Chapitre 8 : Une bagarre importune
Pour me remercier, la jeune femme m'offrit un autre verre et nous pûmes discuter calmement. J'appris donc qu'elle s’appelait Emma, qu'elle était en école de commerce et qu’elle était simplement venue boire une boisson pour passer du bon temps avant ses examens de la semaine prochaine. Notre conversation dura deux bonnes heures et, après cela, je lui proposai de la raccompagner chez elle pour être sûr qu’elle ne fasse pas d’autres mauvaises rencontres.
Proposition qu'elle accepta avec joie.
Nous marchions en silence, l’un à côté de l’autre. Arrivés devant son immeuble, tandis que je m’apprêtais à lui souhaiter une bonne soirée et à la laisser, elle m’embrassa. Et je tenais à préciser que c’était elle qui avait fait le premier pas et que je n'avais pas agi plus tôt dans ce but ! Mais si une jolie fille vous embrasse, car oui elle était plutôt mignonne, c'est compliqué de dire non. Bon c'est vrai, je n'avais pas essayé de la repousser non plus. Nous montâmes dans son appartement et nous apprêtions à faire… des choses de grands.
Pas besoin de vous faire un dessin je suppose.
Enfin en réalité, il n'y aurait pas eu grand-chose à dessiner de toute manière, car il ne se passa rien entre nous. Pourquoi ? Car mon « colocataire spirituel » pensa que c'était le bon moment pour me faire part de ses conseils et expériences à propos des relations sexuelles.
J'étais en train d'enlever mon tee-shirt, et Emma commençait à se déshabiller aussi. Nous étions dans sa chambre, sur son lit, ma main glissait doucement sur son corps chaud et tout allait pour le mieux.
Mes lèvres s’approchèrent des siennes lorsque soudain…
« À mon époque, on ne faisait pas ce genre de chose aussi vite. »
Je m’arrêtai net, cessant tout ce que je faisais. Je vous avais dit que je commençais à l'apprécier ce dieu de pacotille, non ? Eh bien là, je n’avais jamais détesté quelqu'un comme je l'avais maudit à cet instant. Sans exagérer.
« Tout va bien ? me demanda Emma, étonnée que je me sois figé aussi subitement.
— On était plus civilisé avant, poursuivit Astérion dans ma tête. On avait des rapports sexuels aussi, bien sûr, mais pas dès le premier soir. Les hommes sont vraiment devenus un peu trop libres et ouverts si tu veux mon avis…
— Sors tout de suite de ma tête ! répliquai-je en pensée. Il y a des choses que j'aimerais faire sans avoir quelqu'un qui m'observe !
— Tu es trop pudique ! Tu sais, même moi je passais du bon temps avec des mortelles, et elles étaient très jolies aussi ! »
Dans ma tête, sans que je ne m’y attende, ont alors jailli des images d’Astérion sous une taille humaine en train de copuler avec de jeunes femmes des anciens temps. J’eus immédiatement la nausée et cela me prit quelques instants pour me ressaisir.
« ENLÈVE ÇA DE MA TÊTE ! »
Les images cessèrent aussitôt mais j’en avais assez vu pour être choqué pour le reste de ma vie. Il allait falloir qu’on parle de ce qu’il avait le droit ou non de montrer ! N’avait-il donc aucune pudeur ?! Il n'était pas intervenu lorsque je me battais à peine deux heures plus tôt et maintenant que j'étais seul avec une fille, il se réveillait, trouvant probablement le spectacle plus intéressant ! Et il venait de me montrer des choses que jamais je n’aurais voulu voir de ma vie !
« Peter, qu'est ce qui se passe ? me redemanda Emma, qui commençait à présent à s'impatienter. »
Après tout, ce n’est pas comme si j'étais au-dessus d'elle, les yeux clos, fixe comme une statue en train de débattre intérieurement. Astérion venait de me couper toute envie en à peine quelques secondes. J'étais dépité. Savoir que je ne pouvais plus rien faire sans qu'il soit là à m'observer était horrible à concevoir. Du moins, tant que je n'arriverais pas à lui bloquer l'accès avec plus d’aisance.
Je m’écartai d'Emma et commençai à me rhabiller.
« Je suis désolé, je me suis souvenu que j'avais un truc à faire... bougonnai-je, rouge de colère et de honte, en remettant mon pantalon. »
Pitoyable excuse mais c’est tout ce que j’avais trouvé !
Elle me regarda, surprise d'abord, un peu énervée ensuite.
« Tu as déjà une copine, c'est ça ?!
— Non, non ! J'ai plutôt… un chaperon aux yeux qui traînent. »
Elle me fixa de ses yeux sombres, abasourdie.
« Je suis désolé, redis-je de nouveau en enfilant mon tee-shirt. »
Je pris mes chaussures et me dirigeai vers la porte en laissant une jolie fille à moitié nu totalement désemparée sur son lit.
Maudit soit-il !
Je sortis pieds nus, mon manteau sous le bras dans la rue, en tâchant de supprimer à jamais ces images de ma mémoire.
Je terminais de me rhabiller, tout en me disputant avec Astérion :
« J'ai le droit à un peu d’intimité ! commençai-je, hors de moi.
— J'ai le droit de donner mon avis, je te ferais remarquer que je vois par ton intermédiaire ! répliqua-t-il agacé par mes revendications qu’il devait trouver insolente.
— Et c'est de ma faute peut-être ?! Non mais je te signale que J'AI interrompu un très bon moment parce que je me suis rendu compte que TU m'observais ! Je suis presque sûr que tu peux rester dans ton coin sans t'occuper de MES affaires si tu le souhaites ! Sans oublier que je n’aurais jamais souhaité te voir faire… ça, avec d’autres femmes ! C’est dégoutant !
— Tu es vraiment absurde ! Et puis je t'ai prévenu que te rapprocher de personnes les mettrait en danger mais tu persistes à vouloir combler tes désirs masculins !
— Mes désirs mascu… Non mais attends ! Je suis jeune, j'ai le droit de vivre ! Je n'ai rien voulu de tout ça et je ne vais pas me priver parce qu’un dieu me dit que je dois sauver le monde ! Je fais ce que je veux !
— Oh que non tu ne fais pas ce que tu veux ! Tu crois avoir le choix de laisser quelqu'un d'autre s'occuper des problèmes qui approchent ?! Tu as tort ! L'un de nous deux devra se battre et ce, au péril de l'autre ! Tu veux garder le contrôle ? Très bien ! Mais je te l'ai déjà expliqué, ce sera à toi d'agir ! Mais il semble que tu n'aies rien compris !
— Tu m'as dit que j'obtiendrais des pouvoirs qui feront de moi un dieu ! ai-je rétorqué les dents serrées.
— Non ! J'ai dit que tu auras l'air d'un dieu par rapport aux Hommes ! Mais tu seras bien loin des pouvoirs d'un véritable Eternel ! Tu es un mortel entêté avec des pouvoirs hors du commun que tu ne contrôles même pas ! »
— Et si je refuse quand même de me battre ? Tu vas m'y contraindre peut-être ?!
— Tu devras faire face, que tu le veuilles ou non ! Ne sais-tu donc pas ce qu’est le destin, sale mortel ignorant ?
— J'ai envie d'apprendre à utiliser mes pouvoirs ! affirmai-je. Mais je veux aussi profiter de ma vie ! Et puis cette réincarnation n'arrivera peut-être pas !
— Ce ne sont pas tes pouvoirs, mais les miens ! Et je te l’ai déjà dit et redit : mon frère tentera de revenir ! Tu ne peux pas rester ici sans rien faire à espérer qu’il changera d’avis sagement ! Je déteste les humains dans ton genre, aveugle et entêté ! Heureusement que mon fils était bien différent ! »
À la fin de sa phrase, je ressentis quelque chose d'étrange : un sentiment qui n'émanait pas de moi. Jusque-là, je n'avais jamais senti les émotions d'Astérion excepté lorsqu'il était vraiment très en colère comme maintenant, mais elles se confondaient alors avec les miennes. Il devait être capable de les garder hors de ma portée en général. Pourtant là je venais de ressentir quelque chose de nouveau et qui ne provenait pas de moi : de la peine.
Sa peine.
Je m’adossai contre le mur et m’assis par terre à côté des poubelles, avant de soupirer. Ma colère commençait à retomber, mais mon intérêt était piqué et son tourment me touchait comme si elle était mienne. Ressentir les émotions de quelqu'un d'autre comme les siennes ? Pas du tout agréable, encore pire que d'entendre des pensées étrangères.
« Ton fils ? répétai-je.
— Oublie ça ! répondit-il brusquement. »
— Non mais, ça m’intéresse ! Dès que je te demande un truc, tu…
— Ça ne te regarde pas ! me coupa-t-il de nouveau. »
Je sus que c’était un sujet tabou. Je sus aussi que son appréhension à propos de la prétendue guerre qui allait approcher était réelle. Je ne savais pas comment mais je ressentais sa certitude. Je réfléchis un instant, en prenant soin de garder ses pensées pour moi comme dans une bulle hors de sa portée, avant de finalement prendre une décision qui ne me plaisait pas tant que ça.
J'étais beaucoup trop influençable, et ça m’exaspérait !
« Écoute, lui dis-je dans un soupir, je te propose quelque chose, d'accord ? J'accepte d'aller à la recherche des Elementaris et de m'entraîner avec eux puisque ça te tient à cœur. Laisse-moi juste cette semaine pour me préparer. Ça me donnera l'occasion de voyager et d'en savoir plus sur ces forces ennemies qui te préoccupent. Mais je ne te promets pas de m'engager à combattre un dieu pour autant ! Et je reviendrai pour le mariage de mon frère ainsi que mes examens en janvier ! Je peux manquer des cours, mais pas les examens !
— On peut empêcher sa réincarnation ! s’exclama-t-il, toujours sur un ton agacé et exaspéré. Et ton devoir devrait passer avant ta vie personnelle ainsi que… (Il s’interrompit alors :) Que font-ils ? »
Concentré sur notre conversation, je n'avais pas vu que six motos approchaient dans la ruelle, hors de la route. Je me relevai en fronçant les sourcils tout en les observant venir vers moi. Les motards s’arrêtèrent face à moi, m'encerclant et me bloquant dos au mur. Ils posèrent un pied à terre, laissant les moteurs tourner. La rue était suffisamment éclairée pour que je puisse distinguer leurs visages lorsqu'ils enlevèrent leurs casques. Le plus gros, en tout cas, m'était familier : c'était le motard que j'avais jeté hors du bar.
« Je t'avais dit que je te retrouverai, toquard, ricana ce dernier. Je savais où habitait cette fille, ça n'a pas été très dur. On voulait t'attendre mais apparemment elle t'a jeté dehors plus tôt que prévu. Tu n'étais peut-être pas assez doué au pieu pour elle ? »
Lui et les autres motards se mirent à rire de sa moquerie. Cette fois je sentis l'esprit d'Astérion collé au mien, établissant une connexion. Sa simple présence me permit d’apaiser l’inquiétude qui grandissait. Plus rassuré mais pas pour autant moins énervé. Ma colère enflait dans ma poitrine, se déversant dans mon corps aussi aisément que l’adrénaline. J'étais à nouveau branché sur secteur et l'envie d'en découdre revint sans attendre.
Je serrai le poing mais Astérion tenta de me calmer cette fois :
« Contrôle-toi ! Ne riposte que s'ils commencent. N’oublie pas que les humains seront nos alliés, c'est eux que nous protégeons. Ce n'est pas la peine de les malmener si on peut l'éviter.
— Pas sûr qu'ils soient là que pour dire bonjour, répondis-je par la pensée.
— Bah alors, t'as perdu ta langue ? continua de rigoler mon adversaire. Pourtant elle était bien pendue tout à l'heure ! Cette fois c'est moi qui ai ramené quelques camarades, on va t'apprendre les bonnes manières. »
Il fit craquer ses phalanges tout en disant cela. Ses sbires l’imitèrent tout en descendant de leurs motos.
« Bon oublie ce que j'ai dit, ajouta finalement Astérion. S'ils veulent se battre, et bien bats-toi.
— Tu voulais que je m'entraîne, non ? Alors… conseille-moi ? »
Je sentis une vague d’intérêt émaner de lui. J'étais satisfait, nous avions trouvé un terrain d'entente pour le moment. Je m'étais laissé emporter trop facilement, nous devions discuter et apprendre à nous connaître afin de prendre les meilleures décisions possibles pour nous deux. Je ne voyais pas le moyen de me débarrasser de lui pour le moment donc autant essayer de nous entendre. J'avais aussi l'impression que mes sentiments étaient plus puissants et plus changeants qu'avant. Jamais je ne me serais mis autant en colère aussi rapidement contre quelqu'un pour ensuite voir cette hostilité retomber l’instant d’après. C'était étrange.
Et puis, inconsciemment, je m'habituais peu à peu à sa présence. Je n'avais pas envie qu'il reste dans ma tête toute ma vie, mais je devais admettre qu'un lien se créait. Partager un corps n'était pas simple mais cela forgeait des liens, c’était incontestable. Et si ce qu'il m’avait dit était vrai, il faudrait que l'on travaille ensemble pour empêcher son frère de se réincarner. Pour être franc, je ne savais pas encore trop si je l'appréciais vraiment ou non, ni même si je croyais à son histoire, mais ce qui était certain c'est que nous étions unis pour le moment. La seule chose dont j’étais réellement certain.
Seul le temps me dirait si ce lien serait une bonne chose ou non.
J’inspirai donc un bon coup avant de lancer à haute voix :
« Non, je me disais juste que j'en avais marre de te voir. Par contre belle moto, c'est une Harley ? »
Le motard regarda sa moto sombre resplendissante avec un grand sourire d'enfant qui aime son beau jouet.
« Oui, dit-il avec une certaine fierté, c'est une… »
Il n’eut malheureusement pas le temps de terminer sa phrase qu'un cercle d'argent percuta sa si belle moto, la renversant dans un bruit sourd. Cela allait sûrement laisser une moche éraflure sur la carrosserie et j'en étais d'ailleurs triste. J'aimais bien les belles motos.
« Magnifique ! m’exclamai-je avec une joie digne d'un acteur hollywoodien. Je me disais justement que ce serait dommage qu'elle s'abîme. Surtout que la carrosserie, ça coûte vachement cher ! »
J'avais pris le couvercle d'une des poubelles à côté de moi, un couvercle en métal, et l'avais lancé comme un frisbee avec une précision digne d'un lanceur de disque, ne me fiant qu'à mon instinct pour ce lancer que je n'avais jamais réalisé auparavant. Une grosse éraflure était maintenant dessinée sur le côté gauche du véhicule.
« Je t’avais dit de viser le pneu, je te signale, me glissa Astérion.
— J’ai fait ce que j’ai pu, répondis-je. Je n’avais jamais lancé de couvercle comme ça avant je te rappelle. Mais le résultat est le même, je crois que je l’ai énervé.
Comme pour confirmer mes dires, l’homme-ours rugit :
« ESPECE D'ENFOIRÉ ! DÉFONCEZ-LE ! »
— Il est énervé, en effet, admit Astérion. »
Quelle perspicacité !
Au signal de leur chef, les sbires se jetèrent sur moi.
« Saute ! m'ordonna l’Immortel. »
Après une hésitation, j'obéis en sautant de toutes mes forces. Je m’élevai d'environ deux mètres dans les airs, passant au-dessus et atterrissant derrière les deux premiers. Un saut totalement impossible et auquel je ne m'attendais pas du tout si bien que je perdis l'équilibre, me réceptionnant maladroitement avec une roulade. Comment avais-je fait cela moi ?!
Mes adversaires se retournèrent, les yeux tout aussi écarquillés.
« C'est quoi ce délire ? dit l’un d'entre eux couvert de tatouage.
— Ce n’est pas… possible… un saut pareil, bégaya un autre. »
Leur chef se retourna vers moi, une rage très prononcée dans ses petits yeux porcins. Mais mon saut ne l'avait pas suffisamment impressionné pour qu'il abandonne sa vengeance.
« Choppez-le ! ordonna-t-il de nouveau. »
Il se précipita sur moi. Apparemment la leçon précédente ne lui avait pas suffi. Ne me fiant qu’à mon instinct, j'évitai ses énormes bras en lui faisant un croche-pied. Il s'écrasa de tout son long comme une crêpe au sol.
Deux de ses sbires se jetèrent sur moi. Je me relevai en hâte et esquivai le coup du premier en glissant sur la droite. Puis j'arrêtai le poing du second avant de lui donner un coup de pied dans l'estomac qui le fit décoller du sol, l’envoyant bouler quelques mètres plus loin. J'esquivai les deux coups qui suivirent avant d’achever le second avec une droite mémorable. Je secouai ma main, avec une grimace. La vache que ça faisait mal !
Leur meneur se releva et aboya de nouveaux ordres aux trois restants qui s’approchèrent de moi avec plus de prudence en voyant les tentatives désastreuses de leurs compagnons toujours au sol.
Astérion me donnait quelques conseils, mais mon corps se battait par lui-même : esquiver et taper, voilà mes mots clés. Mon cerveau et mon corps étaient passés en mode combat. Je me mouvais rapidement et frappais avec force et précision. Sans oublier mes réflexes qui me permettaient d'esquiver la quasi-totalité de leurs assauts. Cependant deux parvinrent à me saisir les bras tandis qu’un autre me frappait dans l’estomac. J’étouffais un grognement avant de balancer mon pied dans l’estomac de celui qui fenait de me frapper. Je dus répéter par deux fois mon coup pour qu’il vacille en arrière en se tordant en deux. Je me démenai ensuite de toutes mes forces pour me libérer de l’emprise des deux autres. Une fois fait, j’en envoyais un au tapis d’une torsion de poignet avant de me jeter sur l’autre et de le pousser dans les poubelles. Je me relevai en hâte en me débarrassant de la pelure de banane qui provenait des ordures et que j’avais sur la tête.
Puis je me remis en position de combat tout en inspirant bruyamment.
« S’ils ne viennent pas à toi, viens à eux, me conseilla Astérion. »
Les trois premiers s’étaient relevés mais grimaçaient encore de douleur. Ils hésitaient à s’en prendre de nouveau à moi, et c’était compréhensible. Sur le conseil d’Astérion je m’élançai à mon tour.
Je saisis à la gorge le plus petit, qui m’arrivait au menton, et le plaquai au sol. Un des deux autres tenta de l'aider mais je me retournai et lui donnai un coup de pied en pleine face. Plusieurs dents volèrent. Je ne me savais pas si souple mais Astérion avait raison : je n'avais pas encore découvert tous les changements que mon corps avait subis. Le dernier encore debout ne bougea pas, jetant un regard terrifié en direction de ses camarades au sol.
« On n’est pas obligé d'en arriver là, lui dis-je en sueur. Remonte sur ta moto et barre-toi ! »
Il hésita deux secondes avant de crier comme un fou en se jetant sur moi. J'esquivai ses deux premiers coups facilement avant de saisir son bras. M’en servant comme prise, je le retournai si rapidement que le reste de son corps suivit. L’homme se lamentait en tenant son bras contre lui tout en me suppliant de ne pas lui faire de mal. Je ressentis une pointe de culpabilité qui disparut presque aussitôt. C’étaient eux qui avaient voulu se battre, pas moi ! Je n'aimais pas blesser les gens mais malgré tout je ne ressentais aucun état d’âme à me battre contre eux. Ni exaltation d'ailleurs. Cela me laissait tout bonnement indifférent.
Je sentis alors un mouvement derrière-moi. Je me baissai juste à temps pour esquiver une attaque avant de recevoir un coup de pied dans le dos que je ne pus éviter. Me retrouvant sur le ventre, je me repositionnai aussitôt, ne voulant pas attendre qu'il en profite pour frapper à nouveau. Je roulai en avant et me retournai pour faire face à leur lourdaud de chef qui jusque-là avait laissé ses sbires s’en prendre à moi. Un couteau à la lame fine rayonnait au clair de lune dans sa main. Si je n'avais pas esquivé son premier coup en me baissant il aurait pu me blesser grièvement. Rien qu’à cette idée, ma colère grandit encore.
« T'es quoi, hein ? s’exclama-t-il, le souffle bruyant. Une espèce de monstre ?! »
Je relevai mes mains sans lui répondre, me mettant en position de combat. Il se lança en premier avec rage. Il donna des coups dans le vide avec son couteau que j’esquivai, prudent. Saisissant une opportunité, je bloquai son bras avec mon avant-bras gauche et le frappai au visage avec mon poing libre. Une fois. Deux fois. Trois fois. Son nez craqua et le sang jaillit. Je me retournai et lui donnai un coup de pied dans l'estomac, l'envoyant s'écraser plusieurs mètres en arrière. Il se recroquevilla, tenant son nez et gémissant de douleurs.
Je ressentis alors un picotement au niveau de mon bras gauche. Il m'avait blessé avec sa lame mais malgré tout, je ne sentais quasiment aucune douleur. Probablement grâce à l’adrénaline. La coupure était longue de plusieurs centimètres mais bizarrement, elle s’arrêta vite de saigner sous mes yeux. Pour faire des études de médecines, je savais qu'aucune coagulation ne pouvait être aussi rapide. Et pourtant…
Trop concentré pour y réfléchir plus longtemps, je ramassai l’arme tombée à terre, tachée de mon sang. Je vis les yeux du motard s'écarquiller en posant ses yeux sur la lame du couteau que je tenais dans mes mains.
« Je suis désolé, bafouilla-t-il, une main sur le nez et une main pour me repousser. Désolé ! Désolé ! »
J'entendais l'affolement et la panique dans sa voix à présent. Mais je m’en fichais. Je le fixais avec mépris en m’exclamant :
« C’est facile de s'excuser, pas vrai ? Je parie que tu regrettes énormément ce que tu as fait maintenant que les rôles sont inversés. Mais le pardon est plus difficile à obtenir ! »
Je lançai le couteau dans une des poubelles puis pris le motard pas le col de son manteau en cuir taché de sang. Il n'avait pas la force de m'en empêcher. Je le soulevai comme s'il pesait cinquante kilos de moins afin de l'approcher de mon visage.
« Qu’est-ce qui m’empêcherais de te blesser plus gravement comme tu as tenté de le faire ? Dis-moi ?
— Peter, intervint alors Astérion, ils ont eu leur compte.
— Mais il…
— Je sais, mais ces vermines ne méritent pas que tu gâches ta conscience pour eux. Laisse-le. »
Je fixai toujours avec dégoût cette pouriture qui me regardait de ses yeux noirs avec une terreur non dissimulée. Je la ressentais avec autant de facilité que si c’était la mienne. Je pris une grande bouffée d’air frais et relâchai l’homme qui s’écrasa lourdement au sol en gémissant encore.
« Plus jamais tu n’embêteras cette fille, ordonnai-je en m’agenouillant près de lui. Ni quiconque d’autre d'ailleurs, est-ce bien clair ? »
Il se mit à hocher frénétiquement la tête.
« Si jamais j'apprends que tu ne respectes pas notre accord, je reviendrai. Et cette fois, ça se finira aux urgences pour toi, compris ? »
Il approuva de nouveau de la tête. Je me retournai avec répugnance avant de ramasser mes affaires éparpillées par terre, et de remonter la rue tandis qu’ils y étaient toujours affalés.
Malgré ma colère, je savais une chose : j'avais détesté ce combat.
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