Mardi 1er janvier 2019

7 minutes de lecture

Je ne dors qu’une paire d'heures, indisposé par la mission que je me suis promis d’accomplir le plus tôt possible, j’en profite pour faire couler le café et me servir une grande tasse de thé brûlant que je vais déguster, accompagnée d’un cigarette, dans le froid mordant de l’hiver provençal.

- T’es déjà debout mon chou?

- Salut Caro… Ouais…

- Tu reprends un café?

- Juste de l’eau chaude, ça me suffira. Merci…

- Oui… C’est vrai…

En quelques secondes, je prends la décision de profiter de ce moment en tête à tête pour avoir cette discussion avec elle dès ce matin, crever l'abcès une bonne fois pour toutes et commencer l’année en mettant les choses à plat entre nous.

- Tiens, je t’ai rajouté un peu de jus de citron.

- C’est gentil. La puce dort toujours?

- Oui, avec la nuit qu’elle a passée, ça risque de durer. Ta femme aussi, à ce que j’ai pu voir, elle a le sommeil lourd.

- Elle doit, avec le boulot, elle a pas vraiment le choix.

- T’es sur que ça va Juss? T’as l’air… Bizarre depuis quelques jours…

- Ouais, t’inquiètes…

- On dirait pas…

- Caro, t’es toujours amoureuse de moi?

Elle manque de s'étouffer face à mon manque de tact et recrache une partie de son café dans sa tasse.

- C’est quoi cette question? C’est une blague?

- Je suis sérieux Caro. J’ai besoin que tu me répondes. Franchement.

- Je… J’sais pas trop… Peut-être, oui… Encore un peu… C’est compliqué pour moi Juss, comprends-moi…

- Je te demande pas de te justifier, ni de t’excuser… Je voulais juste savoir.

- Et c’est tout?

- Je suis désolé, mais avant de continuer, je veux que tu me promettes de pas t’enfuir avec Clara.

- M’enfuir? Où ça? Et pour quoi foutre?

- Je sais pas, repartir avec notre fille parce que tu ne supportes pas notre situation. Caro, j’arrive pas à imaginer ce que tu peux ressentir quand tu me vois avec Clémence, dans notre quotidien de petit couple parfaitement heureux, nous tenir par la main, nous embrasser…

- Je vais pas te dire que ça me plait, mais j’ai vécu pire que ça. Je sais que tu l’aimes et je sais qu’elle t’aime, alors je peux pas y faire grand chose. Ce qui se passe entre nous depuis un an, c’est troublant, mais j’en suis ravie et fière. Je peux pas aller contre mes sentiments et certaines fois j’ai un peu de mal à me contrôler, j’en suis désolée mais je suis pas triste ou en colère, je comprends la situation et j’essaye de l’accepter.

- Merci…

- T’es chou de te faire du souci pour moi.

- C’est normal… Je vais être franc Caro, je sais pas ce que me réserve l’avenir avec Clémence, même si j’en ai une vague idée… Et dans l’idée que je m’en fais… Tu fais pas vraiment partie de notre couple… Je suis désolé…

- Désolé de quoi? Je le sais déjà tout ça gros bêta. Un jour, très bientôt, tu vas la demander en mariage, vous allez avoir des enfants et je serai leur tata Caro. Celle qui leur apprendra toutes les bêtises, qui les gardera quand leurs parents voudront s’envoyer en l’air bruyamment ou prendre quelques jours de vacances en amoureux. C’est à moi de m’excuser si mon attitude te fait douter. Pour être franche, j’envie Clémence, je suis même un peu jalouse de votre relation, mais je peux rien y faire alors je me contente de ce que vous me donnez depuis un an. Ce qui s’est passé entre nous, Justin, j’y ai repensé des centaines de fois, ça arrive qu’une seule fois dans une vie normalement, toi, t’as la chance de l’avoir vécu au moins deux fois. Moi j’ai pas envie, pour l’instant, de retenter ma chance et de me planter comme ça a pu t’arriver. Les mecs, l’amour, c’est plus ma priorité, alors je vais boucler mes études, trouver du boulot, m’occuper de notre fille, profiter enfin de la vie. On verra bien ce que l’avenir me réserve.

- Tu te rends compte que tu vois déjà plus loin que moi… Mais je suis content de te l’entendre dire. J’avais besoin de mettre les choses au clair avec toi, je veux pas que tu te fasses de faux espoirs, que tu te prives de trouver un mec parce que tu continue de croire que nous deux c’est encore possible…

- T’es un amour Juss, tu t’inquiètes toujours pour moi et ça me fait du bien de le savoir. T’es un ami formidable, un père exemplaire et je suis vraiment heureuse de pouvoir t’avoir près de moi… Frérot…

- …

- J’aurai encore droit à tes câlins quand même?

- Bien sûr, tant que tu voudras. Mais n’en profite pas trop… Toi aussi t’es une amie formidable et une super maman… Soeurette…

- Merci…

- Ça te dit d’aller gambader un peu? Juste toi et moi… Comme au bon vieux temps.

- Mais…

- Pas de mais… Si t’en a pas envie, j’y vais seul…

- Avec plaisir…

La fin du petit-déjeuner engloutie en vitesse, nous filons, chaudement équipés, sur le plateau de Roquefavour, non sans avoir laissé, bien en vue, un petit mot pour nos deux marmottes.

Le ciel est de ce bleu pur et limpide que seul l’hiver autorise dans notre région, le monde qui nous entoure est d’un calme apaisant, l’air froid est piquant, pourtant, je me retrouve rapidement à suer à grosses gouttes.

Le silence s’est installé entre nous dans l’effort, mais je sourie de l’avoir à mes côtés, les joues rosies, le regard portant au loin, fière et déterminée. Au bout de quelques kilomètres, nous nous accordons une petite pause pour souffler un peu, je crois que les excès de la veille pèsent lourd dans nos jambes.

- C’est vraiment agréable en cette saison, t’as eu une sacrée bonne idée.

- C’est la saison que je préfère pour venir courir. C’est silencieux, paisible, apaisant.

- Évite juste les jours de pluie…

- C’est pas drôle… Mais courir sous la pluie, c’est une sensation tellement plaisante.

- Merci Justin…

- Ça suffit!

- J’ai pas envie d'arrêter quand je regarde et repense à l’année qui vient de s’écouler. On s’est retrouvé, on forme une famille tous les quatre, vous nous avez offert de vraies vacances, j’ai repris mes études… C’est un bilan plus que positif pour moi.

- T’as raison… Je suis un peu plus mitigé de mon côté, mais vous avoir, toutes les trois, à mes côtés, avoir pu tirer un trait sur le fiasco de notre histoire, oublier cette période difficile, mes soucis, mon inquiétude, c’était génial. Même si tout n’a pas été tranquille…

- Mmmh… C’est vrai…

- On rentre avant de choper la mort?

- Yes! On fait la course?

- T’as pas peur toi!!!

- De toi? Tu parles!!!

Elle démarre immédiatement en me bousculant, pensant pouvoir me distancer facilement et je lui laisse prendre un peu d’avance.

- C’est parti!!!

Tranquillement, sans trop forcer l’allure, je lui file le train en regagnant petit à petit mon retard, puis me règle à son allure en restant à ses côtés.

- T’es chiant… Pas drôle…

- Désolé… J’aime pas perdre… On se retrouve à la voiture?

Sans lui laisser le temps de répondre, je la gratifie d’une bonne tape sur les fesses et allonge la foulée pour arriver à la voiture en grimaçant. Même si ça fait un an, je ressens parfois des douleurs à la cheville, comme aujourd’hui après plusieurs jours à forcer.

- Juss? Ça va aller?

- Oui, oui. Ne t’inquiètes pas. Toujours cette petite douleur…

- T’en as parlé à Clems?

- Non, ça va aller je te dis. Si je force pas trop… Si je lui en parle, elle va encore me faire passer une tonne d’examens… C’est juste la fatigue…

Lorsque nous rentrons, nous retrouvons Clara allongée, somnolente, aux côtés de Clémence qui dort encore profondément. Délicatement, elle s’extrait du canapé pour venir se blottir dans les bras de sa mère.

- Coucou ma puce. T’as bien dormi?

- Oui. Mais je me suis réveillée pour aller aux toilettes et j’avais peur d’être toute seule dans le lit.

- C’est pas grave, t’as pas réveillé tata, c’est très bien.

- J’ai fait très attention de pas faire de bruit.

- Merci ma princesse. J’ai droit a un calin moi aussi?

- Oui…

Je la prends dans mes bras tandis que Caro passe le sien autour de mes épaules et dépose un baiser sur la joue de notre fille.

Je profite qu’elle montent prendre leur douche pour aller me blottir contre Clémence et la tirer tendrement du sommeil avec quelques baisers et caresses.

- T’es déjà debout? Tu pues!!!

- T’es la dernière à dormir encore. On a même eu le temps d’aller courir avec Caro… Elle vient de monter prendre la douche avec Clacla.

- Mais il est quelle heure?

- Presque onze heures et demie. Les autres vont bientôt arriver pour le brunch.

- Okay…

Je lui laisse le temps d’émerger, pendant que je lui prépare une tasse de thé et un chocolat chaud pour Clara qui ne tarde pas à réapparaître, suivie de Caro.

Après une bonne séance de galipettes sous la douche, nous rejoignons le reste de la troupe sous la tente. Les visages sont fatigués, les traits tirés, mais les sourires et la bonne humeur de sortie, la suite de la journée se déroule au rythme du rangement, des départs de chacun et des embrassades qui les accompagnent.

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