10 juillet
Les rares chaînes de télévisions qui diffusaient encore avaient leurs journaux télévisés qui annonçaient de manière officielle que le Président de la République ferait un discours dans les jours à venir. Les nouvelles étaient glaçantes, la Russie menaçait à présent tous les pays membres de l’OTAN ainsi que la Chine de frappes nucléaires, et pour prouver que ce n’était pas des menaces, une bombe avait été larguée au-dessus de l’Atlantique, à une centaine de kilomètres des côtes bretonnes. La bombe fut tellement puissante que les habitants de Brest virent une immense boule de feu et la zone fut rapidement évacuée en raison du vent soufflant vers l’intérieur des terres, rendant ainsi une partie de la Bretagne radioactive. A présent, il y avait des conférences menées afin de trouver un accord de paix pour éviter une guerre totale. Ce n’était pas gagné.
Un homme du nom de Gérard était avec moi en train de regarder le journal de treize heures pendant que les autres réfugiés vaquaient à leurs occupations.Il était en train de boire sa bière, en faisant des rots de temps en temps. C’était un homme bruyant qui avait le regard triste.
- Tu vois, tous ces mecs à la télé, ce sont des salauds, déclara-t-il en buvant une gorgée d’alcool
- Pourquoi dites-vous ça ? Demandais-je surpris par sa remarque
- Parce qu’ils nous embarquent dans leur connerie, voilà tout. On va devoir payer pour ça, moi je te le dis.
- Ouais, mais faut voir qu’on sait pas si on aura une issue favorable ou pas, tempérais-je
- Tsss, me répondit Gérard d’un ton moqueur.
Dans le fond, il avait raison. Je le savais. Je me leva pour prendre l’air et contempler la vue qu’on avait sur les hauteurs de Cahors. Puis je décidais de sortir du camp pour me balader, sans Cindy, pour me perdre dans mes pensées, même les plus noires. Je pensais à Déborah. Où était-elle ? Etaitelle encore en vie, est ce que ses parents vivaient encore ? Ca me tourmentait, car je n’avais plus de contact avec elle depuis notre rupture et si j’arrivais à la revoir, ça serait le hasard absolu.
Elle avait trente cinq ans quand elle arriva au sommet de sa carrière de peintre, c’était devenu une vraie artiste qui était invitée à de nombreux évènements culturels et bien évidemment, j’étais toujours avec elle. Les vernissages s’enchaînaient à la suite, le soir on était à San Fransisco, le lendemain nous étions à Tokyo. Et entre chaque vernissages, elle recevait des invitations de grands couturiers pour participer à des défilés de mode. De temps en temps, elle passait à la télévision mais cela ne lui plaisait pas trop. J’avais l’impression de revivre ce que j’avais moi-même vécu. Déborah avait toujours su rester une femme élégante et raffinée, mais là elle tentait de se trouver un nouveau genre de personnalité qui n’avait plus rien à voir avec ce qu’elle était réellement. Elle cherchait à se trouver un personnage en se vêtant d’une combinaison en cuir ainsi que d’une paire de cuissarde à plateforme. Pour faire ses présentations, elle avait toujours du vernis à ongle noir et un maquillage qui lui donnait un visage très pâle, le contour des yeux et les lèvres bien noires ou rouges. C’était un peu une façon gothique de s’habiller et parfois elle portait aussi une paire de mitaine. D’ailleurs son nom d’artiste était simplement Silvia Léoni.
Sa préparation en coulisse mettait toujours du temps. Il y avait une penderie avec des combinaisons en cuir de quasiment toute les couleurs. Alors une fois son maquillage et ses ongles vernis, elle enfilait sa combinaison et ses cuissarde assorties. Elle m’embrassait sur la bouche puis sortit sous un tonnerre d’applaudissement. Je trouvais que son personnage était un peu trop gothique, la presse people n’hésitait pas à le souligner. Son but était de montrer une phase sombre de sa personnalité mais de montrer un art qui plaisait à tous car impressionniste. Ses parents n’appréciaient pas cette constitution de personnage de Silvia Léoni car trouvait qu’elle s’habillait de façon vulgaire et préférait la voir faire ses présentations avec une tenue plus sobre. Mais son personnage séduisait réellement.
Une fois en coulisse, elle s’était engueulé avec sa mère qui trouvait sa combinaison en cuir rouge laide et beaucoup trop moulante.
- Maman ! S’était écriée Déborah qui avait interrompu sa pose de vernis noir, c’est pas toi qui porte cette tenue, ni ma paire de cuissarde. Je n’ai jamais dit que je trouvais ça élégant, mais au moins ça a du style pour faire des présentations. -
Tu sais, je t’ai toujours appris à t’habiller correctement, répliqua sèchement Sara, alors effectivement je ne porte pas ta combinaison, mais pour mes prestations j’étais plus élégante que ça.
- Parce que tu crois vraiment que je vais porter une robe et une paire de gants pour montrer mes œuvres ? Laisses moi rire, maman, je ne suis pas une chanteuse d’opéra comme toi.
- Peut être, mais tu n’es pas non plus une chanteuse d’un groupe de death metal ou même Marilyn Manson.
- Alors dans ce cas expliques moi comment m’habiller, merde !
- Tu vas baisser d’un ton tout de suite ! Hurla sa mère, en soit je n’ai rien contre que tu fasses ta propre identité mais je ne veux pas que tu t’habilles comme une rockstar !
Son père, Roberto, lui était plus réservé vis-à-vis des tenues de sa fille et quand il était là, il répliquait à sa femme.
- Chérie, c’est une artiste, elle sait ce qu’elle fait, disait-il calmement, elle a le droit de s’habiller comme elle veut. J’ai eu moi même des camarades qui faisaient leur vernissage dans des tenues excentriques. Ca fait parti de la prestation, c’est tout.
Je me sentais toujours mal à l’aise de les voir à trois en train de se crêper le chignon pour rien, surtout que ça parlait français au début et ça finissait la discussion par des mots en italien dont certains étaient forcément des jurons comme puttana ou troia. Et en règle générale, je ne préférais ne pas réagir ce qui énervait profondément Déborah que je ne prenne pas parti pour elle, que je voulais rester neutre dans leur querelle. A vrai dire, je comprenais sa mère qui était choquée de voir sa fille vêtue dans un accoutrement pareil, mais de l’autre elle se glissait dans un personnage et une fois son vernissage terminé, elle retournait en coulisse pour porter ses vêtements normaux et ne mettait pas de maquillage car cela commençait à lui provoquer des problèmes de peau. Une fois la prestation terminée, c’était le retour d’une femme BCBG. Déborah avait fini par ne plus inviter ses parents à ses prestations, et ce fut à présent les miens qu’elle voulait voir. Ils roulaient moins sur l’or que les siens, mais ils étaient un peu plus ouverts d’esprit et comprenaient sa démarche ainsi que ses tenues.
Cela dit, lorsqu’elle apprenait la visite de l’ambassadeur italien, c’était tout de suite plus gênant et elle se sentait mal à l’aise d’accueillir un homme comme lui accompagné de sa femme et, selon les pays, de ses enfants entièrement vêtue de cuir alors que si elle l’avait su plus tôt elle l’aurait bien évidemment accueillie dans une tenue plus adéquate. Mais les ambassadeurs s’en foutaient de ça, car je l’appris plus tard c’était précisément ce qui les excitaient et les quelques fois où je n’avais pas pu venir, ils couchaient ensemble dans la loge. J’eus appris ça plus tard.
J’étais à présent dans Cahors. C’était une ville très mignonne avec ses rues étroites, ses maisons en brique rose et son fameux Pont Valentré. Au centre-ville, il y avait quand même une certaine agitation en raison d’une ambulance des pompiers ainsi qu’un véhicule du SAMU. Le brancard des pompiers transportait un corps recouvert d’un sac noir. Ce sinistre spectacle avait lieu dans d’autres endroits de la ville que j’avais visité. Dans la rue Joachim Murat, rue Président Wilson et sur le quai Eugène Cavaignac, j’avais vu ces scènes absolument désolantes. Au bout d’un moment me vint la question de savoir combien de personnes étaient encore vivante dans cette ville, et combien dans toute la France étaient mortes du néo-choléra. Les journaux n’imprimaient quasiment plus rien, les chaînes de télévisions émettaient de moins en moins, tout comme les stations radios et pour aller sur sur internet, il fallait avoir la 4G, ce qui devenait moins facile car on savait pas du tout jusqu’à quand le réseau tiendrait. Des articles étaient quand même présents en ligne, mais ils étaient de moins en moins sourcés au point que les plus grands journaux finissaient par lancer des rumeurs parfois sans aucuns fondements, même s’il devait y avoir une part de vérité derrière. Bref, c’était que des informations contradictoires et pour certains réfugiés, ils évoquaient même qu’on nous avait installé là bas pour nous enrôler en cas de mobilisation générale.C’était sur toutes les bouches.
Cahors semblait s’être transformée en un genre de village où facilement un peu plus d’un milliers de personnes avaient fuit, ou étaient mortes car selon les quartiers, notamment près de maisons avec des fenêtres ouvertes, une forte odeur pestilentielle s’en dégageait. Je ne préférais même pas y pénétrer par curiosité. J’avais faim, pour être honnête, je trouvais que nos portions de nourriture étaient insuffisante. A chaque fois on nous promettait un prochain ravitaillement, mais qui n’arriverait jamais en fin de compte. C’était le début de soirée quand je rentras enfin au camp avec à l’entrée des bénévoles qui me regardaient d’un air mauvais. Personne ici avait vraiment envie de se révolter pour la simple et bonne raison qu’ils étaient épuisés et ne voulaient pas saccager ce qui représentait pour eux le dernier endroit où un semblant de paix régnait. De la colère, il y en avait, même moi j’étais en colère quand on me donnait une demi ration de purée ou de petits pois.En plus littéralement tous les jours on mangeait la même chose.
Cindy mangeait toujours avec moi le soir. Elle faisait de plus en plus la gueule. Je la prenais dans mes bras quand je la voyais en train de jouer avec sa fourchette ou en train de retourner sa purée. Je voyais dans ses yeux qu’elle avait envie de pleurer, et j’essayais de la rassurer en lui disant que c’était bientôt fini. Elle me confiait avoir envie de quitter rapidement ce camp parce qu’elle allait devenir folle.
- Et qu’est ce que tu comptes faire ? Lui demandais-je
- Tu comprends pas que j’en ai plein le cul de ce camp de merde ! Avait-elle commencé à hurler un jour à table et en se levant de sa chaise sous le regard médusé des occupants et des cuisiniers. Putain, tu comprends pas qu’on va tous crever ici ou quoi !?
Un enfant à côté s’était arrêté de manger pour la regarder, puis elle le pointa du doigt ainsi que d’autres personnes au hasard avec des larmes dans les yeux et continua
- Toi tu vas crever ! Toi, le mec de quarante piges tu vas crever ! Ta meuf aussi ! Vous allez tous crever ici, et vous vous en rendez même pas compte.
- Cindy, s’il te plaît, calmes toi ! Demandais-je
Elle se leva d’un coup, les larmes aux yeux. Son maquillage était en train de couler.
- Fermes ta gueule, toi ! Hurla-t-elle encore plus fort en me donna une violente gifle. Tu sais très bien que j’ai raison, tu le sais très bien ! Mais putain, comment est ce que vous tous ensemble ici vous faites semblant de ne pas vous rendre compte dans quelle merde on est !
Tout le monde avait arrêté de manger et la regardait faire sa crise d’hystérie. Des bénévoles accoururent.
- Et vous, vous allez faire quoi !? Vous allez continuer à nous tenir en laisse dans ce putain de camps, vous allez vous assurer qu’on va pas chercher à s’échapper d’ici !?
D’un accès de rage, avec ses mains elle jeta toutes nos assiettes par terre, puis prit sa chaise et l’explosa au sol avant de quitter la tente. Je la rejoignis, elle était en train de hurler de rage puis balança sa paire de sandale partout. Le pire fut de la voir en train de s’arracher les vêtements. Cindy était complètement hystérique, aucuns bénévoles n’osaient la voir et je me mit à courir pour la serrer dans mes bras. Elle pleurait tout ce qu’elle savait, ça me fendait le coeur et puis ses traits avaient changés. Ils étaient devenus durs.
- Je suis désolée, mon chéri, mais j’en peux plus, me disait-elle entre deux sanglots. T’es la seule personne que j’ai apprise à connaître, j’ai sans doute plus d’amis, mes parents sont probablement morts. Je me sens terriblement seule ici. J’ai envie de mourir.
- Ne dis pas ça, chérie, c’est un mauvais moment qu’on passe tous, lui disais-je, tu n’as pas à avoir honte de te sentir désespérée. C’est normal, mais ressaisis toi quand même.
Heureusement, on lui donna une nouvelle robe qui était cette fois à motif fleuri mais qui lui allait moins bien que sa robe rouge qu’elle avait arrachée. Je ne savais plus quoi faire pour elle. En plus ce qui n’arrangeait pas les choses c’était de savoir que le Président parlerait très prochainement, et selon les dernières rumeurs on approchait de la fin.
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