Décembre 2020 - Janvier 2021

7 minutes de lecture

Clémence avait raison et dès la rentrée, le virus recommence à circuler plus activement, cette fois nous n’y échappons pas malgré les précautions. La multiplication des cas dans les classes et chez les collègues, pousse Bernard à décider d’une fermeture de l’école pour dix jours juste avant les vacances de la Toussaint. Dès le lendemain, Clara présente les premiers symptômes, puis c’est à mon tour et enfin celui des filles, c’est ainsi que nous nous retrouvons tous les quatres, enroulés dans des couvertures, partageant le canapé, des tisanes aux herbes et nos microbes, confinés chez nous.

- C’est quand même fou, avec notre boulot on a côtoyé des centaines de malades et il a suffit que Clara l’attrappe à l’école pour nous contaminer tous…

- C’est bon Caro… C’est pas la fin du monde… Une mauvaise grippe, rien de plus…

- C’est là que je me dis que t’avais raison au début, de nous obliger à porter le masque, même ici…

- Merci… Mais regarde, on a fait comme tout le monde, on s’est laissé aller, on a moins fait attention… Au moins ça nous fait quelques jours de repos…

Une bonne grippe, un peu de fatigue, des courbatures et finalement, après seulement quatre jours, nous sommes déjà capables de chausser nos baskets pour aller trottiner tranquillement et terminer de nous débarrasser des derniers microbes.

La reprise s'accompagne d'un second “confinement”, qui autorise les gens à aller travailler mais pas à profiter de leurs loisirs, suivi par un couvre feu début décembre.

Malgré cela, la construction de nos logements touche à sa fin, nous profitons des fêtes pour aller clore le chantier avec les ouvriers et artisans autour d’un verre, dans ce qui sera désormais notre garage.

Comme les années précédentes, je reste sur place avec Clara pendant les deux semaines, prenant tranquillement mes marques sur notre futur lieu de vie. Nous squattons toujours la grange pour l’instant et j’apprécie de plus en plus de me retrouver ici, sous l’imposante charpente d’époque, rénovée avec soin, l'intérieur sent bon le résineux et me rappelle vaguement la forêt de cèdres de Bonnieux. Nous passons nos premières matinées à chiner à droite et à gauche pour trouver quelques meubles, de la vaisselle, de quoi équiper ou décorer nos maisons et la grange, l’après midi je profite de la, très relative, chaleur pour bricoler.

- Princesse, tu viens dans le jardin avec moi, ou tu veux rester au chaud?

- Tu vas faire quoi?

- Continuer les murets de pierres des jardinières pour que tu puisses planter des fleurs au printemps… M’occuper du jardin…

- C’est moi qui planterais?

- Ben oui! Quelle question!

- Je finis mon dessin et je te rejoins…

- D’accord.

Mes outils à portée de main, je commence par remplir une brouette avec les pierres que les ouvriers ont entassé derrière la grange en prévision de ces petits chantiers que je tiens à mener moi-même.

Je n’ai jamais été un grand bricoleur, mais j’ai toujours essayé de me débrouiller, appris à jardiner et cultiver aux côtés de Manu, la maçonnerie, l'électricité et la plomberie aussi, aux côtés des ouvriers sur le chantier et j’essaye, tant bien que mal, de mettre en application leurs conseils avisés et leurs explications.

Ici, rien de bien sorcier: creuser une petite fondation et la remplir de béton bien liquide pour ne pas avoir à lisser, la laisser poser quelques heures pour qu’il commence à sécher, puis y empiler les pierres en choisissant celles qui s'emboîtent le mieux et les sceller avec un peu de mortier. Un fois que tout est bien sec, il ne reste qu'à combler les joints et les remplir ou remblayer avec de la terre, amendée d’un peu de fumier.

Clara est une nouvelle fois d’une grande aide, son œil avisé et son sens de l’observation ne se trompent que très rarement sur la forme de la pierre à ajouter et rapidement notre équipe est parfaitement rodée.

Après trois jours de boulot, Caro et Clems sont de retour pour admirer notre travail, la première jardinière sied maintenant contre la façade du vieux bâtiment, ce n’est pas encore parfait mais elle se fond parfaitement dans le décor.

- Joli boulot, ça rend super bien…

- Merci, mais je suis pas seul à avoir bossé, Clara m’a assisté comme une cheffe.

- Bravo ma chérie… Tu nous en fera autour de la maison?

- Et autour de la notre aussi?

- C’est prévu, mais vous allez devoir me trouver des pierres… Le stock ne suffira pas.

- Vu le terrain, c’est pas ce qui manquera.

- Au printemps, on préparera le sol autour des maisons pour la pelouse, on devrait en trouver pas mal. Sinon, comment ça se passe au boulot?

- Pas mal de nouveaux cas, mais moins graves, souvent, on garde les patients deux ou trois jours parce qu’ils ont d'autres problèmes de santé, mais rien à voir avec le printemps dernier.

- On est rodées, on connaît la marche à suivre et les gens commencent à comprendre que ça ne sert à rien de venir aux urgences systématiquement. Avant toute chose on les teste, si le test est négatif on les renvoie chez eux, s’il est positif et qu’il n’ont pas de pathologie en parallèle, direction leur médecin traitant. Ils ont installé une tente devant les urgences, pour le tri à la source, ça nous soulage bien et on peut traiter les autres urgence plus tranquillement.

- Ils parlent des premiers vaccins d’ici la fin de l’année…

- Si c’est comme pour les masques, on est pas prêts d’être vaccinés, puis on a pas de recul, donc pour l’instant on va s'abstenir.

- T’as avancé un peu dans la maison?

- Deux chevets, un canapé, une table et quatre chaises, deux lits pour la grange, un peu de vaisselle… J’ai rien trouvé de plus, je pense qu’on récupérera ce dont on a besoin chez nos parents. Caro tu veux récupérer un lit pour Clara?

- Pourquoi pas… Ta commode aussi, si ça te dérange pas…

- Pas de soucis. On a prévu de meubler les chambres avec du neuf, je récupère juste mon lit et les deux canapés.

Après deux jours off pour profiter de la famille et de Noël, les filles reprennent le chemin du boulot et moi j’ai envie de prendre un peu de repos. Je propose donc à Clara de choisir le programme des journées suivantes et sa première proposition nous entraîne évidemment sur les chemins du château de Fressac.

Nous partons de la maison en fin de matinée, avec un bon picnic, longeons les berges humides du Conturby pour emprunter le sentier qui monte par le village. Nous cheminons ensuite dans la forêt où les rayons du soleil se faufilent entre les feuillages des chênes. Clara chantonne à quelques pas devant moi, ramassant, cueillant tout ce qui lui semble avoir un intérêt quelconque. Après deux lacets, nous bifurquons sur la gauche pour prendre le chemin de crête qui nous conduit au pied des anciens remparts.

Nous découvrons ainsi la vue depuis la colline, plongeant directement sur la plaine de Fressac d’un côté et celle de Castellas de l’autre.

- Papa, regarde on voit les maisons d’ici…

- Je me doute bien…

- C’est super beau!!!

- Oui, tu as eu une très bonne idée…

Après avoir fait le tour de la muraille extérieure, nous décidons d’y pénétrer, sans pour autant nous aventurer à l'intérieur des différentes pièces en grande partie effondrées, les risques d’éboulement y sont bien trop présents. J’en profite tout de même pour prendre pas mal de photos, imaginant pouvoir en faire un sujet d’activité pour une de mes futures classes si je suis muté dans le coin.

Nous nous posons sur les escaliers menant au donjon, baignés par les rayons du soleil, pour prendre notre repas, puis, pendant que Clara sort un carnet de dessins et quelques crayons, je m'allonge dans l’herbe et ferme les yeux en m’imprégnant de la quiétude des lieux.

Comme j’en ai pris l’habitude en pays Cathare, j’essaie de m’imaginer la vie ici, même s’il apparaît évident, vu la taille du bâtiment, qu’il servait plus de refuge que de lieu d’habitation. D’après des recherches menées ultérieurement, cet avis était le bon, même si certains récits attestent que Charlemagne puis Blanche de Castille, mère de Saint Louis, y auraient séjourné, le château aurait surtout servi de lieu de repli pendant les Guerres des Camisards.

Le soir, je vante notre visite du jour à Clémence au téléphone, puis Clara s’en charge auprès de Caro, avant de venir me voir pour me montrer les quelques dessins qu’elle a pu réaliser durant la visite puis après notre retour. Je réalise alors qu’elle a un sacré coup de crayon pour une enfant de neuf ans et la complimente sincèrement, en lui demandant de me réaliser quelques vues de notre grange.

Après un réveillon du nouvel an en toute simplicité, en famille avec nos parents, quelques mètres supplémentaires de murets construits et de beaux souvenirs, nous reprenons la direction d’Aix le cœur lourd. Mon passé ici m’avait donné envie de quitter cette région, de laisser derrière moi mon enfance, mon adolescence et les mauvais souvenirs. Mais le futur qui s’annonce a grandement changé la donne, plus le temps passe plus je me rends compte que j’ai du mal à en repartir et à priori je ne suis pas le seul.

La seule éclaircie, c’est de savoir que ce départ n’est que temporaire et que, jusqu’à notre emménagement, à chaque fois que ça nous sera possible, nous reviendrons prendre nos quartiers ici, en nous installant petit à petit dans nos maisons respectives.

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