Chapitre 1
Au premier "non", prononcé pour affirmer sa volonté du petit être qu’il était, Patrice comprit qu’un mot, juste et bien placé, pouvait faire réagir son entourage. Et même si la réaction des premiers spectateurs fut le rire, il voyait qu’il pouvait se faire entendre.
Au premier "oui" qui compta réellement dans sa vie, prononcé pour sceller son union à l’église, Patrice constata qu’un mot, juste et bien placé, pouvait fédérer des personnes de tout âge et de toute condition. Et même s’il s’agissait d’un projet personnel, il voyait qu’il pouvait se faire comprendre.
Entre ces deux étapes de sa vie, Patrice assimila d’innombrables mots qu’il manipula à la manière d’un alchimiste afin de créer autant de nuances entre le vrai et le faux, le oui et le non. Très vite, il comprit l’utilité des métaphores, la puissance des intonations ou la valeur du vocabulaire. Autant de matériaux qui lui permirent, année après année, d’étudier, d’enseigner, de diriger ou encore de conseiller. Aussi, son naturel affable et son adaptabilité lui ouvrirent l’accès à des professions où la communication et la stratégie étaient reines. Il occupa de grands postes au service de dirigeants encore plus grands tel Alexandre Hollinger, Directeur France d’une multinationale aux multiples casquettes.
Le jeune prodige, fils de bonne famille, que Patrice accompagnait depuis plusieurs années, avait dû prouver son excellence face à un père intransigeant. Formé à l’école militaire, diplômé des X et de Harvard, Hollinger fils se fit rapidement remarquer pour ses qualités de gestionnaire et de visionnaire hors pair. Des atouts qui lui ouvrirent les portes des plus grosses valeurs du CAC 40. Aussi, si certains le prédisaient ministrable dans les années à venir, Alexandre gardait toutefois les pieds sur terre. Les deux : un en avant, vers un avenir atteignable sur lequel il portait des ambitions certaines et l’autre bien ancré au sol, comme fondation de ses réalisations du présent. Mais le jeune CEO le savait mieux que quiconque : on ne pouvait pas porter de grandes ambitions seul. Pour marcher loin et longtemps, il fallait être accompagné. Bien accompagné.
Ainsi, si au sommet du pouvoir la confiance restait un rapport variable, à l’instar des cours de la Bourse, l’indice de satisfaction du jeune dirigeant envers Patrice, son collaborateur — de 18 ans son aîné — était au plus haut et rivalisait avec la reconnaissance qu’il lui vouait non seulement pour ses aptitudes professionnelles, indiscutables, mais surtout pour une qualité rare qui ne s’apprenait nulle part : la discrétion. En effet, le secrétaire général avait su rester dans l’ombre sans jamais vouloir voler la vedette aux interprètes pour qui il avait exercé.
Pourtant, en ce mardi 21 septembre, les rôles étaient exceptionnellement inversés. Un temps de rassemblement dédié à l’homme de l’ombre était organisé. Évidemment, tous avaient en mémoire son talent pour écrire des mots — justes et bien placés — et son humilité pour les offrir à celles et ceux qui avaient la tâche de les interpréter.
Comme Alexandre qui, le visage grave et les yeux embués, se recueillait en cet instant, devant les 300 autres invités, à la mémoire de Patrice Maubert, né le 12 mars 1967 et décédé le 17 septembre 2021.
Et pour la première fois, le directeur allait devoir mettre en lumière son fidèle homme de l’ombre avec ses mots.
Ses propres mots.
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