26 juin

11 minutes de lecture

Le train arriva au quai n°1 de la gare de Toulouse-Matabiau. Des personnes en combinaisons antibactériologiques et portant des masques FFP2 firent passer un message au micro nous demandant de sortir, de passer par des sas de décontaminations et qu’une fois à l’intérieur du hall, on nous remettrait un formulaire pour rejoindre des bus. Tout le monde avait su se calmer durant le trajet, et nous passâmes ce fameux contrôle sanitaire. C’était très glauque ce qu’on était en train de voir. Une bénévole de la Croix-Rouge portant une queue de cheval nous donna à Cindy et moi un formulaire que nous étions obligés de remplir avant de le remettre à un nouveau checkpoint à l’extérieur tenu cette fois par la police.

Toute la gare était devenue un point d’arrivée des réfugiés, personne n’était mélangés avec les passagers de deux TGV en provenance de Paris et de Lyon. D’un commun accord, on se fit passer pour un couple qui venait tout droit du pays Basque. Une fois le papier rempli, on le remit aux forces de l’ordre qui nous indiquèrent les bus pour nous emmener au camp de réfugiés. C’était des autobus de la municipalité ainsi que du département qui se chargeaient de nous y emmener. Cela faisait très longtemps que je n’étais plus venu dans cette ville et de nuit, je trouvais qu’elle avait perdue de sa majesté. Le camp se trouvait de l’autre côté de la Garonne, c’était quelque chose d’énorme. Beaucoup de voitures venaient des Pyrénées-Atlantiques, mais d’autres venaient de la Gironde et de la Côte d’Azur. Une buvette avait été installée sur un parking qui avait beaucoup de détritus qui jonchaient le sol. Des tuyaux et des câbles électriques étaient posés un peu partout sur le sol et on devait faire attention de pas trébucher dessus. Un petit vent frais était bien agréable. On nous accompagna à une tente où des lits de camps étaient présents.

La tente devait sans doute servir en temps normal à des réception en extérieur, mais aujourd’hui c’était un immense dortoir où l’on avait pas d’intimité. Cindy commençait à avoir les larmes aux yeux, je l’avais vu et je la serra dans mes bras pour la réconforter. Je me sentais humilié d’être traité comme ça dans mon propre pays, c’était des conditions glauque, j’avais comme cette impression d’être un pestiféré. Cependant, je trouvais quand même encore la force de m’endormir tellement j’étais fatigué, mais en me réveillant plus tard dans la matinée j’avais mal au dos. L’avocate dormait profondément dans le lit à côté de moi. Je me levais pour partir me promener, j’avais envie de visiter de nouveau la ville pour me changer les idées.

Mais d’abord, je partis pour aller boire un café à la buvette. Le barman lisait son journal assis au milieu de fûts de bière situés à côté de son frigo contenant des canettes de soda. Les titres de La Dépêche du Midi étaient plus que réduit, la photo présentait les visages rayonnant de soldats russes sur un char. La Une indiquait Berlin de nouveau occupée par les Russes . Je touillais mon café puis y ajouta un tube de sucre. Cela faisait du bien de boire quelque chose de chaud, même si on nous avait prévenu qu’une vague de chaleur était prévue d’ici la fin de la semaine. Et c’est vrai que ce matin, il commençait déjà à faire bien chaud. - On est pas dans la merde avec ces conneries, déclara le barman en ne quittant pas son journal des yeux. Vous vous rendez compte, c’est absolument surréaliste ce qui est en train de se passer. - Oh pour ça oui, répondis-je en buvant une gorgée, mais ça fait plusieurs jours que je n’ai pas eu la chance de lire des journaux ou même d’écouter la radio. - Et vous vous en plaignez ? Franchement, vous faites bien de laisser tomber ces infos qui ne servent qu’à nous foutre le cafard. J’ai mon fils qui voudrait absolument s’enrôler dans l’armée, car il pense qu’on va finir un jour par nous appeler, nous les hommes, à se battre contre les Russes. Vous me voyez, moi, me battre !? S’exclama-t-il en lâchant le journal.

Une fois ce frugal petit déjeuner terminé, je retourna à la tente pour voir si Cindy était réveillée. C’était le cas. Elle enfilait sa paire de sandale, puis mit ses lunettes de soleil. Elle me fit un sourire puis me pris par la main pour m’emmener marcher un peu. Elle était silencieuse, happée par ses pensées lorsqu’on était en train de marcher sur le pont St-Michel. Les gens semblaient calmes, paisibles et c’était agréable d’avoir cette impression que rien de grave ne se passait. Cindy portait une autre de ses robes à fleurs à manches courtes, comme celles que portaient Déborah. En fait, Cindy s’habillait quasiment comme Déborah. En elle, je la retrouvais. Sous ses lunettes, je voyais qu’elle était préoccupée. A ce moment là, elle dit.

- Mon ex était toulousain. Même si ce mec s’est comporté comme un vrai salaud, je peux pas m’empêcher de me demander ce qu’il est devenu et si ce qu’il a pu vivre de son côté était bien ou pas.

- Pourquoi penses-tu à lui ? Lui demandais-je

- On avait l’habitude de venir marcher ici, sur ce pont, et c’est d’ailleurs ici que nous nous sommes embrassés lorsqu’on revenait de soirées. C’était quelque chose pour moi d’inoubliable.

Elle s’arrêta pour contempler la Garonne, puis repris

- Ses parents étaient des gens biens, ils m’appréciaient et moi aussi je les aimais beaucoup. J’avais pu manger chez eux pas mal de fois, on était même partis en vacances ensemble à Majorque et au Maroc. J’avais cette impression de faire partie de leur famille. Ma rupture, je l’ai vécue comme une trahison.

Cindy était réellement bouleversée de m’en parler. Je ne pouvais pas m’empêcher de penser à Déborah. Je n’osais pas lui en parler, mais je comprenais sincèrement sa douleur. Comme dans tout couple, on avait eu des hauts et des bas. C’était normal, c’était sain mais quand on aime une personne, on refuse de la voir comme quelqu’un avec ses qualités et ses défauts. On en voit que leur qualité, jamais leur défaut. Déborah était une fille cool, gentille et attentionnée mais parfois elle pouvait être têtue, méchante et faire du chantage. Enfin, avec sa carrière de peintre qui commençait à décoller, elle prenait la grosse tête.

Nous avions tous les deux trente ans lorsqu’elle fut invitée à présenter dans une galerie d’art un vernissage. Notre rêve à tous les deux était de partir à New York, et lorsqu’elle avait appris qu’elle avait été conviée à un vernissage c’était l’excitation chez elle. Aussitôt la nouvelle apprise, elle téléphona directement ses parents puis un mois plus tard nous prenions tous l’avion pour traverser l’Atlantique. Pour être honnête, je trouvais pas la ville belle en elle-même, mais en revanche c’est absolument impressionnant ce quadrillages et ces avenues qui sont encore plus grandes que les Champs-Élysées avec des immeubles qui n’ont rien à voir avec les immeubles Haussmanniens.

Roberto et sa femme étaient enchantés de revisiter pour la cinquième fois New York. Ils me cachaient pas qu’à chaque fois, c’était une redécouverte et qu’il y avait plein de choses qu’on pouvait pas faire en un mois, il fallait carrément y vivre pour en profiter au maximum. En fait, ils avaient même un ami artiste qui avait un standing à l’Empire State Building. Cet ami nous avait invité chez lui à manger. Il s’appelait Klaus et vivait avec un homme plus jeune, Rodrigo, un Portoricain. Son logement avait une vue magnifique sur Manhattan, sa décoration était raffinée avec plein de peintures rappelant son pays natal : l’Autriche.

C’était un homme sympathique, très cultivé, comme son partenaire et qui voulait absolument afficher sa sensibilité pour l’art. Le fait que Déborah soit venue ici pour un vernissage lui donnait un grand sourire et lui dit « Je suis vraiment content pour toi, ma chérie ». Il fut encore plus heureux de savoir que j’étais écrivain, comme lui.

- Mais comment se fait-il qu’un écrivain se marie avec une peintre ? Demanda-t-il en rigolant et en se tournant vers les parents de Déborah

- Parce que ce sont des intellectuels, comme toi ! S’exclama Sara en pointant du doigt Klaus avant de boire une gorgée de vin

- Vous faites vraiment un très beau couple tous les deux, déclara Klaus. Vraiment, vos parents respectifs doivent être fiers d’avoir mis au monde des jeunes aussi ravissants que vous. Dis moi, vous comptez vous marier ? Me posa-t-il

Ce qui fit rire tout ce petit monde qui était à table, c’était ma réaction un peu mal à l’aise. A vrai dire, oui j’avais envie de me marier avec elle, car c’était pour moi la femme de ma vie. Je ne me voyais pas vivre avec une autre femme que celle là. On était si proche l’un de l’autre. Mais par contre, je savais très bien ce que ça impliquait comme responsabilité pour l’un comme pour l’autre ainsi que la pression sociale des parents. Mes parents aussi voulaient savoir quand je comptais me marier, ils étaient ravis à cette idée d’avoir des petits enfants.

C’était Klaus qui avait préparé le repas. C’ était un très bon cuisinier qui connaissait bien la cuisine française et qui achetait tous les ingrédients dans des épiceries fines. Tout les produits venaient quasiment tous d’Europe, mais il disait quand même aller dans des supérettes pour certains produits. En tant qu’écrivain, il avait lui aussi revendu ses droits d’auteurs à des boîtes de productions cinématographiques. Rodrigo, quant à lui, était journaliste pour le Times, il ne cherchait pas à se faire connaître, d’ailleurs cela ne l’intéressait pas d’accompagner son compagnon quand la presse était présente. Le lendemain avait lieu ce vernissage. Ils vinrent avec nous pour discuter avec d’autres artistes.

Déborah s’était faites faire une coupe à la carré un peu plus tôt dans la journée, puis enfila une robe vert bouteille et sa paire de botte à talon haut couleur camel. Mois de mai oblige, pour ne pas avoir froid elle avait mis sa veste en cuir et une fois présente dans la galerie, elle sortit une paire de mitaine en cuir de ses poches qu’elle s’empressa de mettre. Les photographes, des journalistes ainsi que des invités et des curieux venus contempler ses tableaux qui étaient déjà mis en place deux jours avant cet évènement.

C’était quasiment toute l’élite new-yorkaise qui était venue, avec son lot de personnalités réellement chaleureuses et l’autre absolument hypocrites pétant plus haut que leur cul. Elle souriait devant les photographe en prenant la pause, ça l’amusait d’être la star du soir. Les journalistes n’hésitaient pas non plus à venir me voir pour me demander ce que je pensais de ma compagne qui exposait des tableaux.

« Vous savez, pour moi le plus important c’est qu’elle se sentent épanouie dans ce qu’elle fait actuellement et c’est précisément ce que je suis en train de voir » répondis-je à une de ces reporters du New York Times.

- Est ce que vous seriez prêt à suivre partout dans le monde votre compagne ? Demanda la femme - Ben oui, et c’est normal.

- Est ce que vous savez si elle compte ouvrir un jour sa propre galerie ou si elle va faire des expositions ailleurs, comme Paris, par exemple ?

- Ecoutez, je n’ai pas envie de faire plus longtemps que son porte-parole avec vous, si vous avez des questions qui la concerne elle directement, allez les lui poser, d’accord ?

- Attendez, vous êtes en train de dire que vous êtes content de la voir heureuse d’accomplir cette exposition, mais vous avez pas envie d’en dire plus sur ces projets. Vous êtes au courant de ce qu’elle fait au moment ? Demanda-t-elle avec un sourire malicieux

Je sentais qu’elle voulait foutre la merde, alors je lui tourna le dos et je revins pour voir Déborah continuer à faire sa présentation qui était très intéressante. Puis vers la fin, elle me remercia de la « supporter », et m’invita à la rejoindre sur l’estrade ainsi que ses parents. Roberto et Sara étaient ravis d’être de nouveau le temps d’une soirée sur le devant de la scène.Sara me confia que ne plus chanter dans un opéra lui manquait vraiment. Elle rêvait d’y remonter un jour. Le vernissage se passait plutôt bien, surtout qu’il y avait à la fin une réception avec un repas. J’avais rencontré ce soir là des gens vraiment intéressants, et puis ce fut l’occasion pour Déborah de me présenter de ses amis dont un qui était diplomate à l’ambassade d’Italie à Washington. Vu comme ils se parlaient entre eux, je pense que c’était un de ses ex. Ce mec avait beau être intelligent et avoir un métier forçant le respect, ça ne l’empêchait pas d’être un type qui se prenait pas pour rien, qui avait tendance à se la péter. En tout cas, lorsque nous retournions en France, elle était très surprise par les critiques très positives sur ses tableaux et sa boîte mail commençait à se remplir de proposition d’exposition à Tokyo, à Moscou, à Johannesburg et un cheikh de Dubaï voulait nous inviter à une de ses fastueuses réceptions. Elle commençait à être cotée dans le monde entier en même pas trois mois d’exposition. C’était bon signe pour elle, mais cela l’avait changée.

Avec Cindy, on était arrivé place du Capitole. C’était une bâtisse impressionnante et où sur la place il y avait toujours des touristes, des marchés ou de petits évènements commerciaux, mais là visiblement c’était devenu un peu le nouveau Palais de l’Elysée avec sa garde républicaine, ainsi que ces militaires qui étaient en train de monter la garde devant les portes de l’édifice. Cela dit, ça ne troublait pas plus que ça les gens qui étaient en train de boire ou de manger sur les terrasses par cette chaude journée. On marcha un peu dans la ville, puis on visita le Jardin des Plantes qui était un endroit absolument exceptionnel, très agréable à visiter que j’avais déjà eu la chance de m’y balader par le passé.

J’adorais Toulouse, c’était une ville très sympathique. Mais son visage était complètement changé à présent. Jamais je n’aurais imaginé me retrouver réfugié dans cette ville, à la Prairie des Filtres. Et je crois que je n’étais pas le seul à me dire ça. D’ailleurs, on voyait très peu de ces avions de lignes qui passaient légèrement au-dessus de la ville. On ne pouvait plus rien faire, on ne pouvait plus aller nulle part et on était obligé de vivre au jour le jour. C’était fini de se projeter sur plusieurs mois. Et si ce n’était par une bombe nucléaire qu’on se ferait tuer, ce serait ce ou ces virus qui étaient en circulation partout, ce n’était même un secret pour personne et pourtant il y avait des gens dans la rue qui pensaient que leur masques chirurgicaux ou FFP2 seraient là pour les protéger dans la rue. Chaque fois que je les voyais avec cet accoutrement, je me disais que c’était d’un ridicule de se protéger contre quelque dont on échapperait pas.

Finalement, c’était un peu comme une nouvelle religion. Dans l’après-midi, on revint au camp de réfugiés où j’avais l’impression qu’il y avait encore plus de monde qu’avant. Une tente pour manger avait été installée et beaucoup de donateurs avaient laissés pour nous tous de la nourriture ainsi que des vêtements pour les enfants. Je trouvais ça touchant. Cindy et moi allions nous coucher chacun dans notre lit. Je me perdis à nouveau dans mes pensées. Je ne savais pas du tout quand on allait pouvoir quitter ce maudit campement.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Vallerand ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0