Chapitre 25
Paul avait dû s’assoupir. Lorsqu’il ouvrit les yeux, il s’aperçut que la voiture était stationnée sur un long parking désert, face à l’océan. Un ciel couvert. Des vagues d’un bleu gris lumineux venaient mourir tranquillement sur le sable. Derrière lui, de grands immeubles face à une mer prête à se déchaîner. Il regarda Tom, dont le sourire ne semblait plus le quitter. Il lui prit la main et la serra fermement.
— C’est tout simplement génial ! Merci.
Ils sortirent de la voiture. Autour d’eux, personne. Leurs mains glacées se joignirent l’une à l’autre. Ils traversèrent une piste à vélos goudronnée qui longeait le front de mer, enjambèrent un petit muret en béton pour accéder directement à la plage. Une étendue de sable déserte, hormis quelques mouettes qui volaient au-dessus d’eux. Leurs cris réguliers semblaient leur souhaiter la bienvenue. Ils avancèrent jusqu’au bord de l’eau. Paul releva son col pour se protéger du vent léger et remit les mains dans ses poches. Les yeux fermés, il écouta le bruit des vagues. Il les ouvrait uniquement pour vérifier que ses chaussures ne prenaient pas l’eau. Il respira profondément la brise marine. Il tourna la tête vers Tom qui le regardait avec des yeux fous amoureux.
— Cela fait une éternité que je n’avais pas vu la mer.
Tom vérifia que personne autour d’eux ne les voyait et s’empressa de lui déposer un baiser sur la bouche. Sans rien dire, d'un commun accord, ils marchèrent le long de la mer, jusqu’à la pointe de la baie qu’ils apercevaient au loin. Après une dizaine de minutes silencieuses, Tom se décida à parler.
— Écoute, je ne sais pas si le moment est bien choisi et si tu es prêt à en parler, mais moi, je ne peux plus garder ça pour moi. Si je pouvais inventer une machine à remonter le temps, je le ferais sans hésiter.
Il lui raconta le vide immense qu’il avait ressenti quand Paul était parti de chez lui le lendemain matin de son agression. Il était resté plusieurs jours à se morfondre sans voir personne.
— Je n’arrivais pas à réaliser que tu te sois fait agresser, ça n’avait aucun sens. Quand j’ai appris que ça pouvait être Marc, je n’arrivais pas à le croire.
Il retraça les trois jours pendant lesquels il avait essayé de réviser, en vain, préférant regarder la télévision.
— J’ai fini par passer mes vacances chez mes parents, enfin chez mon père, il vit seul désormais.
Étant garagiste, les périodes de fêtes avaient été particulièrement chargées. Il avait dû satisfaire un grand nombre de clients de dernière minute qui venaient faire entretenir leur voiture, avant de partir en vacances. Tom avait redouté le jour de Noël qui lui rappelait celui de l’année précédente, un vrai cauchemar.
L’année passée, quelques jours avant Noël, sa mère avait été admise dans une maison de repos pour une sévère dépression. Durant l’hiver qui avait suivi, son père s’était réfugié dans le travail et ne comptait plus ses heures passées au garage.
— Cette année, je n’avais surtout pas envie de revivre ça.
Tom avait passé une bonne partie de la matinée de Noël à cuisiner. Son père terminait de bricoler dans le garage de la maison, une surprise pour ta mère, avait-il dit fièrement. Un peu avant midi, il était parti la chercher à l’hôpital afin qu’ils puissent passer la journée tous les trois. Il était revenu à son bras, très ému. Dans la salle à manger, Tom avait eu le temps de dresser la table et de disposer des décorations. Lorsqu'il avait vu sa mère dans l'embrasure de la porte, il l'avait aussitôt prise dans ses bras. Retrouver l'odeur de son parfum, la douceur de ses mains. Le repas s’était déroulé merveilleusement bien. Sa mère paraissait toujours aussi fragile, mais ses joues rosées indiquaient qu’elle avait retrouvé une certaine joie de vivre. Du moins ce jour-là. Après le dessert, son père avait invité sa femme à venir dans le garage pour découvrir le cadeau qu’il lui avait fait. Elle avait pleuré de joie en découvrant l’armoire de ses grands-parents, entièrement restaurée. Tom avait aidé son père à la déplacer dans le salon. Ses parents étaient ensuite allés se reposer dans leur chambre. Tom en avait profité pour aller faire une sieste lui aussi. Vers dix-huit heures, le père de Tom avait ramené sa femme à la maison de repos.
— Le lendemain de Noël, tu vas te moquer, mais j’ai passé la soirée allongé sur mon lit, à penser à toi. Je me suis mis à imaginer comment c’était chez toi, quels parents tu pouvais bien avoir, comment était faite ta chambre. Je n’espérais qu'une seule chose, c’est que tu découvres mon numéro de téléphone dans ton manteau et que tu m’appelles. Car la perspective de continuer à te voir à la fac sans pouvoir te parler me terrorisait déjà.
Paul écoutait sans rien dire.
— J’ai aussi repensé à tout ce qui m’est arrivé depuis que ma mère est en maison de repos. Ça fait plus d’un an déjà.
Une très longue année pour lui et son père. Ils allaient lui rendre visite régulièrement. Ça leur était toujours difficile de la voir aussi fatiguée. L’ombre d’elle-même. Il y avait eu une période de rémission, au printemps, où elle avait retrouvé une énergie nouvelle. Surtout l’été qui suivit. L’optimisme des médecins présageait alors une sortie définitive. Mais l’automne avait été le signe d’une rechute. Tom avait toujours connu sa mère souffrant de crises d’angoisse ou de longues dépressions, mais jamais aussi fortes que durant ces deux dernières années. Cela avait coïncidé — se disait-il — avec son départ de la maison. Ce qui l’avait profondément fait culpabiliser. Lorsque son père s’était résolu à faire admettre sa femme en maison de repos, Tom avait rencontré un psychologue pour quelques séances. Le thérapeute lui avait expliqué que son départ n’avait rien à voir avec l’état de sa mère et qu’il devait vivre sa propre vie. Cela n'entachait en rien l’amour qu’elle lui portait.
Tom avait toujours été plus proche de son père. Une complicité que beaucoup de ses amis lui enviaient. Son baccalauréat en poche, son père l’avait aidé à emménager dans son appartement afin qu'il gagne son indépendance. Mais après que sa mère eut quitté la maison, Tom n’avait pas réussi à être aussi assidu dans ses études. Il préférait aller la voir deux après-midi par semaine. À la fin de l’hiver, il avait décidé d’arrêter la faculté. Il avait trouvé un travail de nuit, gardien d’un parking privé d’une résidence de propriétaires aisés. Après ses nuits laborieuses, il passait une grande partie de ses journées à dormir. En fin d’après-midi, il faisait quelques courses à l’épicerie du quartier. Il suivait ensuite le même itinéraire, passant d’abord par la boulangerie pour chercher une baguette de pain (et le samedi seulement, un éclair au chocolat) puis par la boucherie-charcuterie où il aimait plaisanter avec le commerçant toujours enjoué. Il ne manquait pas de s’arrêter ensuite devant un magasin de jouets pour enfants dont il admirait la vitrine régulièrement renouvelée. Enfin, après quelques boutiques de vêtements dans lesquelles il entrait rarement, il passait immanquablement par le cinéma d’art et d’essai, pour y récupérer le programme de ce qui s’y jouait dans la semaine. C’était devenu un rituel, rassurant, réconfortant qui avait duré tout le printemps. Lorsque son père apprit, à la fin de l’année scolaire que son fils n’avait pas passé ses examens et qu’il ne comptait pas reprendre ses études, il avait été anéanti. Au lieu de le sermonner, comme il s’y attendait, son père s’était mis à pleurer devant lui. Il s’excusait de n’avoir pas été là pour lui. Face à cette réaction inattendue, Tom avait pris l’été pour réfléchir à son avenir. En septembre, il s’était finalement réinscrit en première année et cette fois-ci, il s'était promis de mettre toutes les chances de son côté.
— Et puis je t’ai vu à la rentrée. J’ai tout de suite flashé sur toi.
Les yeux humides, Tom n’osait pas regarder Paul, préférant poursuivre son récit. Il s'embrouilla quelques instants avant de lui révéler sa rencontre avec Rickie et Marc le soir du vernissage. De cet été 1986 où tout avait commencé pour lui. De sa nouvelle vie où il avait compris qu’il préférait définitivement les garçons. Paul posa la main sur son bras pour le stopper dans son histoire.
— Tu n’es pas obligé de tout me dire. Hier soir, après que vous soyez partis du café avec Marc, Lucas m’a dit que tu allais avoir besoin d’aide. Il m’a demandé de lui faire confiance et on a pris sa voiture. En route, il a commencé à me raconter votre histoire avec Marc. Mais je l’ai vite arrêté avant qu’il n'entre dans les détails. Je n’avais pas envie d’en savoir plus, avec la peur, je t’avoue de ce que j’allais découvrir. J’ai passé tellement de soirées à cogiter sur ce qui m’est arrivé depuis notre rencontre.
— Hier soir, quand je t’ai vu débarquer au Petit Marcel, j’aurais tellement voulu rester avec toi !
— Et moi qui venais vérifier si j’avais raison de te faire confiance. Quand tu es parti de chez moi, le premier janvier, j’ai flippé. Dans ces cas-là, je préfère me comporter comme un jeune loup solitaire comme dirait Marianne. Mais avec toi, je n’y arrivais pas. Je t’ai évité comme j’ai pu durant les examens. Mais je voyais bien que je te faisais souffrir. Et ça me faisait encore plus mal. Surtout quand je t’ai redonné ton bracelet.
Tom releva la tête, essuya ses yeux mouillés en reniflant. Il souriait à présent, tellement soulagé par ce que Paul venait de lui avouer.
— J’ai les yeux qui me piquent, je dois avoir des grains de sable collés.
Paul le bouscula gentiment, ce qui le fit tituber. Pendant quelques minutes, ils chahutèrent, cherchant à se pousser mutuellement au plus près du rivage. Ils finirent par tomber tous les deux en rigolant. Ils se relevèrent, du sable collé à leur pantalon. Ils remontèrent jusqu’à la voiture. Tom proposa d’aller à pied au centre-ville, situé à deux pas, pour déjeuner dans une crêperie qu’il connaissait bien.
*
— Je vous propose cette table-là, dit le serveur qui leur indiqua une table bistrot dans un coin du restaurant.
Ils commandèrent deux “complètes” et une bolée de cidre brut chacun. Paul laissa ses yeux errer sur les murs et la décoration bretonne du restaurant, le temps que son corps soit complètement réchauffé.
D'un doigt, Tom essuya les dernières traces d'œuf de son assiette.
— L’hiver dernier, Lucas m’a laissé plusieurs fois la clef du studio de sa tante où nous irons ce soir. Ça m'a permis de décompresser quand j’étais à la limite de péter un cable avec mon père.
Paul posa la bolée qu’il venait de terminer.
— Ton père, il sait pour toi, que tu préfères…
— Oui, il le sait. C’est la première personne à qui j’en ai parlé. On a toujours été complices tous les deux, comme je te disais. Ça n'a pas été si difficile à annoncer, même si j’ai quand même bien flippé sur le moment. Je crois qu’il s’en doutait depuis longtemps. Quant à ma mère, elle ne le sait pas encore. Avec mon père, on a préféré ne pas lui dire, de peur d'aggraver son état de santé. Appelle ça de la lâcheté si tu veux, mais c’est déjà assez compliqué comme ça. Je sais que ça viendra. Et encore, j’ai de la chance comparé à d’autres. Prends l’exemple de Rickie. Le jour où son père apprend que son fils partage son lit avec des mecs, il n’a plus de père. Il tient trop à sa réputation.
— J’ai cru comprendre que ce n'était pas le grand amour entre eux.
— C’est le moins qu’on puisse dire. Marc le savait et il en a bien profité… Et toi tes parents, ils sont au courant ?
Paul, s’essuya les lèvres avec une serviette en papier.
— Non pas du tout. Tu es le premier avec qui…
Touché par cet aveu, la jambe de Tom toucha la sienne pour y rester collée. Ils se regardèrent droit dans les yeux. Paul commençait à rougir. Tom avait retiré son pied de sa basket pour l'amener au niveau de son entrejambes. Paul banda aussitôt. Tom s’en aperçut, mais il cessa son jeu dès que le serveur revint, un carnet à la main, suggérer des desserts. Ils se regardèrent, étouffant un gros fou rire. Ils demandèrent simplement l’addition. Tom se chaussa discrètement. Sortis du restaurant, ils ne purent s’empêcher d’éclater de rire.
Il s’était mis à pleuvoir, juste un léger crachin. Paul lui demanda la suite du programme. Tom regarda le ciel et annonça qu'il allait devoir changer de plan, mais qu'il devrait sûrement aimer la suite.
*
Ils retournèrent à la voiture. Tom ouvrit le coffre et prit son sac et un autre sac à dos qu’ils avaient emportés. Ils traversèrent la rue en face du parking. Tom chercha le numéro de l'immeuble. Les volets étaient fermés sur la quasi-totalité des fenêtres. Des locations de vacances. Il trouva l’entrée désirée, prit une des clefs que lui avait donné Lucas et ouvrit la porte principale. L’ascenseur les mena au cinquième et dernier étage. En entrant dans le studio, Tom releva le store de la porte-fenêtre qui donnait sur un petit balcon, juste assez grand pour que deux personnes s'y tiennent debout. Paul admira l’étendue grise infinie de la mer, mais rentra assez rapidement. Le crachin s’était transformé en une pluie drue. Tom le prit dans ses bras et le serra très fort.
— Voici notre petit paradis de quinze mètres carrés. Ici, nous avons tout le confort nécessaire ou presque : un lit une personne, une plaque de cuisson, une cafetière et un mini réfrigérateur, une petite table pliante et deux chaises, une cabine de douche et son lavabo... Heu... les toilettes sont sur le palier.
Il mit en marche un petit radiateur. Dans un placard près de la porte, des draps, une grosse couverture et deux coussins. Une fois le lit fait, ils se jetèrent dessus.
Paul se réveilla en sursaut. Encore cet affreux cauchemar. Blotti dans les bras de Tom, le nez à la hauteur de son torse, il huma son odeur douce et celle d’un parfum léger qui le rassurèrent instantanément. Il n’osa pas bouger de peur de le réveiller. Mais à peine avait-il tourné la tête que Tom bougea et se réveilla. Paul se redressa pour lui faire face et l’embrassa. Leurs langues se mélangèrent et tournèrent de plus en plus vite. Paul le chatouilla subitement. Tom hurla de rire et le pria d’arrêter tout de suite mais ce fut peine perdue. Il se contorsionna pour se défaire de son emprise. Il réussit tant bien que mal à se relever et à quitter le lit. Il remit ses baskets et son manteau et demanda à Paul d’en faire autant.
— Ce soir, repas gastronomique ! Nous allons dévaliser la supérette.
Une demi-heure plus tard, ils ressortirent du magasin avec un sac de courses. La pluie toujours. Ils se dépéchèrent de rentrer au studio en courant.
L’eau frémissait dans la casserole sur la plaque de cuisson.
— Cinq cents grammes de spaghetti, du ketchup, du gruyère râpé et nous sommes les rois du monde, non ?
Après avoir placé sur la table deux bougies trouvées dans le haut du placard, Tom mis le couvert pendant que Paul prenait sa douche.
— J’ai une très belle vue d’ici ! Dans cinq minutes, c’est prêt, dépêchez vous jeune homme.
Ils se sentaient repus, assis sur le lit contre le mur. Tom se massa le ventre puis se laissa glisser sur le sol tel un homme agonisant.
— On n'aurait jamais dû en manger autant.
Paul posa les pieds sur son ventre.
— Vous voulez m’achever, c’est ça ? Et bien allez-y, je ne peux plus bouger de toute façon.
Tom mima des spasmes et des soubresauts. Sous le lit, il vit une boîte qu’il épousseta. Il l’ouvrit. Elle contenait un jeu de petits chevaux.
— Allez, en selle mon ami, prêt à m’affronter ?
L’un en face de l’autre, assis les jambes croisées, ils envoyaient valser chaque cheval hors-jeu à l’autre bout de la pièce.
— Attention cavalier, il ne vous reste que deux pions en lice, votre fin est proche, clama Tom, sûr de lui.
Mais Paul ne s’avoua pas vaincu et se battit jusqu’au bout pour finalement remporter la partie.
— J’ai gagné ! T’as un gage ! Prépare-toi à t’offrir sans retenue à ton cavalier !
À quatre pattes, tel un fauve qui s'approcherait de sa proie, Paul s'avança les yeux pleins de désir. Tom lui fit comprendre qu’il n’était pas un garçon facile, prêt à enlever ses vêtements au moindre signe de son ami. En moins d’une minute, ils se retrouvèrent nus l’un contre l’autre, déjà très excités. La lumière éteinte, seules les bougies les éclairaient. Des baisers et des gestes rapides, fougueux et tendres à la fois. Allongé sur Paul, Tom l’embrassa. Il ne put s’empêcher de descendre rapidement pour goûter à sexe déjà érigé. Les murmures de plaisir qu’il entendit redoublèrent son envie de le satisfaire. Alors qu’il s’amusait avec sa langue, tout en regardant Paul qui rougissait, celui-ci lui demanda de ralentir, au risque de ne pas réussir à se contrôler davantage. Il suspendit sa bouche pour descendre sous ses parties intimes afin de s’occuper d’elles. Paul se détendit. Tom en profita pour humidifier un de ses doigts et l’insérer doucement entre ses fesses qui, après s’être contractées, se relâchèrent. Il réalisa de subtils va-et-vient qui, espérait-il procuraient des sensations agréables à Paul. Le sourire de ce dernier lui indiqua que c’était bien le cas. Il redoubla le rythme en reprenant son sexe à pleine main pour le faire jouir. Paul ne put résister bien longtemps avant d’émettre de longs jets puissants sur son torse. Tom attendit qu’il reprenne ses esprits. Paul s’essuya sommairement avant de l’embrasser pour le remercier. Il lui proposa de s’allonger à son tour pour lui rendre la pareille. Tom s’exécuta en lui offrant un sexe bien dressé. Il fut surpris de la fougue de Paul qui, même s’il n’osait pas le regarder droit dans les yeux, s’appliquait à lui donner un maximum de plaisir. Le résultat fut à la hauteur. Tom éjacula à son tour sur le ventre dans un petit râle de satisfaction.
Paul sentit le corps chaud de son amant se coller à lui.. Il se laissa bercer par la lumière vacillante de la dernière bougie, qui finit par s'éteindre, avant de sombrer dans un profond sommeil.
Annotations