Chapitre VII - "Erebus"
Après avoir pris l’ascenseur jusqu’au troisième étage, nous nous étions séparés pour nous diriger vers nos chambres respectives. En marchant seul dans le long couloir, je me demandai comment j’allais faire pour aborder ma chef d’équipe… Je soupirai en passant ma toute nouvelle carte devant le boitier de ma chambre. Je poussai la porte en contemplant avec contentement mon nouveau lieu de vie. L’entrée formait un long couloir dont les murs et le sol en résine gris clair étaient éclairés par de longs filaments lumineux qui suivaient les bordures du plafond. Sur ma gauche se présentaient deux portes. Celle de la chambre étant grande ouverte, je devinai que l’autre devait correspondre à la salle de bain. Sur l’autre mur, un immense établi moderne s’étendait sur l’ensemble du couloir. Quelques accessoires d’arme à feu et chargeurs de différentes tailles y étaient accrochés. Sur la table de cet établi reposait un UMP-45 joliment équipé d’une lunette infrarouge cylindrique, d’un suppresseur et d’une lampe frontale et dont l’état montrait qu’il était régulièrement entretenu. Je me questionnai sur la raison de sa présence, en me demandant si ça serait mon arme. Je m’avançai le long du couloir pour arriver dans un salon-cuisine simple et propre. La pièce était emplie d’une odeur douce et agréable, me rappelant légèrement celle de la chambre de ma soeur au centre.
Fatigué par le nombre d’évènements qui venait de s’enchaîner, je posai le dossier sur la table basse du salon et décidai d’aller prendre un bain. J’enlevai mon gilet que je jetai sur le canapé puis je retirai mon T-shirt en le gardant à la main. Je pris quelques secondes pour examiner mon corps. Les entraînements physiques répétés du centre avaient taillés ce dernier qui était devenu fin et rigide. Je fis passer ma main le long de la cicatrice qui traversait mes abdominaux droits. Les simulations étaient loin d’être sans danger… Je me dirigeai enfin vers la salle de bain dont je j'appuyai sur le poignée. La lumière de la pièce m’éblouit, me faisant fermer les paupières, et mon nez fut chattouillé par arôme parfumé. Quand je rouvris les yeux, la première chose sur laquelle ils se posèrent fut la peau humide et rougie par la chaleur du corps enveloppé dans une serviette blanche de ma nouvelle coéquipière… Rin… Un peigne à la main, elle était en train de se brosser les cheveux après être sortie du bain. Elle se tourna vers moi et, après un moment de surprise non dénué de charme, son visage entier s'empourpra. Je me figeai en la regardant, essayant de deviner combien de temps il me restait à vivre.
Dans un élan d’instinct de survie, je fermai la salle de bain et plaçai rapidement la chaise de l’établi sur la poignée. Alors que de grands coups, visant à détruire la mince épaisseur de bois qui me séparait de cette furie, commençait à faire trembler les murs de la chambre, je considérai l’option de la fuite… Mais je me ravisai, sachant qu’un jour ou l’autre, j’aurai bien à me confronter à elle. Par sécurité, je décidai tout de même de vider le chargeur de l’UMP-45 qui se trouvait sur l’établi puis de le replacer dans l’arme avant de me diriger vers le salon. Je me plaçai face au couloir et je m’agenouillai en posant ma tête sur mes mains collées au sol. Aveugle du reste de la scène, je ne fis qu’entendre l'unique rempart être enfoncée et la chaise, avec laquelle j'avais bloqué ce dernier, voltiger dans le couloir. L’instant d’après, j’entendis le cliquetis caractéristique d’une arme dont on appuie sur la détente sans qu’il n’y ait de balle dans la chambre. Soupirant en pensant que j’avais bien fait de vider le chargeur, le son d’une lame courte sortant de son étui me fit frissonner. Même sans voir la scène, je devinai clairement les pulsions meurtrières de la personne qui se trouvait debout en face de moi. Avant de lui laisser le temps d’utiliser le couteau qu’elle venait d’attrapper, je m’écriai.
“ C’était une erreur ! Je ne savais pas que les chambres étaient partagées, et encore moins de façon mixte. Je m’excuse pour ce qu’il vient d’arriver ! “
Attendant une réponse crue et douloureuse, je fus profondément touché par le ton de la voix qui s'éleva... Il n’y avait aucune once de colère… Seulement un chagrin déchirant, la plainte lugubre d’une personne au bord du gouffre.
Rin: “ Est-ce que tu peux sortir, s’il-te-plait… “
En relevant la tête, j’eus une profonde peine en regardant son visage. Ses yeux, cachés sous ses cheveux, laissaient couler de grosses larmes qui suivaient le contour de son visage jusqu’à s’échapper pour s’écraser sur le sol de la chambre. Ses lèvres entrouvertes laissaient légèrement apparaître des dents qu’elle serrait de toute ses forces. Elle laissa tomber le grand couteau de combat qu’elle tenait à la main. Ses jambes tremblantes ne pouvant plus la soutenir, elle tomba sur ses genoux. Je me levai et pris mon gilet sur le canapé avant de me diriger vers le couloir. J’avais vraiment envie de rester pour tenter de l’aider, mais je savais que ça ne ferait qu’empirer les choses. Je me rhabillai rapidement et sortis de la chambre, un poids torturant mon coeur. Une fois dehors, je m’appuyai sur le rebord du balcon, observant les lumières colorées des étages inférieurs. La tête posée entre les bras, je repensai à la note du dossier. ‘ Haine invétérée envers les hybrides ‘. Cependant, je n’avais pas vu de la haine, mais de la tristesse.
Perdu dans mes pensées, je n’avais même pas remarqué la jeune fille qui me tirait la manche au niveau du coude depuis maintenant plusieurs secondes.
???: “ Hé, tu sais pourquoi Rin ne répond pas ? “
Je me tournai pour voir une fille d’une quinzaine d’année me regarder de façon interrogatrice. Je reconnus immédiatement son visage, elle faisait partie de l’équipe de Rin. Elle portait un élégant t-shirt blanc ouvert aux épaules, une grosse veste et un short kakis, ainsi que de hautes chaussures carmins. Une casquette de forme carrée et d’un vert sombre ornait ses cheveux argent ébouriffés. Elle laissa échapper un long bâillement avant de me fixer à nouveau. Elle avait en effet l’air épuisée. Les petites cernes soulignant ses yeux émeraude ne faisait qu’accentuer l’allure dépravée qu’elle affichait. Ses cheveux étaient décoiffés et des épis s’échappaient dans toutes les directions. Pour couronner le tout, sa veste retombait le long de son bras frêle, emmenant avec elle le fin T-shirt immaculé. Voyant qu’elle ne partirait pas sans réponse, je déclarai en soupirant.
“ C’est un peu compliqué… “
???: “ Comment ça ? “
“ Il semblerait que je l’ai blessée sans le vouloir. “
???: “ Oh ! “
En réponse à ma phrase, elle eut une réaction qui me prit par surprise. Elle fit glisser ses mains sur l’intégralité de mon visage en se mettant sur la pointe des pieds lorsqu’elle voulait atteindre mon front. Ne sachant pas à quoi tout cela rimait, j’eus le réflexe de me reculer, mais elle se ravança vers moi et continua de toucher chaque recoin de ma figure. Après quelques secondes, elle se recula et prit un air sérieux.
???: “ Tu es l’hybride qui doit rejoindre notre équipe pas vrai ? “
“ Tu ne l’avais pas vu à la couleur de mes yeux ? “
???: “ Je ne peux pas, je suis aveugle… “
“ Mais comment as-tu su que j’étais là alors ? “
???: “ Je t’ai entendu soupirer... “
Cette information me perturba. Comment une personne aveugle pouvait-elle faire partie d’une équipe de Ryoushi ? Mais mon questionnement fut de courte durée, interrompu par le cri d’une autre personne.
???: “ Tia ! Je t’ai dit de ne pas partir toute seule. “
Une autre fille, plus âgée, courait à toute vitesse dans notre direction. Une fois qu’elle nous eût rejoint, elle prit un temps pour respirer et se tourna vers moi.
???: “ Tu es… “
Je l’avais également reconnue, elle faisait elle aussi partie des membres de l’équipe. Elle ressemblait à une version plus mature de celle qu’elle avait appelée ‘ Tia ’ et qui recommençait à bâiller. Âgée d’une vingtaine d’année, elle arborait une veste noire aux épaules et aux manches qui virait sur des teintes bleu marine au niveau du corps. Cette veste assez longue cachait quasiment l’intégralité de sa jupe plissée noire, et ses collants remontant jusqu’au milieu des cuisses se terminaient par d’élégantes chaussures aux talons épais de faible hauteur. Un béret militaire foncé parait sa chevelure, qui bien que semblable en couleur à celle de Tia, était coiffée d’une droiture exemplaire et ornée de deux barrettes bleues en forme de croix sur les côtés du front. Ses yeux, d’un vert un peu plus foncé que ceux de la petite Tia, me fixaient avec insistance.
Tia: “ C’est notre nouveau membre. Il a déjà fait pleurer Rin… “
Je baissai la tête, honteux. Dans un certain sens, je n’y avais pas pu grand chose, mais le visage qu’elle avait arboré avant que je sorte de la pièce m’avait accablé de remords.
???: “ Bon… suis-nous, on va parler dans notre chambre. Il y a pas mal de choses qu’il faut que tu saches. “
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