Chapitre 2 : L'illusion de contrôle (1/4)

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C'était une conversation difficile, bien plus que je ne l'avais imaginé. Le poids de cette vérité semblait écrasant, mais étrangement, je me sentais légère. Comme si elle m'avait libérée des chaînes invisibles qui entravaient mes mouvements. La vérité continue de peser sur moi, certes, mais j'ai désormais une raison de me battre, un moyen de résister.

Quand j'y pense, je réalise que je n'ai presque aucun souvenir de mes parents. Mes souvenirs commencent uniquement à partir de leur disparition. Rien avant. Ce vide me trouble, mais je suis trop épuisée pour y réfléchir davantage. Cette journée a été éprouvante, remplie d'émotions. Pourtant, je doute de réussir à dormir ce soir.

(Mira monte à sa chambre située au premier étage.)

En montant, mon regard s'attarde sur les photos de famille accrochées au mur. Cela doit vraiment tenir à cœur à Mamie. Malgré notre petit foyer de trois personnes–Mamie, moi, et notre chat au nom improbable, Pit Bull – la maison n'a rien de morne.

Ah, oui, Pit Bull. Pourquoi ce nom ? Bonne question. Il faudrait demander à Mamie, mais je doute qu'elle ait une réponse logique à me donner. C'est un matou dodu qui ne daigne s'intéresser à nous que lorsqu'il est question de friandises. De loin, il a un certain charme. De près... disons qu'il n'est pas du genre à mendier ou à offrir des caresses. Un chat chaleureux, mais à sa manière.

Je suis arrivée devant ma chambre et, sans réfléchir, je me suis laissée tomber sur le lit, le visage enfoui dans l'oreiller. Mes membres étaient lourds, comme si le poids de la journée avait infiltré mes os, mais mon esprit, lui, tourbillonnait. Impossible de trouver le repos. Je savais que dormir serait une épreuve. Alors, pour tromper l'insomnie, autant essayer de penser à autre chose.

Presque instinctivement, mes pensées se sont tournées vers mon roman préféré, Ce n'est qu'une larme. Ce livre est plus qu'une simple histoire pour moi ; c'est un refuge, un écho. La protagoniste, Adélaïde, est tout ce que je ne suis pas... et pourtant, elle me ressemble d'une manière que je ne peux expliquer. Un paradoxe fascinant. Elle m'impressionne profondément. Adélaïde fait toujours ce qui lui semble juste, même dans un monde où tout est conçu pour la faire plier.

Son histoire se déroule dans un empire immense, au cœur d'une époque sombre où les femmes n'étaient rien de plus que des marchandises, offertes sur l'autel du mariage. Toute leur vie, elles passaient d'un maître à l'autre : du père au mari, parfois même au frère. Mais Adélaïde, issue de la noblesse, refusait d'être une marionnette. Elle n'était pas qu'un joli visage ou un nom à transmettre. Dans le secret de ses pensées, elle rêvait d'un monde différent.

Adélaïde n'était pas une guerrière, du moins pas au sens traditionnel. Mais elle possédait une arme plus puissante que l'acier : sa détermination. Une force calme, mais inébranlable. Elle ne voulait plus être spectatrice de son malheur, ni du sacrifice des autres femmes pour le bonheur d'hommes aveugles à leurs souffrances. Alors elle s'est posé cette question : Comment fait-on tomber un empire dirigé par des hommes ?

Les réponses qui lui venaient en premier étaient brutales : par le sang, par la rébellion, par la vengeance. Mais Adélaïde comprit rapidement que la véritable clé était ailleurs.

Pour faire tomber un empire d'hommes, il fallait devenir cet empire. S'emparer de ses fondations, non pas par la force brute, mais par l'esprit, par les mots. Adélaïde savait qu'elle n'avait ni armée ni fortune pour renverser l'ordre établi. Mais elle possédait une chose bien plus précieuse : une voix. Une voix qui résonnait dans les cœurs de milliers de femmes à travers l'empire. Une voix qui leur donnait enfin le courage de rêver, de s'imaginer libres. Et Adélaïde comprit que changer les cœurs, même lentement, c'était déjà commencer une révolution.

Une larme. Une simple larme, fragile en apparence, mais assez puissante pour irriguer les racines d'un monde nouveau.

Rien que d'y repenser, j'ai envie de replonger dans ces pensées, mais la fatigue commence à peser sur moi. Mes paupières deviennent lourdes, et peu à peu, le sommeil me gagne.

Mais soudain, une pression étrange sur mes jambes me réveille. C'était comme si quelqu'un s'était assis là, au bord de mon lit. Avant même que je puisse comprendre, une voix chantonnante brisa le silence. Elle était douce et pourtant glaçante, et mon sang ne fit qu'un tour. Quand j'ouvris les yeux, ce que je vis me figea complètement.

Assis sur mon lit, tourné vers la fenêtre, se trouvait une silhouette. Elle avait une forme humaine, mais rien qui puisse la rattacher à quelque chose de vivant. Pas de visage, pas de traits distinctifs, et aucune indication de sexe. Juste une ombre dense et inquiétante. Elle oscillait doucement, balançant sa tête et ses épaules de gauche à droite, toujours en chantonnant cette mélodie oppressante.

Je voulais hurler, bouger, mais mon corps me trahissait. Seuls mes yeux pouvaient témoigner de ma terreur. C'était comme si une force invisible m'écrasait, me clouant sur place. Même ma boussole, cette voix intérieure qui ne me quitte jamais, était étrangement muette.

Puis, lentement, la silhouette tourna sa tête vers moi. Ce n'était pas un visage qui me faisait face, mais un vide obscur. Un vide qui pourtant me fixait. Et au milieu de cette obscurité, une bouche se dessina, large et terrifiante, un sourire qui semblait vouloir m'engloutir.

Elle m'observa en silence pendant de longues minutes. Ce n'était pas juste un regard ; c'était une présence, invasive et étouffante. Puis elle parla.

"Je m'interroge souvent, la nuit, quand plus aucune voix ne résonne. Quand il ne reste que le bruit lointain des voitures, le souffle du vent et la lumière des lampadaires effleurant les murs... Toi, que fais-tu dans ces instants, face à ton véritable toi ? Celui que tu caches, celui que tu ignores ?"
Sa voix était familière, et pourtant étrangère. J'avais l'impression qu'elle connaissait des choses que même moi je m'efforçais d'oublier. Elle continua, son ton empreint d'une étrange certitude :

"La vérité... n'a de valeur que pour ceux qui la connaissent. Elle n'a de sens que pour ceux qui la tissent. Quant à la lune et ses conseils... ils ne sont que des murmures qui s'attardent sur les détails, mais jamais sur la conscience."
À ces mots, la silhouette sembla sourire davantage, si tant est que cela fût possible. Elle s'approcha lentement de moi. Je pouvais presque sentir son souffle glacial sur ma peau, bien qu'elle n'ait ni chair ni souffle humain. Elle murmura alors à mon oreille, sa voix se glissant comme un poison dans mon esprit :

"Ma puce, ma mirète... Jusqu'où comptes-tu ignorer les signes ?"
À ces mots, un frisson me parcourut. Ce n'était plus seulement de la peur, c'était une terreur viscérale, animale. Mon corps tremblait, mais je ne pouvais toujours pas bouger. Ce n'était pas un rêve, ce n'était pas une paralysie du sommeil. Non, les créatures des paralysies du sommeil ne parlent pas, elles ne te connaissent pas comme celle-ci semblait me connaître.

Je ne pouvais pas prouver que ce qui était là, en face de moi, était réel. Mais en cet instant, je savais que ma vie était en danger. Le poids de cette présence, le son de cette voix... tout me semblait trop vrai pour être une illusion.

Et alors, comme un mécanisme de défense ultime, mon esprit lâcha prise. L'angoisse, la peur, l'impuissance... Tout devint trop lourd. Je m'évanouis, emportée par l'obscurité.

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