Folie
— Monsieur Pierre Vidal, vous comparaissez ce jour pour le meurtre de votre concubine, madame Jade Alanis. Votre Avocat, Maître Simon ici présent, et chargé de votre défense dans cette affaire.
Pierre était debout, les mains liées par des menottes qu’il avait appris à apprivoiser. Le visage de la justice était si froid qu’il ressentait dans la dureté de ses yeux, le poids d’une administration qui lui faisait courber l’échine.
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Son avocat, jeune loup aux dents longues, semblait confiant; du moins, jouait-il à la perfection son rôle. Sa crinière et son regard perçant faisait de lui une espèce de chimère à la croisée entre l’aigle et le lion.
Toutefois, à la lecture de l’acte de saisine par le juge, Pierre sentait le monde se dérober. Aussi doué soit-il, son avocat n’avait aucune chance d’obtenir une ordonnance de non-lieu.
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Son procès fût si court. Les circonstances et les preuves apportées étaient si fortes. Lui-même n’en revenait pas. Il avait appris que Jade l’avait trompée avec de trop nombreux amants, dont certains étaient ses amis ! Il avait cru perdre la tête à la lecture des messages qu’elle avait échangé avec eux. Ils avaient été retranscrits de l’historique de son smartphone. À ce moment, il avait perdu le contrôle, et s’était mis à hurler toute sa haine.
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Lorsque les photos de la scène de crime avaient été diffusées par le Ministère Public, il était si énervé qu’aucune larme ni aucun sentiment n’apparu sur son visage. Il n’avait qu’une idée en tête, se venger. Il avait même oublié la raison de sa présence sur les bancs de la Justice.
L’assemblée vit apparaitre à l’écran, le corps nu d’une jeune femme, allongée dans l’eau rougi de sa baignoire.
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La beauté de ses courbes était toutefois détournée par un trou béant dans l’estomac, qui écartait tout désir naissant devant la perfection d’une si belle création.
Dans son agonie, elle avait désignée son assassin avec l’ancre de son propre sang, qui avait dû abondamment s’écouler de cette horrible blessure, qui lui serait fatale. Sur le mur de la baignoire était inscrit la terrible dénonciation :
« Pier pa »
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Le Ministère Public et le Juge avaient rapidement conclu que ces mots désignaient l’auteur de ce crime passionnel. Pourquoi avait-elle également précisé l'arme utilisée, cette question restera à jamais le secret de cette âme tourmentée, toutefois, le pistolet automatique de Pierre avait été retrouvé sur la table de la cuisine, et ses empreintes étaient partout. Huit balles dormaient dans le corps de sa victime.
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— Le prévenu, est accusé d’avoir volontairement atteint à la vie de sa concubine, madame Jade Alanis. Les preuves apportées par le Ministère Public rendent certaine la culpabilité du prévenu. Une peine de réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une période de sûreté de dix-huit ans est ordonnée contre Monsieur Pierre Vidal, et prend effet immédiatement.
C’est terminé. Sa vie venait de sombrer. Tout avait si vite basculé. Il allait en prison.
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Sa cellule était si petite pour trois hommes. Cette promiscuité le terrorisait.
Il y avait Tony, son voisin de lit, qui dormait dans le lit au dessus du sien. Un italien, homme de main de la mafia qui organisait des assassinats en France, pour le compte de sa famille.
De l’autre côté de la pièce, dans le seul lit occupé, il y avait Bruno, qui voulait être appelé Aboubakeur. Il était incarcéré pour trafic de drogue.
— T’es tombé pour quoi toi ?
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— Pour meurtre. Mais je suis innocent.
Les deux codétenus rires bruyamment. La promiscuité semblait avoir rapproché ces deux hommes au passé bien trouble.
— Ba bien sûr ! On est tous innocents ici, crachèrent-ils ironiquement.
Les prisons renfermaient toutes ces gens qui avaient faits le choix de violer les règles communes établies par la société.
— L’harmonie est un équilibre, nous sommes juste de l’autre côté de la route, souffla Tony.
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— Moi, je crois que c’est la société qui est criminelle, je suis le bras armé du Créateur qui venge les actions de ces mécréants, dit Bruno.
— C’est bon, on sait, Abou, commence pas à faire peur à notre nouvel ami. C’est un meurtrier innocent je te rappelle. Toi, tu t’es juste fais prendre avec de la drogue. Le large sourire de Tony transpirait la malveillance, lorsqu’il lui demanda qui était la victime qui l’avait conduit ici.
— Ma fiancée…
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— On déteste ceux qui font du mal aux femmes. On a des principes.
— Ouai ! Tu sais ce qui leurs arrive à ces gars qui tuent des femmes ?
— Laisse, il l’apprendra vite. Les gardiens vont bientôt le trouver, c’est l’heure de nourrir l’Animal.
Qui était cet animal ? Une nouvelle méthode pour accueillir les détenus avec une forme de bienveillance ?
Pierre se trompait lourdement. L’enfer était plus doux que ce qui venait.
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L’Animal était un surnom. Celui d’un fou, d’un déséquilibré si inquiétant. Il était promené dans les couloirs de la prison par des gardiens, qui riaient aux éclats en tenant en laisse cet être qui n’avait plus rien d’humain. Il marchait à quatre pattes. Il était tout juste vêtu d’un pantalon en toile terriblement sale. Un masque recouvrait son visage, amplifiait ses grognements, qui venaient d’un autre monde.
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— C’est l’heure du repas l’Animal.
Plus les grognements de cet être se rapprochaient, plus les sourires de ses codétenus s’élargissaient. La menace qu’ils avaient proféré quelques instants auparavant devenait de plus en plus réelle. Pourquoi les gardiens parlaient de repas ? Qu’allait-il se passer ?
Il entendit les pas s’arrêter. Les clefs entrer dans la serrure. Ses yeux se fermèrent, pour fuir l’horreur qui venait.
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Des hurlements de terreur se mirent à emplir les murs de la prison. Ils gargouillaient de cette angoissante peur de la mort.
— Doucement, l’Animal ! Il est affamé aujourd’hui, on dirait.
Les hurlements étaient cadencés par un bruit de peau qui claquait.
Pierre reprit était choqué, dans la cellule voisine, un homme se faisait violer par cet bête affamé, de sexe !
— Tu as compris, tueur de femme ? La bête est un violeur. T’es le prochain.
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L’Animal était une espèce de violeur, qui tuait ses victimes, avant de les dévorer pendant qu’il abusait de leurs corps. Il était une espèce d’incarnation de la bestialité des instincts primaires de l’être humain. Une telle abjection ne pouvait avoir été engendrée que par le Mal en personne. La légende disait qu’il était né dans la forêt, qu’il se nourrissait comme un charognard jusqu’à ce qu’il découvre le goût de sa première victime.
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Un jour, Pierre fût ligoté à son lit par les gardiens. Il sût que l’horreur allait survenir. Ses codétenus, les yeux écarquillés par la peur, restèrent figés sur leurs matelas. Le moindre geste pouvait les condamner à partager le sort de Pierre.
Les hurlements ne cessèrent que longtemps après le départ de l’Animal. Les poignets de Pierre saignaient. Les menottes avaient déchirées sa chair et la folie qui l’envahit lui valu l'isolement.
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