2 juillet
Quelqu’un vint nous tirer du lit en nous ordonnant de faire rapidement nos bagages. Plusieurs bus de la ville attendaient non loin de l’entrée de la Prairie des Filtres et nous emmener en direction de la gare. On refit le même trajet qu’à l’aller. Je profitais de voir encore cette ville avant de probablement ne plus jamais y revenir.
Matabiau était bien calme, il n’y avait plus personnes si ce n’était des officiers de l’armée qui sortaient du hall en uniforme. Nous, on nous emmena directement à la gare routière où plusieurs bus attendaient avec un policier à l’entrée de chacun des véhicules pour contrôler nos identités. Certains étaient armés, d’autres avaient des bergers allemands. Ils nous observaient tous pour voir si on avait rien à cacher. Ces regards me paraissaient humiliants, c’était comme si nous étions des criminels alors qu’on allait simplement se faire transférer. L’intérieur du bus était surchauffé, il n’y avait même pas la clim. Les sièges étaient très étroits et les quelques enfants présents avec nous étaient en train de pleurer. C’était absolument infernal comme ambiance. On avait même pas d’eau qui nous avait été distribués.
Cindy tentait tant bien que mal de dormir sur mon épaule tandis que je regardais le paysage sur l’autoroute en train de défiler. Aucunes voitures n’étaient présentes sur l’A20, seulement quelques camions étaient en train de passer. C’était sinistre comme trajet, d’autant plus que les péages étaient devenus des checkpoints où tout le monde fut contraint de descendre par les gendarmes. Pendant qu’on descendait, eux commençaient à ouvrir avec le chauffeur la soute pour sortir tous les bagages pour les faire sentir par un chien. Pendant ce temps, nous étions tous alignés les uns à côté des autres. Les enfants qui s’étaient calmé se remirent à pleurer, car ils étaient effrayés par ces hommes en uniformes, arme à la main et avec une de ces bêtes. Une jeune femme avec des dreadlocks interpella un des flics en lui disant « Vous devriez avoir honte de ce que vous êtes en train de faire ! Vous vous rendez compte !? Vous êtes en train d’effrayer ces pauvres gamins ! ». Un jeune gendarme remonte toute la file puis lui rétorqua « Toi, t’as intérêt à fermer ta gueule ! D’accord ? » puis revint à sa position comme si de rien été. La jeune fille lui fit deux doigts d’honneur avant de le traiter de « facho ». Cela l’énerva, il s’approcha d’elle puis lui asséna plusieurs coups de matraque et même quand elle fut au sol il continua de s’acharner avant de lui cracher à la figure. Elle avait le visage ensanglantée, tuméfié même. C’était très moche à voir.
Le contrôle dura, au total, une heure en plein soleil par une température qui devait facilement avoisiner les quarante degrés. Le vent n’était même pas rafraîchissant, je commençais même à attraper un mal de crâne à cause de ça. Ils nous avaient même pas apporté de l’eau. Lorsqu’on arriva à Cahors, c’était vers dix-sept ou dix-huit heures. On était pas loin de la ville, sur ses hauteurs et c’était au sommet d’une colline où il y avait une vue magnifique. Le terrain semblait être un champ, mais aménagé en un gigantesque camp de réfugiés.
Le car se gara sur le bas-côté et le chauffeur nous invita à descendre puis ouvrit la soute en nous invitant à prendre nos bagages. L’entrée était tenue par la Croix-Rouge qui nous invita à les rejoindre pour remplir des papiers qu’on devait signer. Nos lits n’étaient plus dans des tentes, mais dans des préfabriqués de chantiers. Un plan nous indiquait le numéro de chacun de ces bâtiments ainsi que la localisation des toilettes, des douches, le réfectoire et un autre où il y avait un salon avec une télé et des ordinateurs. Tout était fait pour nous mettre à l’aise, mais pour moi ce n’était toujours pas le cas. On voulait nous montrer qu’on vivait enfin dans des conditions décentes avec la possibilité de consulter un médecin en cas de problème. Cindy semblait ravie d’y être, car pour elle c’était le signe qu’on pourrait faire de nouveau des balades au grand air. Pour être honnête, on était paumé, très paumé avec aucun contact avec la civilisation. Facilement, nous étions à cinq kilomètres du centre de Cahors. Autrement dit, pour s’y rendre c’était deux heures de marche allerretour.
J’étais assis sur mon lit à contempler une partie de la vallée qui paraissait un peu aride. De ma valise, je sortis un livre que je lisais quand j’étais enfant. Revoir sa couverture me donnait envie de verser une larme car cela me rappelait ces moments d’enfance où ma mère ou mon père venait me lire une histoire avant de dormir et que quand on a six ans, c’est toujours un plaisir de voir ces dessins enfantins montrant des personnages rayonnants, heureux et de savoir que cet univers fictif se situe dans un monde où la violence et les malheurs n’existent pas, où pour une broutille il suffit de dire « Faisons la paix » pour que les choses s’arrangent. C’était une vision simpliste, manichéenne de voir le monde, mais dans le fond c’était quand même agréable de lire ces choses là. Je ne pouvais pas m’empêcher de toute façon au cours de ces derniers jours de penser à mon passé, je ne vivais plus dans le présent et j’arrivais pas à me représenter le futur car il n’existerait tout simplement pas. Ce camp serait peut être notre dernière demeure, c’était dur à se dire quand même. J’ai toujours rêvé de mourir dans ma maison d’Espelette, vieux et me disant que ma vie avait été géniale.
Je me disais que j’aurais certainement une famille avec moi pleurant ma perte prochaine, mes petitsenfants à mes côtés, mes enfants en train de me regarder impuissant et moi en train de leur dire que la mort n’est qu’une partie de la vie, que Dieu a décidé de m’appeler à Ses côtés. Mais au final, le scénario le plus réaliste qui était en train de se présenter à moi, c’était que je finirais par crever seul, ou avec Cindy, dans les semaines à venir et que personne ne viendrait à mon enterrement. Mon corps serait retrouvé à même le sol et finirait par pourrir, puis se décomposer et enfin on ne retrouvera que ce qui restera de mon squelette. Je finirais littéralement en aliment pour animal, en partant du principe qu’ils existeront. Qui sait, peut être que dans des millénaires on finira par retrouver ce squelette et on l’examinera sous toute les coutures pour savoir de quoi je suis mort.
Face à cette pensée sinistre, je levais ma tête pour contempler le soleil qui commençait à décliner. La chaleur était toujours présente. Un homme en combinaison entièrement blanche et ganté vint frapper à ma porte pour m’annoncer une visite médicale. Je retrouvais les autres voyageurs avec qui j’étais. Cindy arriva quelques instants plus tard, tenant dans ses mains sa paire de sandales à talon et nous étions en file indienne pour se rendre dans une zone aménagée à l’abri des regards où l’on nous fit entrer sous une tente chacun notre tour en nous demandant de nous déshabiller entièrement
Je me déshabilla lentement, gêné par cet acte et face à ces regards qui me fixaient du haut vers le bas. Le médecin était assis à une table, lui aussi en combinaison et l’infirmière me fit tourner tout en palpant chaque partie du corps, testicules et pénis compris. Puis, il m’invita à m’asseoir pour une prise de sang, à me rhabiller et à sortir. C’était très étrange ce qui était en train de se passer et j’avais l’impression qu’il y avait des manquements à cette visite médicale. On était tous contrôlé de partout, on devait ne rien cacher et si nous avions dû participer à cette mascarade, c’est parce qu’il y avait des soupçons d’une nouvelle maladie, autre que le néo-choléra qu’on avait actuellement. On osait pas nous dire les symptômes, c’était que des rumeurs mais c’était une procédure pour tous les nouveaux arrivants, m’avait confié un des réfugiés, et que si jamais les analyses sanguines révélaient la présence de quelque chose d’inconnu, il y avait un minibus qui venait avec des hommes surprotégés afin de nous isoler.
Cela ne faisait même pas un jour qu’on était présents ici que j’avais envie de m’évader avec ma nouvelle compagne de cet endroit.
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