Chapitre 28
Ce lundi matin là, le téléphone de Catherine sonna d’un son strident qui la réveilla en sursaut. Elle hésita à répondre, se demanda qui pouvait bien appeler à cette heure-ci. À peine avait-elle décroché que son dos fut parcouru d’un léger frisson. Une voix féminine, âgée, s’excusa de l’appeler si tôt. Elle déclina son identité, se présenta comme la voisine de son ex-mari. Elle était porteuse d’une nouvelle délicate : monsieur Ducan avait fait une tentative de suicide le samedi précédent. Abasourdie, Catherine éloigna le combiné pour réprimer un sanglot. Malgré les tremblements de ses mains, elle s'efforça de reprendre le combiné pour remercier cette dame qui avait pris le temps de lui donner les coordonnées de l’hôpital. Ce que Catherine fit dans l’heure qui suivit fut un enchaînement de gestes automatiques qui la conduisirent à son bureau.
Elle stationna son véhicule sur un grand parking à moitié vide. Elle traversa le long couloir de l'administration publique, d’un pas rapide pour ne pas avoir à saluer ses collègues, comme elle avait l’habitude de le faire tous les jours à son arrivée. Après avoir suspendu son imperméable synthétique à un porte-manteaux chancelant, elle s’assit à son bureau, les mains encore tremblantes. Au bout d’une heure à éplucher et à traiter le courrier matinal, elle se fit discrètement un café, un peu avant la pause habituelle, dans la salle de repos des employés. De nouveau, elle voulait éviter ses collègues. Elle emporta sa tasse dans son bureau, referma la porte pour ne pas être dérangée. Elle ajusta son foulard et appela l’hôpital. Marc était dans une unité de soins intensifs. Il n’était donc pas possible pour l’instant de lui rendre visite. L’infirmière qu’elle eut au téléphone lui promit de la rappeler lorsque les visites seraient possibles. Elle le fit le jeudi suivant. Catherine réussit à s’organiser et se libéra de ses obligations professionnelles pour le lendemain.
Marc était allongé les yeux clos. Les lentes ondes diffuses de l'électroencéphalogramme. Le son si faible des signes de réactivité. Catherine était bouleversée. Elle discuta longuement avec l’infirmière de service ce jour, qui lui expliqua qu’il était très difficile de prévoir l'évolution d'un patient dans le coma. L’intoxication médicamenteuse aurait pu être pire. Il fallait attendre.
Elle retourna voir Marc le vendredi suivant. En entrant dans la chambre, quelle ne fût pas sa surprise de voir un jeune homme à son chevet. Lorsqu’il l’aperçut, il se leva pour se présenter. Il s’apprêtait à partir. Elle se présenta à son tour. Rickie se vida de toute expression et sa bouche s'entrouvrit légèrement. Catherine, troublée, l’invita à lui raconter ce qui était arrivé à son ex-mari.
— Ce que je m’apprête à vous dire n’est pas forcément agréable à attendre madame, j'en ai bien peur, annonça Rickie en préambule.
Catherine l’encouragea à poursuivre. Elle était prête à entendre ce qu’elle redoutait depuis son divorce. Elle ne fut donc pas plus étonnée que ça lorsque le jeune homme lui confirma que Marc était aussi attiré par les hommes. Il avait eu une relation avec lui, mais ne souhait pas entrer dans les détails. Quand Rickie parla de Marc, elle retrouvait l’homme qu’elle avait aimé, mais au fur et à mesure de son récit, elle en découvrait aussi une autre facette. Les nombreux signes qu’elle n’avait pas voulu voir, les mensonges qu’elle avait préféré ignorer, prenaient aujourd’hui tout leur sens. Ils étaient devenus évidents.
Une heure plus tard, elle le remercia de cette discussion si précieuse pour elle et sûrement pour le jeune homme aussi. Elle se sentait comme soulagée et délestée d’un passé qu’elle avait dû porter trop longtemps toute seule.
Catherine mit plusieurs jours avant d’annoncer à Rémi, son fils, que son père était à l’hôpital. Elle n’eut pas le courage de lui dire la vérité. Elle préféra lui expliquer qu’il était très malade et qu’il avait besoin de beaucoup de sommeil. À son grand étonnement, il voulut aller le voir à l'hôpital, mais elle était réticente. Papa doit se reposer, on ne peut pas aller le voir, je suis désolé mon chéri. Elle lui promit d’apporter son dessin. C’était bien la première fois que Rémi exprimait un vif intérêt pour son père. Elle qui avait pourtant tout fait pour qu’il le déteste. Depuis leur divorce, force était de reconnaître qu’elle s’était comportée comme une femme qui, touchée dans son amour-propre, avait décidé de se venger. Elle ne lui avait laissé aucune chance en tant que père. Avec le recul, elle s’en voulait terriblement de s’être comportée aussi durement et de n’avoir pas tenu sa dernière promesse, celle faite à Marc de voir son fils pour Noël. Mais évidemment, revenir en arrière était impossible. En revanche, elle pouvait se rattraper. Elle se promit d’être à ses côtés lorsqu’il se réveillerait.
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