Rentrée 2021

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- Justin! Bienvenue chez toi! Quel plaisir de te retrouver de l’autre côté du bureau!

- Le plaisir est sincèrement partagé.

- Alors, tu nous racontes un peu? J’ai du mal à croire que le petit Justin Fabre que nous avons connu, ait pu se destiner à l'enseignement.

- Comme quoi… Rien n’est jamais acquis… Ca m’est venu au fil du temps, j’ai compris ce que je voulais faire petit à petit, j’aimais aider mes camarades à réviser, leur expliquer les leçons, partager mes connaissances, mais je ne voulais pas me borner à une seule matière, même si je me suis découvert un penchant pour l’histoire et les langues. Après le lycée, je suis parti en fac de Lettres en Avignon, puis à l'ESPE d’Aix en Provence où j’ai exercé à l’école de Cuques jusqu’en Juillet dernier.

- Pourquoi ne pas être allé à Montpellier?

- Raisons personnelles… J’ai perdu de vue Caroline, ma petite amie de l’époque, du jour au lendemain, sans explications, alors que j’étais en première, j’ai fait un an de dépression, trois tentatives de suicide, passé mon bac en décalé en septembre 2012 et Avignon est la première fac de Lettres qui a validé mon inscription. J’ai quitté le Vaucluse trois ans plus tard pour Aix en Provence, licence en poche après le départ de ma petite amie de l’époque qui est rentrée aux Etats-Unis. Ensuite, en 2017 j’ai pris mes fonctions de titulaire à Aix et retrouvé Caroline, qui m’a annoncé que nous étions parents d’une petite Clara, élève de ma première classe de CP.

- D’accord, je comprends mieux le courrier de l’académie concernant son inscription tardive.

- En 2019, avec ma compagne actuelle, qui est infirmière et originaire d’Anduze, nous avons acheté un terrain dans la plaine de Fressac, pour revenir vivre ici, nous avons emménagé dans notre maison en juillet dernier. Voilà pour les grandes lignes…

- Ah oui… Une vie compliquée… Mais tu habites avec Caroline et votre fille?

- Plus ou moins... Elles vivent juste à côté de chez nous, sur un morceau de notre terrain qu’on leur a cédé, Caro a grandi à Alès, elle est Cévenole elle aussi, lorsqu’elle s’est retrouvée enceinte de Clara, ses parents l’ont quasiment reniée et envoyée vivre chez ses grand parents en Auvergne, de là, elle a débarqué à Aix six ans plus tard avec la petite et nous nous sommes retrouvés. Vous verrez, Clara est une petite fille intelligente, équilibrée, proche de la nature, curieuse qui s’est très vite adaptée à la situation.

- Un peu comme son père!!! J’ai vu les comptes rendus de la psy scolaire dans son dossier. Je me faisais un peu de soucis, mais je suis rassuré maintenant que je connais un peu son histoire et ses parents. J’ai aussi contacté Mr Sérix qui m’a fait son éloge, ainsi que la tienne et je suis ravi qu’un enfant du village prenne un poste ici. Je te laisse t’installer dans ta salle de classe, la même qu’à ton passage parmi nous, aménage là à ta convenance et fait en sorte que tout le monde s’y sente bien.

- Merci.

En guise d’installation, aujourd’hui, j’entasse mes quatre cartons dans un coin puis me pose simplement derrière mon bureau en survolant la liste de mes futurs élèves, j’y repère quelques noms d’anciens camarades de l’époque ou de familles connues dans le village.

Le lendemain, les filles ont rendez-vous sur leur futur lieu de travail et Clara m’accompagne à l'école pour commencer à décorer notre classe. Nostalgique, je ne renouvelle pas mon stock d’affiches, seule la grande planche avec les photos du village disparaît pour laisser place à une nouvelle composition d’image d’Aix et de tous les endroits que nous avons visité, ainsi qu’une frise réalisée en fin d’année dernière par mes petits sur laquelle j’ajoute les photos que nous avons pris tous ensemble le jour de mon départ.

- Papa? Je pourrai m’installer ici?

- On verra… J’ai bien envie de vous laisser choisir vos places comme des grands.

- Chouette!

- Tu sais ce que tu pourrais faire? Je vais te donner la liste des élèves et tu vas fabriquer de petites étiquettes avec le prénom de chacun, ce sera ton cadeau de bienvenue pour eux et moi, ça me permettra de les reconnaître au début.

- D’accord, c’est une super idée!

- Allez Miss Clara, au boulot!

A peine s’est elle attelée à cette tâche que trois coups rapides à la porte nous interrompent.

- Justin? Je te dérange?

- Non, on est en train de préparer la rentrée avec Clara. Entrez.

- D’accord. Bonjour Clara, je suis Mr Jouves, le directeur de l’école et l’instituteur de la classe de CP-CE1.

- Bonjour Mr Jouves.

Elle quitte sa chaise pour venir le saluer et lui tendre la main en souriant avant de retourner à ses occupations.

- Et bien… Tu me rappelles vaguement quelqu’un… Justin, tu ne peux pas la renier, elle te ressemble au même âge, en plus posée tout de même…

- Il parait oui… Je ne m'en souviens pas vraiment.

- Mamie dit tout le temps que tu n'arrêtais pas de bouger et de faire des bêtises…

- Mamie… Tes parents vont bien? Ça fait un bout de temps que je ne les ai plus croisés dans le village.

- Oui, très bien, ils prennent bientôt leur retraite et préparent la reprise du cabinet toute la semaine, alors le weekend, ils sont souvent en vadrouille.

- Ça doit les soulager que tu reviennes dans la région.

- C’est sûr, ils étaient inquiets quand je suis parti, puis ils vont aussi pouvoir profiter de leur petite fille maintenant.

- Tout à fait. Bon je vous laisse bosser un peu, à plus tard.

- A plus tard.

*****

Le jour de la rentrée des élèves lorsque je me présente devant l'école avec Clara à mes côtés, mon émotion est palpable. J’y retrouve de nombreux visages connus, tandis qu’eux ont plus de difficultés à me reconnaître et il faut que Claude, Mr Jouves, fasse les présentations. Pourtant, en dehors de ma longue tignasse, que j’ai un peu raccourcie et coiffée en chignon, de mes nombreux piercings et de ma barbe, taillée avec minutie, je n’ai pas l’impression d’avoir tellement changé. Tant bien que mal, j’ai essayé de cacher mes tatouages sous des manches longues, non pas que j’en ai honte, mais je préfère la discrétion pour l’instant, les piercings sont suffisamment visibles pour faire parler les gens, même si j’en ai réduit le nombre et la taille.

- Salut Justin! Je suis heureuse de te voir.

- Salut Céline, je suis heureux moi aussi.

- Ca fait un moment qu’on ne t’a pas vu au restaurant.

- Oui… Disons qu’on a peu de temps libre, mais on viendra un de ces soirs, en famille.

- Tu es revenu chez tes parents?

- Non, on vit à Fressac avec Clémence, on a acheté un bout de terrain et construit notre maison…

- D’accord et je suppose que Caroline vous a suivi?

- Oui et pour de bon cette fois… Tu reconnais Clara, ma petite princesse?

- Elle a bien grandi… A ce sujet, tu m’as pas tout raconté.

- Disons simplement que ça n'a pas été de tout repos…

- J’en ai entendu parler, c’est vraiment horrible ce qu’ils vous ont fait… Effectivement t’as des choses à me raconter…

- Oh oui…

- Bon courage Justin, à bientôt.

- Merci Céline, à bientôt.

C’est la seule personne que je connais et qui prend le temps de venir me demander des nouvelles ce matin, les autres se contentant d’un simple bonjour, le plus souvent chaleureux et souriant. Parmi mes élèves se trouvent Mathis, le fils de Céline, ainsi que Lucie, la petite-fille de Serge, l’oncle de Julie et quelques neveux, nièces ou enfants de mes anciens camarades du village.

Ces deux-là entraînent immédiatement Clara, qui me quitte volontiers, pour aller faire connaissance avec ses nouveaux camarades.

Je souris en les voyant s’éloigner tous les trois, comme de vieux amis et je suis soulagé que Clara ait choisi de les suivre d'elle-même.

Lorsque Claude fait retentir la cloche, à l’ancienne, comme j’ai pu connaître ici même, les élèves s’alignent chaotiquement devant la porte de leurs classes respectives. Tandis que mes collègues luttent pour obtenir un semblant de calme et d’ordre, je décide de mettre mes élèves en face de leurs responsabilités.

- Bonjour à tous! Vous êtes les plus grands de cette école, c’est à vous de montrer l’exemple aux plus petits!

- Oui monsieur!

La réponse est collégiale, même s’il me semble qu’un discret “Oui papa”, que je fais mine de ne pas entendre, s’échappe du groupe et le rang se forme en un instant.

- Merci, vous pouvez entrer et vous installer à la place de votre choix, les CM1 côté fenêtre, les CM2 côté couloir. Clara va vous distribuer les petites cartes qu’elle a réalisées avec votre prénom.

Dans le calme la trentaine d’élèves s’installe tandis que ma fille distribue à chacun son petit cadeau avant de venir s’installer entre Mathis et Lucie.

Bravo et merci pour votre comportement exemplaire. Continuez comme ça, c’est très bien.

Je me présente, je suis Mr Fabre, votre nouvel instituteur. Certains me connaissent déjà puisque je suis né, j’ai grandi ici et que j’étais à votre place avec leurs parents il y a quelques années. Nous allons faire un tour de classe et chacun pourra se présenter et nous parler de lui s’il le souhaite, ça me permettra de commencer à vous connaître et vous reconnaître pour certains.

Cette première journée est pour nous l’occasion de faire connaissance, comme je le faisais à Aix, par de petits jeux ludiques, puis de leur faire réaliser une petite évaluation générale pour déterminer leur niveau et adapter le début du programme pour que chacun puisse progresser à son rythme.

- Alors cette première journée?

- Trop bien, j’ai retrouvé Mathis et Lulu, du coup je suis pas toute seule cette fois.

- Génial… Et toi mon chou?

- Parfaite! Ça me change des tout petits, c’est très différent, bien plus calme, mais ça s’annonce super intéressant. Vous avez le bonjour de Céline.

- T’es allé manger au resto?

- Mais non, on a mangé chez mes parents!!! J’ai discuté avec elle à l'entrée des élèves ce matin, puis j’ai recroisé certaines connaissances et leurs enfants. C’était bizarre…

- Je pense que certaines infos ont déjà circulé dans le village…

- Tu crois? Pourtant Céline ne semblait pas spécialement au courant…

- On s’en fout de toute façon!

- Ecoute ta femme, elle a raison…

Même si je suis d’accord avec les filles, je suis tout de même un peu inquiet au sujet des bruits qui ont pu circuler dans le village depuis toutes ces années. Je ne veux pas en faire cas, mais je vais devoir me méfier, surtout pour Clara et Caro, afin qu’elles ne soient pas exposées inutilement aux fausses rumeurs.

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