11 juillet
Un gamin de dix ans était en train de courir dehors en criant « Venez vite il va parler ! ». Je lisais tranquillement, et je vis un mouvement de foule se ruer vers le préfabriqué qui servait de salon. Quelqu’un avait ouvert la fenêtre pour qu’on puisse regarder depuis l’extérieur. L’écran montra une image de l’Elysée, qui ne devait plus être depuis quelques semaines le lieu de pouvoir, avec en fond la Marseillaise. Le Président était assis derrière un bureau qui semblait en verre, rien à voir avec celui de son Palais et puis il avait mauvaise mine. L’intérieur de ce bâtiment avait l’air d’être en béton. Au bout d’une minute de silence, il regarda la caméra puis déclara d’un ton grave.
« Français, Française, mes chers et chères compatriotes. Aujourd’hui, je souhaitais vous parler, car comme vous le savez, de terribles évènements sont en train de se passer en France, mais aussi en Europe et dans le monde entier. Ces évènements d’une envergure inédite ne sont, hélas, pas en train de s’arranger. Prochainement, nous allons nous retrouver en état de guerre totale »
il se tut.
« Mes chers compatriotes, je peux vous garantir que tout aura été fait de ma part durant un sommet organisé d’urgence en visioconférence pour que la paix puisse revenir rapidement et que les morts cessent. Ces mots n’ont pas suffit à calmer nos ennemis. Ce sommet était comme étant celui de la dernière chance, malheureusement cela n’a pas suffit à les convaincre de la nécessité de stopper les combats. A présent, nous nous savons condamnés. Si la menace humaine n’est pas la seule à sévir actuellement, il me serait gênant d’oublier d’évoquer cette vague de virus dont nous ne connaissons pas l’origine. Nous ne savons pas si ces multiples pandémies sont le fruit du hasard ou une attaque bactériologique de grande ampleur, toujours est-il que malheureusement nous ne pouvons rien faire si ce n’est essayer de leur survivre aussi. Ils sont difficiles à identifier ce qui fait qu’il est impossible de l’affronter. Par conséquent, et nous devons nous dire les choses, la fin du monde est proche. Ce discours aura été court, mais je vous prie de croire, mes chers concitoyens, que ces mots m’auront été difficile à écrire, à dire, car comme vous j’ai peur de ce que nous allons vivre, mais je ne peux pas m’empêcher d’être positif et de penser que nos ennemis d’aujourd’hui seront nos amis de demain à l’image de l’Allemagne qui aura été notre ennemi, mais qui depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale aura été notre ami, notre meilleur partenaire commercial et avec qui nous avons pu créer l’Europe tel que nous l’avons connu jusqu’à aujourd’hui, avec, je le reconnais, ses hauts et ses bas. Malheureusement, je crains que cet optimisme ne soit pas un scénario crédible.»
« Ainsi, l’Histoire de la France prendra certainement fin dans les prochaines semaines. Nous ne saurons jamais quel jour exactement elle est née, mais nous saurons peut être quel jour elle sera « morte ». Ce pays dans lequel nous sommes nés après la guerre nous semblaient intouchable par un nouveau conflit d’intensité mondiale, nous espérions même y vivre du début à la fin dans une période de paix mais cela n’aura pas été le cas. »
« Je souhaiterais ainsi vous remercier pour la confiance que vous avez su m’accorder durant ce quinquennat, je vous en suis entièrement reconnaissant et je tenais à m’excuser sincèrement d’avoir déçu certains d’entre vous. Croyez en l’émotion à laquelle je fais ce dernier discours, car cela n’est pas facile de se dire qu’on entre dans l’Histoire compte tenu de la situation exceptionnelle, par sa gravité et les mots n’ont pas été facile ni à écrire, ni en ce moment à être dit » « Je souhaite ainsi à chacun d’entre vous, citoyens de tous horizons, bonne chance car ces prochains temps ne seront pas faciles. »
La Marseillaise fut de nouveau jouée et le journaliste à la télévision avait un air grave avant de faire des commentaires sur le discours qui venait d’être prononcé. Un silence pesant se fit ressentir, tout le monde s’y attendait. Il n’y avait pas vraiment de tristesse sur les visages que j’étais en train de regarder, juste de l’incompréhension,de la sidération, de l’angoisse. Cindy était bouche bée. Elle ne savait pas quoi dire et tenait fermement mon bras comme si elle avait peur.
Je la serra alors dans mes bras, puis elle me demanda ce que je comptais faire. A ce moment, les bénévoles de la Croix-Rouge vinrent en courant pour nous demander ce qu’on voulait faire en sachant que ce de ce qu’avait dit le Président, à présent nous serons livrés à nous-mêmes. Certains avaient quand même envie de rester, d’autres voulaient partir et c’était là où les choses se corsaient. Un débat fut organisé vers midi pour prendre une décision. Le staff nous prévint qu’ils savaient pas quand serait le prochain ravitaillement de nourriture et de médicament. Beaucoup d’arguments trouvés faisaient que ça valait le coup d’y rester. Personne ne savait quoi faire.
Toute la journée, notre « salon » servait à discuter avec l’aide des bénévoles qui voulaient de toute façon rentrer chez eux pour passer leur dernier moments en famille, car parmi eux en figuraient qui ne venaient pas du Lot, ni même de la région. Un homme du nom de Patrick les regarda tous ensemble, puis leur dit « Dans ce cas, ne restez pas ici. Rentrez chez vous, nous on est ici avec nos familles, pour la plupart, mais vous non. »
- Mais nous avons pour le moment pas reçu l’ordre de nous retirer, répliqua une jeune bénévole du nom de Lola
- Attends, poulette, tes chefs ils se sont barrés, répondit Patrick en s’avançant vers la jeune femme, et ils s’en foutent de toi maintenant. Eux, ils cherchent à sauver leur peau et qui sait, ils ont peut être même quitté le pays à l’heure qu’il est et toi et tes petits camarades, vous allez attendre qu’ils vous appellent en vous disant que c’est fini, votre job ?
- Ben ouais, c’est ce qu’on nous a dit !
Patrick se mit à rigoler
- Ecoute, gamine, moi je te dit barres toi. Maintenant, va falloir que tu grandisses et que tu prennes toi-même une décision plutôt que d’attendre quelque chose de la part des autres. T’as pas la choix, là.
Il avait raison, mais je n’aimais pas sa façon qu’il avait de parler à une ado de dix-sept ans qui avait du mal à réaliser ce qui était en train de se passer. Elle venait d’apprendre, comme beaucoup d’autres Français, que son pays était foutu et qu’il fallait à présent se prendre en main. C’était de la survie qu’on exigeait de nous à présent. Même moi j’avais encore du mal à réaliser dans la journée ce que venait de dire le Président, car c’était un discours qui me paraissait surréaliste, mais il venait d’être prononcé. Cindy et moi décidions tout simplement de quitter le campement avec nos bagages et nous descendîmes à Cahors avec tout nos bagages.
On approchait de dix-neuf heures, il faisait encore jour. Nous portions tous les deux nos lunettes de soleil. On était fatigués par notre descente. Cahors faisait à présent ville morte. Aucune voiture ne circulaient, on vit littéralement que deux personnes dans la rue. Etant donné que les gendarmes ou la police n’interviendraient plus pour un vol, je pris la première voiture que je voyais.C’était une Peugeot 106 bleu marine avec un A sur la vitre arrière et des autocollants de l’OM sur le coffre. Je me sentais mal de voler quelque chose qui ne m’appartenait pas. Je chercha un objet par terre pour casser la vitre du conducteur. Une fois fait, nous déposions nos bagages dans le coffre puis je la conduisis avec une vitre en moins.
C’était une voiture sympa, je trouvais, et c’était agréable de conduire sur les routes lotoises. Malheureusement, il n’y avait pas de cartes routières. Cindy me disait qu’elle avait une amie qui habitait quelque part en Corrèze, du côté de Brive, un truc comme ça. Son amie était en couple avec un architecte reconnu dans le monde entier, qui avait un cabinet à Paris et dans d’autres grandes villes mondiales, comme Dubaï, New York et même à Tokyo. Ils roulaient sur l’or tous les deux. Cindy savait qu’ils me plairaient et ainsi je conduisis jusqu’à Brive en prenant l’autoroute qui était déserte.
Le soleil commençait à se coucher, on approchait des vingt-et-une heures. Il faisait toujours aussi chaud. Le parking des aires de repos n’avait aucuns camions, leurs boutiques étaient même fermées. C’était un trajet absolument étrange, et j’en profitais ainsi pour essayer de la pousser au maximum. Cindy m’indiqua la sortie. Je pris un rond-point indiquant la direction de Bordeaux et de Périgueux puis nous traversions une zone commerciale où même un Burger King n’avait aucune voitures alors qu’en temps normal il y avait de nombreuses familles qui devaient s’y rendre.
C’était sur une route qui surplombait la Vézère que se trouvait la villa des amis de Cindy. L’allée était magnifique avec ces platanes de chaque côté. Arrivé au portail, j’appuyais sur le bouton de l’interphone. Un homme me répondit, et Cindy se pencha pour se présenter. Deux domestiques vinrent en courant nous ouvrir le portail et nous invitèrent à garer notre voiture. Ils étaient bien coiffés, vêtus de chemises blanches avec un nœud papillon, d’un pantalon ainsi que des chaussures noires. Il y avait de nombreuses voitures de luxe présentes, immatriculées dans de nombreux départements de France, mais aussi venant d’Allemagne, de Belgique, des Pays-Bas et même d’Estonie. Tous avaient fait la route pour venir jusqu’ici.
L’un de ces domestiques nous fit une petite courbette puis nous invita à le suivre. La maison était moderne, de forme cubique avec énormément de baies vitrées. On voyait depuis l’extérieur les invités en train de discuter entre eux autour d’une coupe de champagne. Le couloir était tout blanc avec des meubles qui ressemblaient à ceux d’Ikea. Le blanc et la luminosité omniprésente donnait l’impression d’une atmosphère aseptisée. C’était assez spécial. Un homme grand, blond avec les cheveux coiffé en arrière et une barbe blonde vint nous voir avec un grand sourire. Cindy me présenta à lui, c’était un type vraiment génial.
- Ca me fait plaisir de te revoir Cindy, dit l’homme, mais j’aurais préféré que nous nous voyons dans d’autres circonstances. Au fait, je m’appelle Thibault, ajouta-t-il en me regardant et en me serrant la main, je vous sers quelque chose à vous deux ?
- Un bière pour moi, répondis-je
- Une vodka, ajouta Cindy
Il revint quelques instants plus tard avec nos boissons puis nous invita à trinquer. Sa villa, c’était lui qui l’avait dessiné. Il était fier de ce projet et n’hésitait pas à me vendre toute les qualités qu’elle avait. Thibault semblait vraiment passionné par son métier, puis il me demanda ce que je faisais et je le lui expliqua. Alors il fut ravi car il était passionné de littérature, cinéphile aussi. Il nous invita à le suivre pour nous présenter un cinéma souterrain qu’il avait fait installer ainsi que sa bibliothèque absolument énorme.
- Les invités qui sont dans le salon font partis d’une élite intellectuelle de leur pays. Ce sont de mes amis, pour certains, mais ce sont les amis des amis, expliqua Thibault.
- Pourquoi faire une fête dans un moment pareil alors que c’est inapproprié par rapport au contexte actuel ?
- C’est notre dernière soirée ici en surface. J’ai fais construire une abri antiatomique pour nous protéger et toute les personnes présentes à cette soirée auront le droit d’y accéder. On va devoir se serrer les coudes pendant plusieurs mois, voir jusqu’à la fin de nos jours alors autant se retrouver avec des amis. En plus, j’ai mit énormément de bouteilles de vins à l’intérieur de cet abri.
- Et c’est quoi le programme de cette soirée ? Demanda Cindy en tenant son verre de vodka vide.
- Vous faites ce que vous voulez, moi je m’en fous, répondit son ami en haussant des épaules
La femme de Thibault était présente dans l’immense salon et parlait avec un vieux couple de Hollandais. Elle était très belle et était élégamment vêtue d’une robe courte noire et d’une paire d’escarpin à plateforme. C’était une femme très souriante qui vint me voir pour faire connaissance.
- Vous êtes le fameux écrivain ? Demanda-t-elle en roulant des R
- Oui, c’est bien moi.
- J’ai toujours eu ce rêve de devenir écrivaine si j’avais pu le faire, disait-elle . Mes parents l’étaient aussi, en Espagne, mais ils ont jamais vraiment rencontré de succès alors qu’ils avaient écrits des bons bouquins.
- Vous savez, c’est très compliqué de se faire publier, répondis-je en buvant une gorgée de bière. On est obligé d’envoyer à tellement de maisons d’éditions quand on est nouveau que ça peut être décourageant.
- Mais vous, vous avez connu le succès en faisant des adaptations de vos romans en film.
- Ca n’a pas non plus été évident.
Elle me regarda d’un air amusé, puis dit.
- Vous avez l’air d’être un intellectuel. Vous êtes bien plus beau que mon mari. Cindy doit être heureuse d’être avec vous. Vous êtes ensemble depuis combien de temps ? Elle nous a jamais parlé de vous.
- Je ne la connais que depuis un mois, en fait, expliquais-je. C’est le hasard qui nous a fait nous rencontrer et puis on ne s’est plus quitté depuis quelques jours.
- Oh, je vois. Vous ne faites que l’aider dans cette situation.
- Ouais, c’est ça. On vient de sortir de quinze jours de camp de réfugiés, ça nous fait du bien de retrouver une maison. Même conduire une voiture, j’ai l’impression que ça fait une éternité que je n’ai plus eu cette chance là de pouvoir le faire.
- Ce sont des choses dont il faudra apprendre à se passer. Vous ne pourrez plus conduire votre bagnole quand la France aura été réduite en poussière. Comme nous, vous ferez partie de l’ancien monde.
- C’est pour moi assez étrange d’être ici et de célébrer en quelques sorte la fin du monde.
- Vous inquiétez pas, ça l’est tout autant pour nous, répondit la femme de Thibault avant de se tourner vers d’autres convives.
La musique continuait de battre son plein. Ce qui était la salle de réception était devenue une salle avec tout plein d’ordinateurs qui étaient vide, mais où Thibault nous expliqua en la présentant que « Si vous voulez passez un dernier bon moment ou contacter vos proches une dernière fois, n’hésitez pas à vous en servir ». Je m’installa derrière un de ces écrans. Un homme d’une trentaine d’année vêtu d’un costume Hugo Boss bleu marine vint s’asseoir en face de moi. Il pianota quelque chose avant de sortir de sa poche un chapelet pour murmurer des prières dans une langue que je n’arrivais pas à déchiffrer.
Je regardais les réseaux sociaux. On sentait que la fin approchait, car des nouvelles étaient présentes depuis cinq jours. Sur ma boîte mail, j’avais encore mon opérateur qui me parlait de la dernière facture de téléphone, et c’était le vingt-neuf juin. Je ne sais même pas pourquoi j’avais décidé de surfer sur internet, c’était quelque part insensé, pas logique du tout. Mais j’avais envie de voir ce qu’était devenu Déborah qui avait supprimé tous ses comptes, même celui de son compte d’artiste. Après notre rupture, elle avait continuée à faire ses expositions, ses peintures étaient devenues plus sombres et elle continuait de faire vivre son personnage.
Une interview télévisée avait même été menée dans une maison qu’elle avait en Provence, et c’est vrai que c’était une très belle maison où elle vivait avec ses chiens. J’étais content de lire qu’elle se sentait heureuse dans sa vie, qu’elle avait plein de projets. Ses projets ne prendraient jamais vie, hélas, car c’était des articles de l’an dernier. Le jeune homme en face de moi avait à présent un casque audio sur les oreilles et téléphonait avec sa famille. Je l’observais, c’était dur de le voir en train de parler avec des larmes en train de couler. Je pense que sa famille c’était pareil. Alors je sortis de l’ordinateur pour rejoindre les autres invités. Cet homme avait besoin d’intimité.
Cindy était en train de discuter de son côté. Quand elle m’aperçus, elle vint me voir pour me demander comment était en train de se passer la soirée. C’était sympa la soirée. On approchait des vingt-trois heures et tout le monde avait dans ses mains un verre d’un cocktail vert fluo, comme du Get 27 avec un autre alcool à l’intérieur mais il ne m’intéressait pas.
A vrai dire, je m’ennuyais un peu ici alors je sortis prendre l’air pour regarder de plus près les voitures des invités. La seule qui faisait tâche, c’était la « mienne » car il y avait une Ferrari, une BMW, deux Jaguar et cinq Range Rover. Il y avait une pièce que j’observais depuis tout à l’heure où l’on voyait un jeune homme en train de copuler violemment avec deux vieilles femmes. Je n’arrivais pas à décrocher mon regard de cette scène. Soudain Thibault arriva, puis dit.
- C’est une belle dernière soirée que nous avons, n’est-ce pas ? Les étoiles et la Lune sont présentes, il fait frais. La Terre s’en fout que nous ne serons plus rien à partir de demain.
- Au moins, ce ciel a quelque chose de poétique, répondis-je en levant les yeux vers les étoiles
- Je ne sais pas si pour vous c’est pareil, mais actuellement je suis en train de faire un bilan de ma vie et quelque part, j’ai l’impression de ne pas avoir vécu la vie que j’aurais aimé avoir. Pas vous ?
- Je crois que de toute façon, peu importe ce qu’on aura fait de notre vivant, nous ne serons jamais satisfaits, car on nous encourage à faire tout ce qu’on veut et notre plus grande frustration dans notre lit de mort c’est de se rendre compte qu’on a pas réalisé tous nos rêves.
- Si vous n’étiez pas écrivain, vous auriez fait quoi comme travail ? Vous auriez aimé fonder une famille et mener une vie rangée ?
- Je n’en sais rien. Je pense que si je n’avais pas été en école de commerce, je n’aurais jamais mené le train de vie que j’ai mené jusqu’à présent.
- Moi c’est pareil. Si je n’avais pas fait mon école d’architecture, ni même construits des gros bâtiments, je pense qu’à l’heure qu’il est je ne serais pas dans cette maison et encore moins en train de parler avec vous.
C’était un homme qui paraissait sincère dans ce qu’il était en train de dire. Un décompte se fit entendre à l’intérieur de la maison, puis Thibault me prit par l’épaule et m’invita à le suivre. Minuit venait de sonner.
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