Pars
Les jours passèrent comme des mois, et furent des années. Pierre avait perdu la notion du temps qui s’écoule. Sa cellule faisait quelques mètres carrés et comprenait un lit de béton, encastré dans l’un des murs, ce qui lui permettait d’être dépourvu de pieds. Au fond de la pièce, un lavabo et des toilettes à la turque faisaient office de salle de bain. Ses journées étaient rythmées par ses deux repas quotidiens, glissés sous sa porte.
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Depuis sa rencontre avec l’Animal, Pierre avait changé. Il était devenu quelqu’un d’autre. Il devint violent et agressif. Il avait laissé pour mort, Bruno, l’un de ses codétenus, qu’il avait battu jusqu’à l’arrivée si tardive des gardiens. Bruno n’était que le premier d’une longue liste. L’administration pénitentiaire avait alors ordonné qu’il soit placé à l’isolement jusqu’à ce que son comportement s’améliore. Mais la prison, et surtout, l’Animal, avaient profondément changé sa nature.
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Toute la journée, il restait assis en tailleur sur son lit, et il méditait. Il avait découvert cette pratique lorsqu’un gardien avait déposé sur son plateau repas, un livre étonnant d’un certain John Kabat-Zinn, sur la méditation de la pleine conscience. Ce livre lui avait permis d’arrêter de se focaliser sur son passé, sur ce qui l’avait conduis dans ce lieu infernal. Il avait trouvé le seul moyen d’échapper au terrible mal qui vivait ici.
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En devenant violent, ses codétenus s’étaient mis à l’éviter, et les gardiens aussi. L’isolement était la solution. Il avait donc gravement blessé l’Animal, le jouet infernal des surveillants, puis il s’était retourné aveuglément contre tous ceux qui croisaient son regard. Il avait alors eut le temps de réfléchir à tout ce qui lui était arrivé ces derniers temps. Sa vie avait pris un cap qu’il n’avait jamais envisagé.
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Il ne comprenait toujours pas pourquoi Jade l’avait désignée comme son assassin. Qui l’avait tuée, et pourquoi ? Il avait beau y réfléchir sans cesse, son esprit était incontrôlable. Jusqu’à ce qu’il apprenne à méditer. Il découvrit alors le bonheur d’un esprit apaisé. Il ne jugeait plus ses pensées, mais les regardait simplement passer. Un nouveau monde s’offrit à lui. Il voyageait en pensée, et un jour, il entendit une voix !
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— Pierre. Tu es là ?
Il ouvrit les yeux, sa cellule était silencieuse. Qui lui parlait ? Était-ce son esprit qui jouait avec lui ?
— Pierre, n’ai pas peur.
Aucun gardien n’osait lui adresser la parole, personne ne venait le voir ni ne lui parlait. Il était déboussolé.
— Je sais tout Pierre. Tu dois sortir d’ici.
Il se redressa, et osa enfin répondre à cette voix mystérieuse.
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— Qui êtes vous ?
— Qui je suis importe moins que la réponse à cette question ; te connais-tu, Pierre ?
— Je suis moi. Pierre. Incarcéré à vie pour un meurtre que je n’ai pas commis ! Celui de ma fiancée, qui avait choisi de me tromper, avec le monde entier !
Trois coups résonnèrent dans la cellule. Le gardien avait frappé la porte blindée, sûrement avec la crosse de son arme.
— Du calme, lui ordonna-t-il.
— Que me veux-tu, demanda Pierre.
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La voix n’avait daignée lui répondre. Les jours passèrent encore, et l’esprit de Pierre était perturbé, il n’avait désormais qu’une idée en tête, fuir cet enfer. Jusqu’au soir où il entendit :
— Pars maintenant, et venge toi.
Un déclic dans sa porte se fit surgir de son état méditatif. La porte de sa cellule, qui n’avait été ouverte qu’une fois, pour le faire entrer, s’entrouva.
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Que se passait-il ? Un piège, sûrement. S’il sortait, il serait sûrement battu, voir abattu par les gardiens. Le prix à payer pour sa violence.
Il resta ainsi, debout, à attendra qu’un groupe de gardiens entre pour le réduire au silence. Mais il ne partirait pas sans lutter, jusqu’au bout. Il attendit, longtemps, jusqu’à ce que la curiosité devienne plus forte que la peur.
Le couloir était désert, et sombre.
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Debout, à l’intersection, il vit une forme, celle d’un homme âgé, vêtu comme lui. La faible lumière d’un néon qui clignotait rendait fantomatique cette présence, qui lui fit un signe, lui indiquant une direction, sur sa droite. Le temps que Pierre vérifie l’absence de gardien dans ce sombre couloir, le vieil homme avait disparu.
Pierre suivi en silence le chemin indiqué. Aucun gardien.
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Au fond du dédale déserté par toute forme de vie, une porte mettait fin à son aventure.
— À quoi ça sert, je suis bloqué ici, marmonna-t-il.
— Avance. Fais moi confiance.
La voix était revenue ! Était-ce le vieil homme qui lui parlait ? Un frisson le parcouru à cet instant précis, et la porte qui lui faisait face, s’ouvrit, en silence.
De l’autre côté, la mer. La porte débouchait sur une falaise qui surplombait la mer !
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Il était dehors ! Le choix qui s’offrait à lui était simple, soit il faisait demi-tour et retournait dans sa cellule, soit il faisait un pas dans le vide, et plongeait vers une eau qui pourrait avoir raison de lui. Les deux choix étaient mortels. Soit le temps aurait raison de lui, soit il prenait la décision d’en finir, maintenant.
La porte qu’il avait franchit, claqua violemment derrière lui, dans un bruit assourdissant.
Et il plongea.
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Le choc de son corps contre l’eau fut terrible, mais il était vivant. Il avait survécu, et à présent, il devait nager. Peut-être atteindrait-il la terre ferme, il se souvenait que cette prison était entourée d’un océan infesté de requins…
S’il était capable de survivre à cette épreuve, il aurait l’occasion de se venger, et de trouver la sérénité d’un esprit apaisé. Alors il pourrait pardonner.
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Pour oublier ce qui rodait autour de lui, il fit le vide dans son esprit, alors qu’il nageait lentement en économisant ses forces. La côte n’était pas encore visible.
Il élabora un plan. Il décida de se venger de tous ceux qui avaient souillés Jade, et il se promis de retrouver celui qui l’avait assassiné. Pour trouver la paix.
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