Chapitre 7
Paupières fermées. Bouche pâteuse. Paul se réveillait péniblement dans un lit, avec un oreiller moelleux sous la tête. Une lourde couverture le maintenait dans une chaleur agréable et lui aurait presque oublier la douleur lancinante de ses côtes. Il s'aperçut qu’il portait uniquement son slip de coton. Plongée dans une demi-pénombre, il ne reconnaissait pas la pièce dans laquelle il se trouvait. La dernière image dont il se souvenait, c'était sa sortie de l'hôpital, avec Tom à ses côtés.
Seuls quelques timides rayons de lumière lui parvenaient de la fenêtre. Il resta un long moment sans bouger. Bien réveillé à présent, plusieurs flashes de son agression lui revinrent en mémoire. Tout son corps frissonna pour lui rappeler qu’elle avait bel et bien existée. Il n’arriva pas à se souvenir du visage de son agresseur. Pour évacuer un tant soit peu son mal de tête, il préféra observer la pièce : une commode devant lui où trônait un tas de vêtements et un miroir contre le mur, une modeste table de chevet avec un petit réveil et une lampe jaune. Sur le sol, d’autres vêtements éparpillés, une paire de chaussures de sport, une raquette de tennis, une pile désordonnée de livres. À cet instant, la porte s'ouvrit dans une lumière aveuglante, laissant apparaître la silhouette de Tom dans l'encadrement de la porte.
— Alors comment ça va, remis de tes émotions ?
Il ouvrit les volets et les attacha, avant de refermer rapidement la fenêtre, ce qui laissa entrer un vent glacial dans la pièce. Le soleil peinait à filtrer à travers les nuages qui resteraient probablement bas dans le ciel toute la journée. Paul regarda le réveil. 11h12. Tom s’assit au pied du lit.
— Comment te sens-tu ? Tu m’as fait peur, tu sais.
— J’ai mal à la tête, j’ai l’impression d’avoir une trompe d’éléphant à la place du nez et mes côtes sont en compote. Sinon je crois que ça peut aller, dit-il, réussissant malgré tout à plaisanter pour ne pas l’inquiéter.
— Plus de peur que de mal, a dit l’urgentiste. Sinon, ils ne t’auraient pas laissé partir comme ça. Mais il était plus prudent que tu ne restes pas seul. Heureusement, Lucas nous a gentiment ramenés jusqu’à chez moi.
La mémoire lui revint alors peu à peu, en enregistrant les paroles de Tom en guise d’informations capitales. Il revit alors le médecin le rassurer et lui remettre une ordonnance, leur trajet en voiture dans un état comateux. Il n’avait pas eu le courage de refuser l’hospitalité si bienveillante de ces deux anges providentiels qui n’avaient pas hésité à prendre soin de lui. Mais ce matin, tout lui semblait différent. Il se sentait mal à l’aise qu’on se soit autant occupé de lui, surtout de la part de personnes qu’il connaissait à peine. Sa première réaction fut donc de vouloir quitter cet endroit le plus vite possible.
— Où sont mes vêtements ? Il faut que je parte, dit-il, en balayant la pièce de ses yeux perdus.
Tom, décontenancé, lui conseilla encore un peu de repos, lui rappelant les propos du médecin urgentiste. Un café noir avec des croissants tout chauds l’attendaient. Il était allé les chercher exprès pour lui à la boulangerie. Paul le remercia de ses attentions, mais non, il devait partir sur le champ pour espérer ne pas manquer le train de 12h15. Tom tenta de le raisonner, mais à son regard sans appel, il se ravisa. Il conclut en disant qu’il s’était permis de faire une machine à laver de ses vêtements. Il avait même tenté, en vain, de détacher les gouttes de sang qui avaient imprégné sa chemise. Son pantalon, son pull, ses chaussettes séchaient dans la pièce d’à côté. Des vêtements de rechange l’attendaient sur une chaise dans le coin de la pièce. Ils devraient lui aller. Paul, touché par tant d’attentions, mais bien décidé à partir, retira les couvertures. Tom détourna le regard avant de se lever pour aller dans la pièce d’à côté. Il referma la porte pour lui laisser un peu d’intimité.
Paul fut obligé de se courber avant de s’étirer délicatement et de s’habituer à la douleur de ses côtes. Il fit grincer doucement le parquet sous ses pieds. Il s’habilla, grimaça en mettant un pull foncé et un pantalon de velours. Il reprit ses esprits et respira profondément, la main sur la poignée de la porte. Elle donnait sur la cuisine. Il remercia une nouvelle fois Tom, accoudé à l’évier, une tasse de café à la main, les yeux pensifs rivés au sol. Paul aperçut sa paire de chaussures nettoyées, placée à côté de la porte d’entrée. Il les mit, ainsi que son manteau qui lui aussi avait subi un nettoyage sommaire, mais efficace. Il attrapa son sac. Prêt à sortir, il s’arrêta, hésitant.
— Merci encore, sincèrement. Je suis désolé de partir comme ça, mais je dois vraiment prendre ce train.
— Comme tu voudras, déplora Tom, qui referma la porte à regrets.
Arrivé dans la rue, il s'aperçut qu’il avait oublié son écharpe. Tant pis, il n’avait pas une minute à perdre. Le quartier lui était inconnu. Il traversa la rue, toujours un peu arqué, pour rejoindre l’arrêt de bus d'en face. Sur le plan mural de la ville, il se repéra, ouvrit son portefeuille et sortit sa carte de bus. En le refermant, un morceau de papier plié en deux tomba à ses pieds. Il le ramassa péniblement et le mit sans réfléchir dans sa poche. Le bus qu'il devait prendre arrivait tout juste. Les portes s’ouvrirent. Il monta et alla s’asseoir sur le premier siège vide qui se présenta à lui. Dans à peine quinze minutes, il serait dans son appartement, juste le temps de compléter ses bagages et de filer à la gare. Le bus démarra. Paul regarda, les yeux humides, la ville filer à toute allure devant lui avec une multitude de questions en tête, une foule d’émotions bloquées dans son plexus solaire.
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