Chapitre 35
Le vendredi matin, la température avoisinait le zéro, à l’image de la semaine passée. Tom accompagna Paul et Tristan à la gare. Ils prirent un café sur le pouce dans un vieux troquet, avant le départ du train. Sur le quai d’embarquement, Tom demanda à Tristan de prendre soin de son ami avant de les voir monter les marches en voiture. Il les vit parcourir l’allée centrale et s’installer à leur place. Ce matin encore, Tom et Paul avaient fait l’amour, encore plus intensément que d’habitude. À travers la vitre, Paul lui montra discrètement un petit tube de baume à lèvres qu’il tenait dans sa main, avec un regard entendu. Le matin même, il avait plaisanté avec ça. Les contours de ses lèvres étaient irrités à force de s’embrasser. Une semaine sans leur ferait le plus grand bien, avait-il plaisanté. Tom lui sourit, prêt à éclater de rire. Le train vrombit et commença à quitter le quai. Il eut juste le temps de voir Tristan lever les yeux au ciel et donner une petite frappe sur la tête de Paul qui, hilare, se protégeait comme il pouvait.
Tom quitta la gare et sur le chemin du retour, il s’arrêta chez le primeur, sous les grandes halles de la ville. Il fit un détour dans son quartier et s’arrêta à la boulangerie avant de rentrer. Arrivé chez lui, il se mit à préparer tranquillement son déjeuner lorsque le téléphone sonna.
— Bonjour Tom, c’est Rickie, je ne te dérange pas ?
— Rickie, je suis content de t’entendre. Comment vas-tu ? Des nouvelles de Marc ?
— Justement, je t’appelais pour t’en donner. Elles sont plutôt bonnes et j’avais envie de les partager avec toi. Marc est sorti de son coma hier. Il se réveille tout doucement. Le professeur m’a dit que ça pourrait prendre du temps avant qu’il émerge véritablement.
— Mais c’est génial, quel soulagement !
— Oui, tu ne peux pas imaginer. Aussi, je pensais fêter ça ce soir au Petit Marcel. Tu m’accompagnerais ?
Tom était disponible et il serait ravi d’aller prendre un verre avec lui. Il raccrocha, le sourire aux lèvres. Retrouver Rickie, après plus d’un an, il ne se l’était pas imaginé. Il se souvenait de leur première rencontre. Ils avaient tout de suite sympathisé. Il n’avait jamais essayé de le draguer. Rickie n’était pas son type. Cela devait être réciproque, car Rickie n’avait jamais rien tenté non plus. Quant à Marc, malgré la nouvelle, il lui en voulait encore. L’invitation de Rickie lui faisait vraiment chaud au cœur. C’était l’occasion de donner une seconde chance à leur amitié. Il ne put s’empêcher de repenser aux occasions manquées d’avoir parlé avec lui, depuis ce fameux 31 décembre où ils s'étaient retrouvés dans le même lit. Avait-il manqué de courage ? Fallait-il continuer à s’en vouloir ?
Le bruit d’un camion, passant à vive allure, dans la rue en bas de chez lui, le sortit de ses pensées. Soudain, il eut presque honte d’éprouver encore de la rancœur envers Marc. Il se rappela les paroles de Paul. Elles continuaient à résonner en lui. Oui, chacun avait le droit d’être heureux. Cela lui redonna le sourire et un nouvel élan. Même si c’était les vacances, il avait prévu d’aller étudier à la bibliothèque tout l’après-midi. Il finit tranquillement son repas en écoutant son émission de radio favorite.
*
La nuit précédente, Paul n’avait pas beaucoup dormi. Il somnola pendant tout le voyage. Le train réduisit son allure. Il s’étira sur son fauteuil. Il remonta une des manches de son pull pour admirer l’ensemble des bracelets multicolores que Tom lui avait attachés autour du poignet, le matin même. Les gens autour de lui commençaient à se lever, prenaient leurs bagages dans les casiers, mettaient leurs manteaux. Il se frotta les yeux pour se réveiller complètement et regarda défiler le paysage enneigé.
— Regarde toute cette neige. J’en reviens pas, c’est la première fois que je vais skier, ça va être géant.
Tristan, assis à ses côtés, rangea son baladeur à cassettes dans son sac à dos.
— Mon frère nous attend à la gare, il nous emmènera directement à l'hôtel-restaurant.
De retour chez ses parents, Tristan avait demandé à Paul s’il voulait passer un séjour d’une semaine tout frais payés à la montagne. Paul lui avait aussitôt demandé ce qu’il s’était passé avec Marianne. Une énième dispute, mais cette fois, il ne s'était pas laissé faire. Durant le week-end où son frère était revenu, Tristan avait expliqué la situation avec honnêteté. Ses parents, ravis de voir leur famille réunie, l’avaient écouté avec attention. Son père, d’abord en retrait, s’était montré surprenant devant son fils désemparé. Ce n’était pas seulement Marianne avec qui ça n’allait plus, c’était ses études, sa vie en général. Sa mère avait essayé de le rassurer. Ce n’était sûrement qu’un orage entre eux. Tous les couples connaissent des hauts et des bas avait-elle dit en regardant son mari de biais. Mais Tristan ne les avait pas rassurés. Son frère avait pris son parti et l’avait encouragé à ne pas se laisser marcher sur les pieds, par cette fille qu’il n’avait jamais aimée. Pour ne pas trop les inquiéter, Tristan leur avait aussi annoncé qu’il était content de continuer de travailler le samedi au Microsillon et de mesurer la réalité du milieu professionnel. Il avait espéré faire plaisir à son père. Cela n’avait pas été vain. Contre toute attente, son père lui proposa, puisque le voyage avait été payé à l’avance, d’en faire profiter quelqu’un d’autre. Pourquoi n’inviterait-il pas son meilleur ami ? Après de nombreuses réserves (Marianne allait le détester et il n’avait pas besoin de ça), Paul avait fini par accepter.
Munis de leurs valises, ils s'engagèrent dans le couloir du train, parmi le flot de vacanciers. Emmanuel, le frère de Tristan, leur fit de grands gestes, sur le quai. Il les aida à porter leurs valises et ils marchèrent tous les trois sur les pavés souillés de résidus noirs laissés par la neige fondante. Ils longèrent la gare pour rejoindre la voiture d'Emmanuel stationnée dans une impasse. Arrivée au centre de la station, la voiture les déposa devant un vieil hôtel-restaurant. L’Auberge des Trois Sapins semblait être là depuis toujours. Les photos et les cartes postales, accrochées dans le hall d’entrée, attestaient de la vie de l’établissement et de la bonne humeur qui y régnait. Après avoir stationné sa voiture dans un rue adjacente, Emmanuel leur présenta rapidement la partie restaurant, située à côté du bar du rez-de-chaussée et leur montra leur chambre située à l’étage. Il les informa des horaires du petit-déjeuner (entre sept et dix heures), des repas du midi (possibilité de faire des sandwichs à emporter pour la journée) et du dîner (à partir de dix-neuf heures). La chambre un peu défraîchie et de taille modeste était malgré tout bien agencée, avec un petit cabinet de toilette. Un lit imposant et sur la table de nuit, des brochures touristiques. Il leur recommanda quelques randonnées et un établissement de location de skis qu’il connaissait bien (Adressez-vous à Frédéric et dites que vous venez de ma part, ne vous préoccupez pas du paiement, tout est réglé). Tristan remercia chaleureusement son frère. Sans perdre de temps, Emmanuel prit congé et retourna travailler. Ils posèrent leurs valises sur la moquette usée et entreprirent de déposer leurs affaires dans une vieille armoire qui grinçait.
— Je vais appeler mes parents pour leur dire que nous sommes bien arrivés, dit Paul.
— J’en profiterai pour appeler les miens.
Paul lui demanda si Marianne savait qu’il était avec lui. Tristan baissa les yeux. Il n’avait pas eu le courage de lui dire. Paul lui lança son bonnet à la figure pour chasser ce regard triste qu’il connaissait si bien.
Après avoir passé leurs appels respectifs dans une cabine téléphonique, ils trouvèrent, dans une rue parallèle à la place centrale, le magasin de location de skis. Au bout d’une heure, ils ressortirent, les bras chargés, de leur combinaison, avec chacun une paire de skis.
— Il faudra aussi qu’on se fasse la randonnée en raquettes, comme nous l’a conseillé Frédéric. Qu’en penses-tu ? demanda Paul, excité par leur séjour.
Tristan leva son pouce, le visage enjoué.
— Mais avant, tu prendras ta première leçon de ski avec un super moniteur.
— Ah oui, lequel ?
Tristan frappa son torse bombé et fit un signe de victoire.
— Ah je vois, bon bah, dans ces cas-là, il faudra bien repérer le poste de secours, dit-il en riant.
La nuit était déjà tombée. Ils revinrent à l’auberge poser leurs skis dans un petit local dédié. Il était déjà bientôt l’heure du dîner. En attendant, ils remontèrent dans leur chambre.
— Tu dors de quel côté du lit ? demanda Tristan.
— Celui de gauche.
— Parfait, je préfère le droit.
Ils s'affalèrent sur le lit dont les ressorts se mirent à grincer aussitôt. Ils attrapèrent les brochures touristiques et les étudièrent attentivement.
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