25 juin
La sirène de la ville était en train de retentir. Je me réveilla brutalement, c’était six heures du matin. Le soleil commençait à montrer le bout de son nez. Je ne savais pas du tout ce qui était en train de se passer dehors. Je me leva de mon lit pour ouvrir les volets. Je constata qu’il y avait de mes voisins en train de démarrer en trombe leur voiture. Certains couraient avec une valise dans les mains. Je savais pas du tout ce qui était en train de se passer, alors je consulta rapidement mon smartphone pour voir que le dispositif d’alerte signalait l’évacuation de plusieurs communes des Pyrénées-Atlantique, dont Espelette.
Je dois admettre que je cherchais à mon tour ma valise pour la remplir avec des vêtements, mes albums photos, surtout ceux avec Déborah, et mon sac à dos où je mis des boîtes de conserves, une bouteille d’eau et une lampe torche. La carte routière était dans ma voiture. Un de mes amis, JeanMichel, passa devant ma maison rapidement et me voyant sortir me dit «Fuis tant qu’il est encore temps ! ». Le temps que j’ouvre la bouche, il était déjà parti. Je monta à bord de ma voiture et je m’éloigna rapidement, sans prendre le temps de jeter un dernier coup d’oeil à mon quartier.
Je roulais en Audi A6. Une bonne voiture quand même, même si elle était tape à l’oeil. Cela me permit de fuir rapidement le village pour vite rejoindre l’autoroute, seulement je ne savais pas du tout où aller et de toute façon, je me doutais que l’A64 serait bloquée. En roulant, je me rendis compte d’un fâcheux détail : l’essence dans le réservoir. Je n’en avais plus beaucoup, et je serais à un moment donné contraint de l’abandonner sur le bas côté et continuer ma route à pied. Je ne devais pas conduire brutalement, et savoir où exactement je devais me rendre. Pas le moindre détour inutile.
Au bout d’une heure de route, l’Audi commença à cahoter puis s’arrêta en plein milieu de la départementale. « Putain ! » lâchais-je de rage. Je sortis du véhicule en continuant de pester puis je sortis du coffre mes bagages et je me mit à marcher sur la route. Le seul bruit continu que j’entendais était celui des roues de ma valise. Il commençait à faire chaud sur la départementale qui allait jusqu’à Oloron-Sainte-Marie. Cette route était bordée d’arbre, et le reste étaient des prairies ainsi que des collines. Après une heure de marche, je cru halluciner en voyant arriver une camionnette qui me fit des appels de phare. Je fis de grands signes de la main pour saluer le conducteur qui s’arrêta à ma hauteur et me dit.
- Hé, vous voulez que je vous emmène quelque part ? Me demanda-t-il
Au vu de son habillement, c’était sans doute un fermier. Il devait facilement avoir une vingtaine d’années. Il portait une combinaison verte couverte de boue.
- Oui, répondis-je, je souhaiterais me rendre à Oloron-Sainte-Marie, s’il vous plaît.
- Alors, montez, me répondit-il en m’ouvrant la portière passager.
Je mis mes bagages à l’arrière du véhicule puis je montais à bord. Il chercha le croisement d’un chemin, puis effectua un demi-tour en direction d’Oloron. J’étais épuisé de porter ses lourdes affaires.
- Vous faites partis de ceux qui se sont fait évacuer de la côté ? Demanda-t-il
- Ouais, j’ai dû partir mais ma voiture a fait une panne sèche alors j’ai voulu marcher un peu. Le jeune homme ricana un peu
- Vous étiez pas prêt d’arriver là bas, monsieur. Vous allez voir, là bas c’est un peu la panique, car vous avez des cas de ce virus et les marchés sont à présent annulés tellement ils ont peur que ça continue de se propager.
- J’ai vu un homme tomber raide mort dans le marché. On a sans doute eu beaucoup de morts dans ma ville.
- Ah ouais ? J’ai cru entendre dire que l’armée va venir pour faire cramer tous les corps. C’est absolument horrible.
- Vous comptez fuir le coin, si jamais vous deviez le faire ?
- Je suis né ici, dans le Béarn, je n’ai pas envie de quitter ma terre et si je dois mourir avec le reste de ma famille sur leur terre et celle de mes grands-parents, je le ferais. De toute façon, qu’est ce que voulez que ça change que je sois ici ou ailleurs, je finirais par mourir dans tous les cas. Donc quitte à mourir, autant le faire sur un terrain que l’on aime. Et vous, vous allez où ?
- Je n’en sais rien. J’ai juste obéi à cet ordre d’évacuation, mais je pense que je vais tenter de retourner à Paris.
- Paris commence à se faire évacuer, m’expliqua-t-il. Les Russes nous menacent, ça ne leur plaît pas qu’on veuille se mêler à leurs affaires et en plus, ils ont aussi des foyers de ce virus. On va avoir un flot de réfugiés dans pas longtemps. On commence à entrer en guerre, tout doucement. D’ailleurs, je pense que vous avez vous même pu l’entendre, la Finlande n’existe plus. C’est devenu un territoire entièrement occupé.
- Non, j’ai pas regardé les infos depuis plusieurs jours. Et pour Taïwan ?
- Les Chinois ont pris Taipei. Il y a de violents affrontements là bas, il y a eu des bombardements sur des civils. Les Etats-Unis ont eux-mêmes annoncé qu’ils allaient entrer en guerre contre la Chine, ils trouvent cette annexion inacceptable.
On entra dans la ville. Le jeune agriculteur me déposa près de la mairie, puis me souhaita bonne chance en me serrant la main. Je descendis la rue Justice pour aller m’accouder à un pont surplombant le gave d’Ossau. Je me retrouvais maintenant, seul, comme un con dans cette ville à ne pas savoir quoi faire si ce n’était que de chercher un hôtel ou tenter de rejoindre Pau qui n’était pas loin. Mais d’abord, il fallait que j’aille manger. J’en trouva un de l’autre côté du gave d’Aspe.
Le restaurant avait une décoration fort sympathique et étonnamment il n’y avait pas grand monde. Je commanda un magret de canard ainsi qu’un verre de Jurançon pour l’accompagner. La radio était allumée pour passer une playlist. Je regrettais qu’en cet instant Déborah ne soit pas avec moi, car je me sentais horriblement seul. Je ne pouvais pas m’empêcher de me demander ce qu’elle faisait en cet instant et où elle était actuellement. Je savais qu’elle était retourné vivre à Paris, mais est ce que c’était d’actualité ? Je n’en savais rien, et je voulais pour ça retourner à Paris pour le découvrir.
Une fois mon repas terminé, je décida de faire de l’auto-stop et ce fut un routier espagnol qui me fit monter à bord de son camion. Il s’appelait Pablo, père de trois enfants, lui-même ne savait pas s’il allait bientôt démissionner de son travail. Il me raconta sur ce court trajet que la situation en Espagne était explosive, des pénuries commençaient à se faire, les travailleurs démissionnaient de plus en plus et mêmes les flics ainsi que les militaires quittaient leur travail, au point que le gouvernement paniquait à cette idée de ne plus pouvoir gérer des émeutes qui commençaient à naître.
Pablo était content de quitter son pays, même si ce n’était temporaire. Il savait pas s’il ferait le chemin retour, car à Saragosse des émeutiers avaient tentés de le stopper en balançant des cocktails molotovs. De peur, il avait écrasé deux personnes sur l’autoroute. Néanmoins, l’Espagnol se doutait bien qu’ils ne perdraient pas de temps à retrouver sa famille pour les tuer, mais il n’avait plus envie de retourner là bas.
Pablo devait effectuer une livraison au nord de la ville, dans un supermarché et il me déposa au boulevard de la paix, à Pau. Je le remercia chaleureusement en lui serrant la main, puis nous nous souhaitâmes bon courage. C’était un boulevard avec pas mal de maisons résidentielles, et la circulation était plutôt dense durant cet après-midi. Le temps commençait d’ailleurs à tourner à l’orage, et il faisait très lourd dehors. Là encore, je ne savais pas du tout ce qu’il fallait que je fasse, je ne savais pas où aller, j’avais l’impression de me contenter de suivre le troupeau. Une affiche de presse précisait l’évacuation de Paris. Ce n’étais pas une rumeur. Je voulais en avoir le coeur net.
Une jeune femme sortit du bureau de tabac avec un paquet de cigarette à la main et je l’interpella
- Excusez moi, mademoiselle, c’est quoi cette histoire d’évacuation de Paris ? Qu’est ce qu’il se passe encore là bas ? Elle me regarda droit dans les yeux, en train de sortir une clope de son paquet puis me répondit froidement.
- Vous avez pas la télé ou quoi ?
- Ecoutez, je veux juste savoir ce qu’il se passe là bas.
- Ben, comme partout c’est la merde. Ils craignent qu’un missile nucléaire soit tiré sur Paris, et la ville et toute la région va être évacuée.
- Mais où vont aller ces gens ?
- Je vous le donne en mille, dit-elle en tirant sa première latte, ils vont venir ici, évidemment. On est la seule région à accepter tout ces réfugiés qui viennent du nord, d’ailleurs je me demande ce qu’ils vont faire ici. Nous aussi on risque d’être frappé par ces mêmes problèmes, on devrait pas les prendre en sachant que même pour nous nos jours sont comptés.
Puis elle marcha vers son groupe d’amis qui l’attendait un peu plus loin. Un peu plus tard, je décida de rejoindre le boulevard des Pyrénées pour contempler l’orage qui avançait. C’était un spectacle magnifique, on voyait d’immenses nuages noirs s’élever dans le ciel manger les montagnes. Un bruit de talons passa à mes côtés et lorsque je me retourna, c’était une silhouette familière qui passa avec une robe fleurie mais une paire de sandale à la talon que j’avais déjà vue quelque part. Cette personne tirait derrière elle une valise. Je trottina vers elle, je lui tapota l’épaule droite. La jeune femme se retourna et cela me fit sourire.
Sous ses lunettes de soleil, je voyais une visage qui avait l’air triste, mais qui s’éclaira en me reconnaissant. C’était Cindy qui s’exclama « Vous êtes l’homme de l’autre soir ! », elle lâcha soudainement sa valise pour me prendre dans ses bras et elle se mit à pleurer. Je la consola, et je l’invita à prendre un pot avec moi. L’avocate avait toujours ses ongles vernis en rouge et le visage légèrement maquillé, comme si elle avait un rencard. La musique battait son plein dans le bar, d’autres jeunes gens étaient présents en train de rigoler et de parler fort.
- Je croyais ne plus vous revoir, me confia-t-elle en buvant une gorgée de bière, j’ai eu peur, vous savez.
- Vous savez où aller ? Demandais-je
- Non, je ne sais pas où aller. J’ai parlé avec des gens, ici, qui compteraient partir en Espagne ou tenter d’aller en Afrique. Je serais tentée de suivre ce mouvement, mais je ne sais pas comment m’y prendre. Et vous ?
- Je dois vous avouer que moi non plus, je ne sais pas trop quoi faire. Ce serait quelle ville la nouvelle capitale de la France ?
- D’après ce que j’ai pu comprendre, ça serait Toulouse qui serait la nouvelle capitale. Il y a des camps de réfugiés tenus par la Croix-Rouge, si vous voulez savoir.
Le grondement du tonnerre se fit entendre au loin. J’observais les éclairs qui commencèrent à zébrer le ciel. Je paya l’addition avant de l’emmener dans un restaurant, Le Mousquetaire, qui était vers le château d’Henri IV. Nous commandions ensemble un magret de canard, accompagné de frites, et une bouteille de vin rouge. Toute la soirée nous discutions de nos inquiétudes concernant cet avenir incertain. On se décida de rejoindre Toulouse. On avait pas de voiture, on serait obligé de prendre le train ensemble, ce qui ne me dérangeait pas. Cindy me voyait un peu comme son protecteur, je le sentais. Après ce repas, nous prîmes le train pour Toulouse.
Le quai de la gare était bondé, des policiers tentaient tant bien que mal avec des contrôleurs de canaliser le flux de passager et lorsque le train arriva, dès que les portes s’ouvrirent ce fut l’hystérie. Tout le monde tenta de s’assurer une place à bord. La pluie était en train de tomber à verse. Des enfants pleuraient. Ces gosses étaient inondés et leur mère donnaient des coups de valises dans la tête de chaque passager, sans excuser. Cindy s’en pris une dans la tête et commença à insulter une de ces mères. Le train était absolument surchargé, plus aucuns sièges n’était disponible et les portes se fermèrent.
Ceux qui n’avaient pas pu grimper à bord commencèrent à s’exciter et tentèrent d’éclater les vitres avant de se faire plaquer au sol par des flics qui furent rapidement débordés. Le train finit par quitter la ville pour la nouvelle capitale. Le trajet se passa dans des conditions relativement bien même s’il y avait une ambiance lourde à bord. J’essayais de ne pas m’endormir, car j’avais peur que des personnes mal intentionnées décidèrent de voler nos affaires.De toute façon, nous étions debout donc impossible de dormir dans cette position. Ce fut vers minuit que nous arrivions à Toulouse.
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