… Vous allez être tranquilles.

- ON va être tranquilles!

Avant de rejoindre Clara chez mes parents, nous passons un moment au calme au bord du Gardon, à regarder l’eau s’écouler, blottis l’un contre l’autre.

Le soir même nous avons fêté ça “en famille”, tous les trois dans un petit restaurant italien du centre-ville d’Aix après avoir accompagné Clémence à l'hôpital.

Ca faisait un éternité que je n’avais plus mis les pieds ici en soirée et je retrouve l’ambiance, toujours aussi agréable, les terrasses bondées, les groupes de musique qui jouent dans chaque bar, la joie et l’insouciance des touristes. J’en frissonne…

- On boit un dernier verre? Je t’invite.

- Bonne idée, ça fait très longtemps que j’ai pas profité d’une soirée ici.

- La B-E, ça te convient?

- J’irai pas boire un verre ailleurs…

- Clara, tu restes bien avec nous et tu ne lâches pas la main de papa.

- Papa, tu me portes? Y’a trop de monde, j’ai peur.

- Oui, viens.

Ma fille sur les épaules, nous zigzaguons entre les tables pour rejoindre Gilles au comptoir, qui nous en trouve rapidement une dans un coin de la terrasse.

- Et bien Justin! Ça fait un bail! Mademoiselle, ravi de vous revoir. Jeune fille, enchanté.

- Bonjour Gilles.

- Votre fille est magnifique les jeunes.

- Mais… Comment tu sais?

- Je ne sais pas, je constate. Les ressemblances sont évidentes. Elle a ton regard, tes cheveux, et cette façon de sourire, les yeux de sa mère, sa bouche et ce petit nez retroussé. Mais vous êtes pas un peu jeunes pour avoir une fille de cet âge?

- Accident de parcours d’ado…

- Et Clémence?

- Elle est de garde de nuit… On repassera prendre le petit dej un de ces jours…

- Bonne idée. Vous prendrez quoi?

- Un pinte.

- Moi aussi!

- Caro??? Tu te lâches! Princesse?

- Un sirop de fraise s’il te plait Gilles.

- C’est parti.

Je m’enfonce au fond du fauteuil, ferme les yeux et m'imprègne de l’ambiance pendant quelques secondes. Je me revois quelques mois, quelques années en arrière, à l’époque où je passais le plus clair de mes soirées ici, le weekend, à chercher une compagnie pour quelques heures, pour une nuit, pour quelques jours. Une sorte de pansement affectif sur la jambe de bois de ma solitude, comme pour essayer de me convaincre que j’allais bien alors que je savais que c’était tout le contraire. Je me rappelle certains de leurs regards, de leur sourire, certaines de leur voix, sans forcément me souvenir de leur prénom.

- Justin? T’es sûr que ça va?

- Oui… Je… Je repense à tout ce que j’ai vécu ici… J’ai des tonnes de souvenirs de soirées… Ça me manque un peu…

- Pourquoi tu viens plus?

- Je… Clara, bouche-toi les oreilles s’il te plait… Je… J‘ai passé pas mal de temps ici à certaines périodes… Pour trouver une meuf, pour la nuit, un plan cul… Pour passer du bon temps, chez elle, le plus souvent et la quitter au petit matin… C’est comme ça que j’ai rencontré Gaby.

- Tu déconnes! C’est pas toi ça… Je suis choquée…

- Et pourtant… T’as encore un tas de choses à apprendre sur moi, je ne suis pas aussi parfait que ce que tu crois.

- Et voilà les jeunes… Deux pintes et un sirop de fraise pour la petite famille…

- Merci Gillou… Je racontais à Caro l’époque où j’étais ici tous les samedi soir…

- Tous les samedi soirs mais pas que, tu partais rarement seul et rarement avec la même fille chaque soir… Mais ça fait au moins un an que je l’ai pas vu traîner ici le soir, sauf quelques fois avec Clémence le samedi après-midi.

- J’y crois pas… Tu me déçois Justin…

- Désolé de ne pas être à la hauteur de tes espérances…

Dans un éclat de rire, nous trinquons, tous les trois, à cette nouvelle vie paisible qui nous attend maintenant, débarrassés de nos problèmes.

Je sens Caro soulagée et heureuse ce soir, légère, son regard lumineux se pose ici et là sur les passants, elle leur sourit sans raison, lorsqu'ils la regardent. Clara est d’un calme apaisant, elle sirote tranquillement son verre, en dessinant sur le petit carnet qu’elle trimballe constamment.

Je les contemple toutes les deux, lorsque je sens une main se poser sur mon épaule et dans un réflexe défensif, je me saisit fermement de ce poignet sur lequel j’initie un mouvement de torsion avant de me rendre compte de sa finesse et de desserrer mon étreinte. Malgré le soulagement de la décision de cet après-midi, je reste encore sur mes gardes.

- Aïe!!! Putain Justin, violent comme bonjour!

Cette voix me fait frissonner et le petit rire qui l’accompagne me fait immédiatement baisser la garde et relâcher totalement mon étreinte…

- Qu’est ce que… Salut Gab…

- Je suis étonnée de te retrouver ici.

- Ce serait à moi d'être étonné, ça fait un an que j’ai pas mis les pieds ici pour une soirée. Et juste le soir où je décide de venir boire un coup, t’es là…Comment tu vas?

- Mieux depuis quelques mois… Et toi?

- Pareil… Il faut dire que ces deux dernières années ont été assez… Acrobatiques…

- Tu peux le dire… Selon certaines de mes copines de promo et mes souvenirs, t’aimes bien les acrobaties…

- Gab… Je désigne Clara et Caro d’un geste de la tête…

- Toujours aussi bien accompagné à ce que je vois…Désolée mesdemoiselles…

- Gaby… Je te présente Caroline et Clara…

- Caroline?

- Oui, c’est bien elle…

- Enchantée… Gabrielle… C’est votre fille? Je suis bête… Ça saute aux yeux! Mais…

- C’est pour ça qu’elle a disparu subitement de la circulation… Clara était dans ma classe cette année… Et du coup… On a pu se retrouver…

- Mais… Le père?

- Justin.

- Merde alors… Du coup… Tous les deux…

- Non, pas avec moi…

- Avec Clémence depuis un an… Elle s’est fait muter aux urgences ici et on vit ensemble…

- Clémence… C’est tellement évident!!! Sinon, le boulot?

- Je viens de finir ma première année de titulaire à Cuques, j’ai remplacé Bernard qui a pris la classe des CE… Ça se passe comment pour toi?

- Il me reste encore un an d’école à tirer, ça se passe bien, même si je regrette ma vie ici…

- Tu prêches un convaincu…

- Papa? On rentre? J’ai sommeil…

- Désolé Gaby…

- La vie de parents… C’est fini la bringue tous les soirs… En tout cas je suis ravie de t’avoir croisé et de voir que t’es heureux…

- Moi aussi… Si tu repasses dans le coin, on s’organisera quelque chose, appelle-moi un de ces jours…

- Je vais voir ça… Bonne nuit jolie demoiselle. A bientôt.

- A bientôt Gaby.

Clara dans les bras, qui s'endort la tête sur mon épaule, je quitte la terrasse bruyante pendant que Caro règle l'addition au comptoir.

- Vous dormez à la maison? J’ai pas vraiment sommeil et j’ai pas envie de rester seul…

- Ça me gène… Mais ça fera plaisir à Clara… Et j’ai pas vraiment sommeil non plus…

- Merci… Je suis désolé, je ne pensais pas croiser Gaby…

- Elle à l’air vraiment sympa pourtant…

- Ouais… Elle l’est… Patiente aussi… En fait je crois c’était ma femme idéale… Trop idéale… Malgré nos petites disputes, elle ne m'a jamais reproché quoi que ce soit… Sauf de ne pas vouloir la suivre à Marseille… Alors que parfois, j’aurais mérité un bon coup de pied au cul…

- Comme Clémence qui hésite pas à te balancer tes erreurs en pleine face…

- Ou comme tu as pu le faire par le passé… Puis c’était une citadine… J’avais bien vu que chez moi elle était malheureuse, elle s’ennuyait vite, elle était faite pour la ville, la foule, le bruit, elle voulait tout avoir sous la main, sans avoir besoin de prendre sa voiture…

Une fois à la maison, je couche Clara dans mon lit, puis m'installe avec Caro sur la terrasse, devant une bonne tasse de tisane et une cigarette.

- Si je me souviens bien de ce que tu m’as dit, j’en déduis que t’es encore stressé par la journée.

- Pas du tout… C’est tout le contraire…

- Pour quelles raisons?

- On est débarrassé de tes parents, au moins pour un moment, j’ai passé une très bonne soirée avec vous deux et je suis soulagé que Gaby n'ait pas l’air de m’en vouloir…

- C’est à ce point?

- Je trouve ça amplement suffisant, non?

- Je parlais de Gabrielle, c’est si important?

- Très… J’aime pas blesser les gens, leur faire du mal et rester sur une mauvaise impression… C’est pour ça que j’ai souffert de notre séparation, au début j’ai vraiment cru que je t’avais fait du mal…

- Justin le bienveillant… Je crois que c’est une des choses que j'aime le plus chez toi… Avec tes piercings et tes tatouages… Et…

- Caro!!!

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