12 juillet
Quand je rentrais dans le salon, quasiment tous les invités avaient le pas lourd, les yeux injectés de sang et certains étaient complètement affalés sur des chaises, le grand canapé et semblait à deux doigts de s’endormir. Thibault les regarda dans cet état. Un jeune homme était allongé sur le sol, un filet de bave au coin de la lèvre. Je me sentais pas rassuré, surtout que notre hôte était parfaitement détendu avant de boire à son tour ce cocktail. Sa femme marchait au milieu de ces corps bientôt inanimés avec un grand sourire destiné à son mari qu’elle embrassa fougueusement.
- Rita, ma chérie, veux-tu bien apporter à ce monsieur un verre, lui ordonna-t-il d’une voix douce. Sa femme s’exécuta
- Pourquoi sont-ils tous dans cet état là ? Demandais-je en essayant de pas regarder ces personnes agonisantes.
- Ce que vous êtes en train de voir là, mon ami, c’est un cocktail que tous les invités ont ingérés.
- Ca je vois bien, mais vous ne répondez pas à ma question.
- On a tous été plus ou moins consentants pour mourir ici, expliqua-t-il. Il y a vraiment un abri antiatomique ici, mais je crois qu’entre devoir vivre dans des poussières radioactives et mourir, vous auriez rapidement fait votre choix.
- Mais je veux pas mourir ! Commençais-je à m’exclamer. Vous êtes complètement fou !
- Pas plus que la personne qui veut souffrir jusqu’au bout Rita arriva avec un plateau et le cocktail. Elle me le tendit. Violemment je frappa par dessous le plateau. Elle s’exclama de surprise et le verre se brisa par terre. Thibault regarda avec effroi ce que je venais de faire puis se mit à me pousser.
Sa femme se mit à pousser des hurlements. Je donna un coup de poing au visage de son mari qui chuta par terre le nez en sang. Il se releva rapidement puis me souleva par le cou d’un air furieux et me jeta à travers une table en verre. J’avais des éclats partout, j’avais mal aussi et il revint toujours pour me donner des coups de pieds. Je souffrais, je criais et puis soudain, il s’arrêta et hurla avant de s’effondrer. Cindy l’avait poignardé dans le dos, mais elle était dans le même état que ceux qui avaient consommés le cocktail. Elle murmura « Je l’ai fais pour toi, chéri » puis s’effondra.
Rita assistait impuissante à la scène qui venait de se passer sous ses yeux, puis porta les mains à sa bouche en voyant son mari gisant mort, ensanglanté sur le sol de leur demeure. Il agonisait en poussa un genre de râle. Je regardais quelques instants la scène puis je décida de retrouver Cindy en l’appelant. Elle ne me répondait pas, je commençais à m’inquiéter et puis en descendant dans la cuisine, je vis une paire de jambe dénudées derrière le plan de travail. Derrière le plan de travail se trouvait une grosse flaque de sang et le corps de la jeune femme juste à côté, les yeux grand ouvert et la bouche en sang.
J’étais horrifié par ce que j’étais en train de voir, j’avais envie de vomir, je ne me sentais pas bien et puis je ne sais pas pourquoi je me mit à fondre en larme. Cela faisait bientôt un mois que je la connaissais, je m’étais réellement attaché à elle et elle était là, par terre, morte. Elle était arrivée à quitter ce camp comme moi, et cette période de liberté avait été plus que courte. Je ne préférais pas savoir si elle avait ingérée cette boisson, ni même si elle avait souffert. Dans tous les cas, je me retrouvais seul à finir ce parcours que je m’étais fixé. Je remontais à la salle de réception en haut, Rita était toujours en train de pleurer la mort de son mari pendant que je faisais les poches des morts à la recherche des clefs de leur voiture. Finalement, ce fut dans le sac à main d’une invitée âgée que je les pris.
Le logo représentait celui de Volvo. En activant le bouton d’ouverture des portes, je remarquais que c’était un XC40 que j’allais conduire. Je me foutais allégrement de ce que deviendrait Rita, elle pouvait mourir seule à présent, j’en avais rien à foutre. Les domestiques étaient dans une autre pièce située au rez-de-chaussée et furent surpris de voir que j’étais toujours debout. Je demandais à l’un d’eux de m’ouvrir le portail, chose qu’il fit sans discuter.
Le SUV était très confortable. Le climatiseur tournait à fond. Je ne sais pas pourquoi, mais je continuais de respecter les limitations de vitesse alors qu’il n’y avait plus aucunes voitures en circulation sur la départementale qui allait m’emmener vers l’autoroute. De toute façon, c’était une heure du matin. Quand j’entrais dans la zone commerciale, je me gara sur une place de parking d’un Carrefour pour dormir puis reprendre la route. Je ne me sentais pas tranquille du tout après ce qui venait de se passer. Même en ayant le siège entièrement baissé, je ne pouvais pas m’empêcher de penser à ce que j’avais vu tout à l’heure. Je crois que je venais de réaliser ce que j’avais vu : c’était un suicide collectif. Je n’étais pas passé loin de la mort.
J’avais du mal à fermer les yeux. Assister comme ça à un suicide collectif, c’est une expérience très étrange, très glauque. Je me réveilla vers huit heures. Le ciel était couvert. Je descendis du Volvo pour me dégourdir un peu les jambes et profiter de ce calme sinistre. Il n’y avait plus aucune vie. Quand je me dirigea vers la porte d’entrée du supermarché, une affiche était collée.
Suite aux problèmes d’approvisionnement engendrés par la crise actuelle et face aux potentiels débordement pour certaines denrées, nous avons décidé de fermer jusqu’à nouvel ordre votre magasin Carrefour.
Nous nous excusons pour la gêne occasionnée
Je regardais l’intérieur des fast-foods et des autres boutiques. Tout avait l’air parfaitement bien rangé à l’intérieur. Les affiches pour les soldes dans les magasins de vêtements étaient encore présentes, les panneaux pour des réductions pour des menus à emporter afficher des dates d’expiration en septembre….J’observais cette ambiance apocalyptique. Quand je retournais à mon véhicule, ce fut pour prendre l’autoroute en direction de Limoges.
En montant sur l’A20, un convoi d’engins militaires était en train de rouler en direction de Toulouse. Ma voie était complètement déserte. Je pense que j’aurais pu marcher en plein milieu de la voie du milieu sans risquer de me faire faucher par une voiture roulant à près de 130km/h. Limoges n’était plus qu’à une quarantaine de kilomètres quand un voyant rouge apparu pour me montrer que le réservoir était bientôt vide. Finalement, je tenu le coup et j’abandonnais mon véhicule sur la bande d’arrêt d’urgence, peu avant la sortie n°36. Il se mit à pleuvoir. J’étais mouillé et je marchais le long de l’autoroute jusqu’à cette sortie.
C’était dix heures, quelque chose comme ça. Aucunes voitures sur l’autoroute, aucunes voitures sur la départementale et des voitures étaient abandonnées sur les parkings des magasins à présent désaffectés. J’étais fatigué par ma nuit, tout ce que je voulais c’était dormir quelque part, à l’abri et avoir de quoi manger. Certaines maisons qu’il y avait sur la rue de Toulouse étaient mignonnes, je dois admettre mais je préférais continuer de marcher jusqu’au centre ville et finalement, j’y parvins assez rapidement.
C’était plutôt joli le centre-ville. J’appréciais ces immeubles qui étaient grands et ces avenues arborées. Le seul véhicule en marche que je voyais, c’était un camion-benne qui circulait dans ces rues avec un homme au volant portant un masque chirurgical. A chaque passage, son conducteur me regardait d’un air méfiant, comme si j’aurais pu lui vouloir du mal. Cela m’intriguait, alors je me mit à suivre du mieux que je pouvais l’engin de chantier et je le retrouvais sur une berge de la Vienne, sur ce qui devait être un ancien parking en train de manoeuvrer.
Des corps étaient en train de chuter dans la rivière et lorsque le conducteur me repéra, il descendit de la cabine pour venir me voir d’un air menaçant.
- Eh, vous là bas ! S’exclama-t-il en marchant droit vers moi, depuis tout à l’heure je vous vois, je ne sais pas ce que vous êtes en train de mijoter, mais ça ne me plaît pas du tout !
- Je ne vous veux aucun mal, répondis-je un peu impressionné par la carrure du chauffeur, je ne sais pas ce que vous êtes en train de faire et…
- Ben venez que je vous montre, puisque vous êtes si curieux, me coupa l’homme.
Il me prit par le bras pour me tirer vers le bord de la rivière où il y avait une montagne de cadavre qui était en train de se former. L’odeur était très forte, j’avais envie de vomir alors que je n’avais rien manger de particulier.
- C’est des cadavres, tous morts d’un de ces nouveaux virus qui vient d’apparaître. Je suis obligé de les jeter ici, car notre crématorium est surchargé. Plus de la moitié de la ville y est passée, il y a plus grand monde ici. Vous êtes satisfait de ce que vous avez vu, hein ?
Même s’il avait une façon froide d’expliquer les choses, il semblait quand même bouleverser par la situation.
- Moi, je serais vous, je ne resterais pas plus longtemps que nécessaire ici. Croyez moi, vous avez pas envie d’y rester, fuyez.
-Je n’ai pas dormi de la nuit, je suis fatigué, je cherche un endroit où dormir.
- Pas chez moi, je suis désolé et les hôtels, vous aurez peut être la chance d’en trouver avec la porte grande ouverte.
L’homme retourna à sa triste besogne et je fis demi-tour pour remonter en ville. Il y avait un charmant petit hôtel, rue de la boucherie. La porte n’était pas fermée à clé. Je rentrais à l’intérieur de cet hôtel qui avait la cuisine encore bien remplie, et même le frigo à boisson du bar l’était aussi. Tout était en train de marcher. Je trouvais ça étrange qu’il n’avait pas été pillé. A l’étage se trouvait des chambres avec les lits faits. Je me déchaussais, puis je m’allongeais et je m’endormis.
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