Été 2021 (1/2)
Mes deux dernières journées à Cuques sont riches en émotions, lorsque j’annonce enfin aux enfants que je les quitte pour changer d’école. Le dernier soir, parents, enfants et collègues sont réunis pour un dernier au-revoir dans la cour de l’école autour d’un verre et de quelques cadeaux qui me touchent profondément.
- Justin, je suis assez ému ce soir, de te dire au-revoir. Depuis ton arrivée ici, tu as donné à tous l’image d’un jeune homme souriant, dynamique, inventif et sérieux, les aléas de ta vie n’ont jamais paru perturber ta bonne humeur et cette positivité que tu affiches en toute circonstances. Nous tenions tous à te remercier pour ces six années passées à nos côtés, pour tout ce que tu nous as apporté tant sur le plan professionnel, que personnel. Nous retiendrons aussi l’humilité dont tu as su faire preuve dans les moments de doute, lorsque quelque chose te paraissait difficile, illogique, tu n’as jamais hésité à venir nous demander de l’aide, c’est une qualité rare de nos jours.
Pour ma part, te voir nous quitter pour voler de tes propres ailes est une preuve de notre réussite à tous et je suis fier de te voir prendre ce nouveau départ. J’espère que tu garderas un bon souvenir de ton passage parmi nous et nous te souhaitons une bonne continuation. Merci Justin.
- Merci Bernard, merci à toute l’équipe pour votre aide, pour l’exemple que vous avez su me donner.
- Mr Fabre… Justin, si je peux me permettre… Je prends la parole au nom de tous les parents d’élèves et de tous les élèves pour simplement vous remercier. On peut dire ce soir que nous perdons un très bon instituteur, nous garderons tous un très bon souvenir de vous et de votre passage dans cette école. Vous avez su vous montrer disponible, accessible pour chacun de nous, ce que vous avez enseigné à nos enfants, même si au départ celà nous a quelque peu interrogés, sera un vrai plus pour leur futur. Bonne chance pour la suite.
- Merci à tous. Je vais faire simple et vous dire que j’ai très souvent fait confiance à mon instinct et à priori j’ai eu raison. Merci à vous tous, parents et enfants, pour ces six années ici, si vous semblez dire que j’ai réussi ma mission, c’est aussi grâce à vous. Cette réussite n’aurait pas été totale sans l’aide et le soutien de tous mes collègues, mais surtout de notre merveilleuse Leïla, qui va énormément me manquer. C’est avec le cœur lourd que je vais quitter cette école et cette région, pour de nouvelles aventures, mais mon pays, mes racines me manquent et j’espère toujours y retrouver l’école de mon enfance. Comme le dit la chanson: ce n’est qu’un au revoir, et si la vie le permet, pourquoi ne pas, peut-être, revenir vivre et enseigner ici un jour… Merci à tous.
- Justin, pour te remercier voici un petit cadeau de notre part à tous. On sait que tu es un amateur de spiritueux, on espère que tu sauras apprécier cette bonne bouteille et la déguster en pensant à nous. Encore merci. Le paquet que me tends Bernard cache une bouteille de whisky écossais, un Ben Nevis de 1995, mon année de naissance, vieilli en fût de Sherry Oloroso. Je ne suis pas un spécialiste mais je suis suffisamment renseigné pour savoir que la dégustation ne me laissera pas sur ma faim, enfin, sur ma soif.
- Justin, voici un petit cadeau de la part de tous les élèves. Nous savons que vous êtes aussi un grand gourmand… De la part des élèves et de leurs parents, je reçois une gigantesque corbeille de produits locaux: calissons, nougats, huile d’olive, confitures, chocolats, vins…
- Je vais devoir continuer à faire du sport avec tout ça… Merci à tous, ça me touche profondément. Avant de partager un verre tous ensemble, j’aimerais faire quelques photos avec les élèves et mes collègues. Je les afficherai dans ma nouvelle classe… Quand j’en aurai une… Je voulais aussi vous remercier de la part de Clara, qui était déçue de ne pas pouvoir venir ce soir pour un dernier au-revoir, ses débuts ici, n’ont pas été faciles, mais vous avez su l’aider du mieux possible. Je vous promets de repasser vous voir avec elle dès le printemps.
Après la séance photo, nous partageons un verre tous ensemble, j’échange quelques mots bienveillants avec certains parents, avant que chacun ne prenne le chemin de vacances bien méritées. De mon côté, en compagnie de ma fidèle coéquipière, je traîne plus que de raison dans ma classe, terminant de retirer photos, affiches et autres, vidant mes tiroirs et placards, puis la tâche terminée, je m’installe un moment derrière mon bureau, promenant une dernière fois mon regard sur cette classe qui m’aura vu devenir l’instituteur que je suis aujourd’hui. Accompagné de Bernard et Leïla, je passe, en me retournant une dernière fois, larmes aux yeux, le portail qui se referme sur ces six belles années, je serre une dernière fois chaleureusement la main de Bernard avant de tomber, ému, dans les bras de ma fidèle assistante.
En rentrant chez moi, je passe un rapide coup de fil à Fressac pour prendre des nouvelles, je grignote timidement quelques restes assis sur la terrasse, au bord de la piscine. Julie et Manu sont, eux aussi, partis pour les Cévennes quelques jours et j’ai la charge de garder la propriété et la chienne, qui somnole tout à côté. Ma soirée s’annonce morose et solitaire, jusqu'à ce que la sonnerie de mon téléphone ne me sorte de mes songes.
- Allo?
- Juss? C’est Gaby, je te dérange?
- Pas vraiment… Je suis en train de déprimer au bord de la piscine…
- Les filles ne sont pas là pour te réconforter?
- Elles sont déjà à Fressac, Julie et Manu à Lézan…
- Tu veux que je vienne passer un moment?
- Si tu veux…
- T’as mangé un bout?
- Quelques restes… J’ai pas vraiment faim ce soir…
- Pizzas?
- T’as le don de trouver les bons mots pour réveiller mon appétit…
- Je suis là dans un quart d’heure.
- Prends à boire, si t’as, c’est la sécheresse ici… A tout de suite.
- D’accord, à tout de suite.
Elle ne tarde pas à débarquer, armée d’un pack de bières, d’une bouteille de rosé et de trois pizzas.
- Ben alors mon chou? T’es triste?
- Ouais… Je crois que je commence tout juste à réaliser… T’as cru qu’on était un régiment?
- Je crois surtout que t’as besoin de te changer les idées… Et moi aussi… La soirée risque de se prolonger… Tiens… A la notre!!!
- A la notre! Merci. Ça me fait drôle de me retrouver ici, seul avec toi… J’ai l’impression de me retrouver quatre ans en arrière…
- Ouais… C’est bizarre… En même temps, ça reste de bons souvenirs, non?
- Oui…
- Mais toi, c’est quoi le problème?
- Je regrette Justin… Je dis pas que c’était parfait entre nous, mais j’étais bien avec toi et ça n'a pas changé. J’ai été conne à l’époque, j’aurai dû serrer un peu plus les dents, quatre ans c’est pas une purge non plus.
- T’étais jeune, moins mature que moi, t’avais besoin de vivre ta vie avant de t’engager… Je comprends tout à fait.
- C’est sur… J’ai profité de la vie pendant mes études… Mais je regrette quand même…
- Imagine, si on était restés ensemble et que six mois plus tard je t’avais annoncé que mon ex était de retour et que j’étais le père de sa fille de six ans, t’aurais réagi comment?
- Je me serai barrée…
- Tu vois qu’au final, y’a rien a regretter… On a passé de bons moments, mais ça n'aurait pas pu durer indéfiniment… Partager ton temps entre tes études, nous deux et Clara, ça aurait été impossible… Et je suis pas sûr que t’aurais supporté la présence de Caro… Puis on est trop différents tous les deux, et… Clems, c’est la femme de ma vie…
- C’est clair… Merci d’être aussi lucide et franc…
- Notre séparation… Ça à été brutal, soudain, je reconnais…
- T’as été cash, je sais que t’y avais déjà réfléchi, on en avait parlé rapidement, mais sur le coup je t’en ai vraiment voulu… J’ai même failli rester, pour t’emmerder… Mais j’ai vite compris que tu ne changerais pas d’avis… Ta vie c’est la campagne, le grand air, moi aussi maintenant, trois ans à Marseille, autant à Aix, je sature…
- Je compatis… Julie t’a appelé?
- C’est pour ça que je t’appelais à la base… Merci de lui avoir passé le message.
- Et?
- On doit encore régler quelques détails, mais, à la rentrée je vais bosser avec elle, passer quelques formations en médecines alternatives et… J'emménage chez toi dès que Manu aura fait quelques travaux…
- Je suis super content, tu seras bien tu verra…
- Je le sais déjà…
- C’est vrai.
- Quand Julie m’a dit qu’elle cherchait un locataire pour la fin de l’été, j’ai pas hésité. Je suis déjà un peu chez moi…
- On en reboit une pour fêter ça?
- Je vais manger un bout aussi, sinon tu vas devoir me ramener…
- Allez, je t’accompagne…
Les pizzas sont délicieuses, la bouteille de rosé ne fait pas long feu et seules les bières arrivent à survivre un peu plus longtemps, tout celà en discutant du passé, de l’avenir, en renouant un vrai contact, bien différent des quelques fois où l'on s’est croisé en ville.
Je passe une vraie bonne soirée en sa compagnie, je me rends compte qu’elle à beaucoup mûri, qu’elle est plus posée, qu’elle s’est tournée vers l’avenir et je ne peux que l’encourager à continuer sur cette voie, la fraîcheur humide de la nuit nous oblige à poursuivre à l’abri, sur la terrasse, où nous nous endormons quelques heures sur nos transats.
Le lendemain après un petit déjeuner frugal et des au-revoirs pleins d’émotions, j’enfile mes baskets pour une dernière ronde autour des ruines de l’Oppidum de Roquefavour, j’ai un tas de souvenirs ici, depuis mes premières visites hésitantes en passant par les sorties de décompression après les moments difficiles, mes premières séances accompagné de Clems ou Caro et les nombreuses ballades avec Clara sur son vélo rose.
Les jours suivants je continue mon pèlerinage en revisitant tous les endroits qui m’ont marqué ici, j’ai besoin de communier une dernière fois avec cette région que j’ai appris à aimer au fil du temps.
Je veux la remercier pour tous ces superbes souvenirs, toutes ces belles aventures et ces magnifiques découvertes: les Gorges du Verdon, les Calanques, le Luberon…
Les filles me manquent, les jours traînent en longueur, mais j’avais besoin de passer ces quelques jours seul ici pour y faire mon deuil, faire le bilan de ces six années ici, de me retrouver seul face à moi-même pour clore cet épisode tumultueux de ma vie, avant de prendre un nouveau départ.
Avant mon départ, j’attends le retour de Julie et Manu pour leur rendre les clés de la maison, les remercier une dernière fois et les inviter dès que possible à passer nous voir. Si quitter Aix me rend simplement triste, quitter ceux qui sont devenus plus que de simples hôtes provoque l’apparition de quelques larmes, partagées et je crois que ce sont eux qui me manqueront le plus. Ils ont toujours été là quand j’en ai eu besoin, pour passer un bon moment ou me prodiguer leurs conseils et je leur en suis extrêmement reconnaissant.
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