Chapitre 22 : Une volonté inébranlable
Je sortis la tête du puits en inspirant une grande bouffée d’oxygène. L’air frais s’insinua dans mes poumons qui semblèrent se gonfler pour la première fois depuis une éternité. Dans la panique, mes bras brassèrent l’air, cherchant à me garder à la surface. Après plusieurs secondes d’affolement, je remarquai que, même assis, j’avais la tête hors de l’eau aux reflets argentés. Haletant et désorienté, je cessai de gesticuler et jetai des regards éperdus à la petite grotte aux reflets métalliques. Je ne me rappelai pas m’être déjà senti aussi essoufflé, j’avais l’impression d’avoir été en apnée des jours entiers !
« Où suis-je ? m’interrogeai-je faiblement. »
Les souvenirs refirent surface à cet instant. L’antre céleste, le Toslen’i et la cérémonie… La respiration bruyante, je pris une longue et profonde inspiration, yeux clos, dans l’espoir de me détendre. Je n’avais jamais été tendu à ce point. La main contre ma poitrine, comme je l’avais appris à l’université, j’écoutai le vacarme que produisait mon cœur. Il fallait que je fasse un point sur la situation mais pour cela, je devais tout d’abord me calmer. Dix bonnes minutes furent nécessaires. Mes muscles se relâchèrent enfin, ma respiration devint moins sifflante et mon pouls se décida enfin à se calmer.
Pour résumer, je venais de rencontrer des créatures, que je qualifierais « d’esprits élémentaires » et qui m’avaient mis en garde sur mon avenir. Tous étaient au moins unanime : ce qui m’attendait dans les jours à venir s’annonçait tourmenté. J’allais éprouver la douleur. Après tout ce que j’avais enduré, je savais maintenant ce que souffrir signifiait. Mais ils avaient aussi sous-entendu que j’allais perdre des personnes auxquelles je tenais et, à cette idée, respirer devint difficile. C’était un tout autre type de souffrance.
« Non, c’est impossible… tentai-je de me persuader. »
Mais c’était vain, moi-même je n’y croyais pas. Des ennemis étaient à ma poursuite et, pour ce que j’en savais, prévoyaient peut-être déjà de s’en prendre à ma famille. Peut-être l’avaient-ils déjà fait ? Je secouai la tête pour me raisonner. Mes parents et mon frère allaient bien, j’en étais certain ! Il ne pouvait en être autrement ! Pourtant le fait que les quatre êtres mystiques pensaient important d’insister sur ce point ne donnait que plus de poids à leur avertissement. Le constat me fit déglutir. Que je veuille l’admettre ou non, mes proches étaient en danger, plus que quiconque.
Talane m’avait prévenu qu’il valait mieux ne pas essayer d’interpréter les paroles des esprits élémentaires. Nul ne les comprenait vraiment avant le moment où leurs paroles se réalisaient. Comme une prophétie, mais cela ne me rassura pas pour autant. D’après mes piètres connaissances des prédictions mythologiques, provenant majoritairement de Percy Jackson, elles finissaient toujours par se réaliser d’une manière ou d’une autre. Et si généralement elles se présentaient de manière poétique avec un sens abstrait, ici, ce que j’avais entendu avait été suffisamment explicite à mon goût. Un peu trop même.
Plus encore que les propres dangers auxquels j’allais devoir faire face, c’était cela qui me terrorisait le plus. Il était hors de question que je laisse quoique ce soit arriver à mes proches ! Et pourtant je les avais laissés s abandonnés, les laissant à la merci d’un Xenos ! Je serrai les poings et donnais un coup colérique dans le liquide argenté dans lequel je baignais.
Soudain, une douleur me brula l’avant-bras droit, m’arrachant une plainte. Mes yeux s’écarquillèrent en découvrant que des lettres, écrites les unes sous les autres, scintillaient sur ma peau. Juste en dessous de ma paume brillait un G d’un vert étincelant, suivi d’un F flamboyant, d’un H bleuté et enfin d’un A pâle. Je les observai, partagé entre l’inquiétude et l’incompréhension. Que signifiaient-ils ? Cela me donnait l’impression d’être marqué au fer rouge comme un esclave. Je chassai immédiatement cette idée qui me glaça d’effroi. Non, je n’étais soumis à personne ! Et si Astérion n’avait pas réussi, personne n’y parviendrait !
Étrangement, mon lien avec ce dernier paraissait troublé. Sa présence était moins significative qu’habituellement et sa voix grave ne se fit pas entendre. Pour le moment, cela me convenait. Je ne souhaitais parler à personne. De toute manière, il avait probablement vu ce que dont j’avais rêvé et je comptais en discuter avec lui afin de comprendre leur sens énigmatique. Mais plus tard. En cet instant, je m’affairais à encaisser la nouvelle et à trouver une solution.
Après quelques secondes, la brûlure du tatouage à vif finit par diminuer jusqu’à disparaître complètement à mon grand soulagement. Les quatre lettres cessèrent également de scintiller pour devenir de simples lettres noires gravées sur ma peau. Il ne me fallut pas longtemps pour deviner leur signification : elles étaient la preuve que j’avais accompli la Ternaíre. La preuve que les esprits élémentaires m’avaient offert le pouvoir des éléments !
Je restai dubitatif quelques instants, m’attendant à tout instant à ce qu’elles disparaissent. Personne ne m’avait prévenu que cela allait se produire. Pourtant, la marque semblait bel et bien inscrite à jamais dans ma chair, indélébile. Cela me soulagea d’un poids énorme. Toute la crainte que j’avais pu ressentir en songeant au refus que j’aurais pu encaisser dans ce lieu s’évapora. Un frisson de soulagement me parcourut, m’arrachant un mince sourire et calmant quelque peu ma colère. J’avais à présent accès au pouvoir des quatre éléments ! Même si je ne me sentais pas différent, cela signifiait que mon potentiel venait d’augmenter de manière exponentielle !
« Une fois que je les aurais maîtrisés, songeai-je pour moi-même. »
Cette remarque calma mon enthousiasme mais attisa encore plus la flamme qui brûlait au creux de ma poitrine. Contrôler les éléments venait de devenir ma priorité. J’avais acquis ce pourquoi j’étais venu dans cette caverne et j’y avais appris des choses qui avaient renforcé ma détermination. Avec les pouvoirs que je venais d’acquérir, aucun monstre ne pourrait rivaliser avec moi. Avec ces capacités, j’aurais la possibilité d’arrêter la réincarnation d’Hepiryon, j’en étais certain ! Il était temps de prendre sur moi et de me montrer suffisamment brave et fort pour protéger ce qui comptait le plus à mes yeux : ma famille.
La panique que j’avais éprouvée quinze minutes plus tôt n’était plus, remplacée par la rage de défendre mon peuple. C’était sans la moindre hésitation que je sortis du puits, saisis mes vêtements et m’élançai vers la sortie de la grotte, le regard plus déterminé que jamais.
Mon retour se passa comme dans un film en accéléré.
Rapidement, j’atteignis la sortie de la grotte et perçus les rayons du soleil. L’astre engageait sa descente : nous étions en début de soirée. Ses derniers éclats accentuaient les ombres effrayantes des multiples pics de la montagne dans laquelle j’avais séjourné. Pourtant, la Seuz’la ne m’effrayait plus : je savais qu’elle n’avait d’obscure que son apparence.
En réalité, elle dissimulait un trésor aussi lumineux que la vie.
À ma sortie, les torches qui m’avaient guidé dans le tunnel s’éteignirent d’elles-mêmes. Comme Talane l’avait annoncé, quelqu’un attendait mon retour. Un Elementaris à la peau d’un noir charbonneux patientait en sifflotant un air mélodieux. Il avait dû sentir mon aura car il ne sembla pas surpris de me voir surgir de l’obscurité de la grotte.
« Vous êtes déjà sorti, dit-il avec une pointe de curiosité tout en s’approchant afin de m’observer avec attention. C’est surprenant.
— Depuis combien de temps suis-je à l’intérieur ? demandai-je. »
Si mes rêves ne m’avaient semblé durer qu’une vingtaine de minutes tout au plus, je me doutais qu’il devait en être tout autre dans la réalité.
« Deux jours, me répondit-il. Nous ne vous attentions pas de sitôt…
— C’est déjà deux jours de trop, l’interrompis-je. Tout s’est réalisé sans soucis mais je dois voir le Kalheni. Maintenant, ajoutai-je. »
Il fronça les sourcils.
« Pourquoi donc ? Qu’avez-vous…
— Ce que j’ai vu ne te regarde pas, répliquai-je d’une voix sèche qui me surprit moi-même. Je dois voir ton chef pour lui annoncer mon retour et lui demander d’accélérer mon entraînement. Les ténèbres approchent et le temps nous est compté. »
Il resta muet de stupeur par mon ton sans réplique. Sans attendre sa réponse, je passai devant lui en direction de la Tour des Cieux dont la pointe perçait à travers la forêt. Je me sentais animé d’une énergie et d’une détermination farouche. Peut-être que les esprits élémentaires m’avaient donné plus encore que de simples pouvoirs. Peut-être m’avaient-ils offert ces qualités qu’ils avaient citées et pensaient nécessaires à ma réussite.
En tout cas, une seule et unique pensée n’occupait plus que mon esprit :
« Je ne laisserai quiconque faire du mal à ceux que j’aime ! »
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