14 juillet
J’attendais sur un banc de la gare avec une dizaine d’autres personnes autour de moi. Le train attendait qu’on embarque. Il n’y avait que deux voitures pour nous et les autres étaient des wagons de trains de marchandises. On nous prévint qu’on ferait un arrêt à Châteauroux afin de déposer de la nourriture aux soldats avant de reprendre la route pour Paris.
Il y avait un contrôleur, et l’employé du local avait avec lui un chariot avec des sandwichs et des boissons qu’il avait récupérées dans un supermarché. On l’aida à tout monter à bord. Le jeune homme qui m’avait invectivé hier était lui aussi présent, mais il avait pas l’air d’avoir fumé son joint. Il avait les yeux complètement injectés de sang. Le placement à bord du train était libre. Personne ne parlait, tout le monde était silencieux et quand le train commença à avancer, je ne pu m’empêcher de regarder par la fenêtre la ville qui commençait doucement à passer sous mes yeux.
Le camé était deux rangées derrière moi. Je partis faire un tour au toilette, et il avait le regard dans le vide. Quand j’en ressortis, le contrôleur était en train de discuter avec une dame tout en nous distribuant à chacun une bouteille d’eau avec un sandwich sous vide. Le sandwich était dégueulasse, mais au moins ça permettait de calmer notre faim. On était un 14 juillet, jour de Fête Nationale et aujourd’hui, au lieu de regarder à la télévision le défilé militaire, nous étions ici dans ce train pour la capitale sans même se poser la question de ce qu’on allait y faire.
Déborah ne connaissait pas du tout le défilé du 14-Juillet à Paris, sur les Champs-Elysées. Alors un jour, j’avais décidé de l’y emmener pour voir la parade militaire. Il faisait chaud ce jour là, il y avait une immense foule des deux côtés de l’avenue pour contempler les engins de l’armée ainsi que le ballet aérien au-dessus du ciel parisien. Elle était jolie ce jour là, avec sa robe bleue, sa paire de talon, son chapeau et ses lunettes de soleil. Cela l’impressionnait d’entendre le bruit de ces appareils militaires. Egalement, c’était fabuleux de voir le chef de l’État saluer la foule depuis son véhicule.
Une fois le défilé terminé, on partit voir les démonstrations qui étaient organisées selon les endroits avec des manœuvres de pompiers, du GIGN et des hélicoptères militaire. Déborah me disait qu’elle trouvait que ça faisait propagande, ce qui était le cas, mais d’un autre côté, c’était un évènement absolument impressionnant. Néanmoins, cela l’épatait vraiment les simulations d’assaut sur un bus où se déroulait une prise d’otage. Et il y avait de quoi l’être.
Le 14-Juillet, c’était toujours un moment formidable où en plus en soirée il y avait un concert gigantesque au Champs-de-Mars avec un feu d’artifice embrasant la Tour Eiffel. On avait mangé dans un restaurant cher avant le début du concert. C’était vraiment de très beaux moments qu’on passait ce jour-là. En y repensant maintenant, je crois que ce fut la période où j’étais le plus heureux dans ma vie.
Je mangeais en regardant le paysage. L’ambiance était très lourde à bord de ce train. Les gens autour de moi parlaient de ce qu’ils comptaient faire une fois arrivés à Paris, alors qu’on ne savait pas dans quel état on allait trouver la ville. Finalement, la réponse fut rapide lorsque l’on arriva à Châteauroux.
La gare était désertée. On nous fit même pas débarquer sur le quai, mais directement sur les rails. Des militaires nous invitèrent tous à descendre en nous disant que des missiles nucléaires avaient atteints Paris et que la zone au-dessus de Châteauroux était interdite. Le wagon de marchandises fut rapidement ouvert, et des soldats se jetèrent sur des boîtes de conserves et de l’eau présente à bord. L’officier demanda au conducteur du train de descendre de sa machine pour nous rejoindre. On attendit une quarantaine de minutes le temps qu’ils trouvent un accord. Une fois l’échéance passée, le soldat se tourna vers nous puis nous annonça
- Bon, vous ne pouvez pas rester ici. Vous reprenez le train pour retourner à Limoges. Je suis désolé, mais je ne peux rien faire pour vous, on galère déjà à nourrir et ravitailler nos hommes alors pensez bien que si on a des bouches supplémentaires, ça sera encore plus dur pour nous.
Certains passagers roulèrent des yeux, ou se mirent à pleurent, fatigués par cette situation. J’acceptais de retourner dans le train afin de regagner ma place. Le train effectua sa manœuvre et une fois qu’il fut dans le bon sens puis démarra, je força la porte du train pour sortir et m’enfuir sous les yeux médusés du contrôleur qui me cria de revenir. J’étais en train de courir au milieu des voies ferrées pour rejoindre ce qui ressemblait à un entrepôt et je franchis le grillage. Les soldats ne m’avaient pas vu m’enfuir.
Je ne voulais pas retourner à Limoges, car j’aurais dû trouver un nouveau moyen pour retourner ici. Châteauroux n’avais plus grand monde non plus. Des voitures étaient encore présentes en nombre, alors j’en vola une de nouveau pour fuir la ville. J’ignorais pourquoi des soldats étaient ici, c’était surprenant de voir ces véhicules kakis au milieu du centre-ville, et certains hommes qui discutaient entre eux furent distraits par ma voiture. Je roula encore une fois le plus loin possible avec ce nouveau véhicule. J’arrivais vers dix-sept heures à Selle-sur-Cher, dans le département du Loir-et-Cher.
Il n’y avait plus d’âmes qui vivaient ici. En abandonnant la voiture en plein milieu de la route, près de l’église, je criais à l’aide. Je me sentais perdu ici, j’avais quasiment envie de pleurer en voyant que c’était vide, et pourtant quelques voitures traînaient par-ci par-là. Je frappais à chaque porte d’entrée sans réponses. Mais l’une d’elle située de l’autre côté du Cher était ouverte alors je me permit d’y entrer.
Le hall d’entrée était magnifique. C’était une grande maison, avec la façade grise, un étage et entourée d’un beau jardin avec une piscine. Le salon avait une télévision,la table de la cuisine avait les restes d’un repas qui devaient sans doute pourrir depuis plusieurs jours, si ce n’est plusieurs semaines. Lorsque je décida de monter à l’étage, chaque chambre étaient fermées, mais il y avait une odeur de pourriture assez désagréable que l’on sentait même depuis l’extérieur. Quand j’ouvris au hasard une des portes, je vis le corps d’une jeune femme la bouche ouverte, en état de décomposition, allongée dans son lit et dans l’autre pièce, il y avait son petit frère et la chambre juste à côté, il y avait les parents dont la mère tenait son mari dans les bras. C’était horrible ce que je voyais. Ils étaient tous dans un très sale état, je n’osais pas m’approcher des corps car Dieu seul sait quel virus ça pouvait être. Si tant est que ça soit le même, et pas un autre qui avait fait son apparition.
En descendant les escaliers, je me mit à vomir partout. J’ouvris la fenêtre du salon, puis je me laissa tomber dans le canapé. J’avais besoin de me reposer après tout ce que j’étais en train de vivre depuis plusieurs jours, mais surtout parce que c’était insoutenable de voir une famille décimée. C’était horrible de voir ce que j’avais vu, encore plus de voir des jeunes entre dix et vingt ans en train de pourrir dans leur lit alors qu’ils avaient toute la vie devant eux. Je me leva dix minutes plus tard pour fouiller le frigo. J’en sortis une canette de Coca. C’était agréable de boire une boisson bien fraîche, même si inévitablement je savais que je serais obligé de boire dans les minutes qui suivent de l’eau.
Je ressortis de la maison pour continuer de marcher dans cette avenue vide, mais où les platanes produisaient une légère brise très agréable. Déborah aurait sans doute aimée vivre dans une rue pareille et dans une petite ville comme celle-là. C’est très mignon comme endroit, j’aurais aimé continuer d’y traîner plus. Paris devait sans doute être à un peu plus de cent-quatre vingts kilomètres d’ici. Je n’avais pas l’impression d’avancer pourtant alors que mon périple avait commencé il y a trois semaines depuis la côte Basque.
J’aurais aimé en ce moment être chez moi, à Espelette, dans ma maison, allongé sur une chaise longue et lire un livre au soleil, avec ce petit air frais venant des montagnes et mon ex pas loin. Je lirais mon livre, elle sortirait par la baie vitrée, vêtue de sa robe noire, chaussée d’une paire d’escarpin à plateforme et s’asseyant à mes côtés avec une bouteille de vin rouge que nous aurions partagés. Le soir, nos amis seraient venus à un barbecue qu’on aurait préparé avec des côtelettes de porcs, des merguez, des saucisses, des chipolatas et nous aurions bu une bouteille de bière. On aurait rigolé tous ensemble, on aurait mangé dehors et ils seraient tous repartis chacun de leur côté, satisfaits d’avoir passé une bonne soirée.
Je m’étais assis sur le bord d’un trottoir à regarder la route des deux côtés, comme si je voulais observer des voitures qui ne viendraient jamais. En regardant le ciel, il n’y avait plus un avion de ligne en vol. Le seul bruit que j’entendais, c’était les oiseaux en train de chanter gaiement dans les arbres. C’était comme si la Nature reprenait ses droits. Ma montre indiquait vingt heures quinze. A cette heure-ci, en temps normal, tout le monde serait en train de prendre l’apéro et dans le Sud-Ouest, c’était souvent l’heure à laquelle commençait les marchés nocturnes en été.
Quelques minutes plus tard, je me releva pour aller casser une vitre afin de chercher de quoi manger. J’avais faim, j’étais fatigué et j’hésitais à rester ici encore quelques jours mais je ne savais pas où aller. Je n’osais pas rester dans ces maisons où dans les chambres il y avait des corps en état de décomposition. Dans un placard, j’avais trouvé une boîte de cannellonis à la sauce bolognaise que je mangeas sur le pas de la porte en regardant le soleil se coucher, puis je jeta par terre la conserve.
Finalement, je retournais dans la voiture pour dormir dedans.
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