Chapitre 1 : La source de tous mes mots (3/4)

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(Après la fin des cours)

J'avais hâte de retrouver Chloé à la bibliothèque. Elle était déjà là, dans cette architecture magnifique qui rappelait un château baroque, avec des escaliers tourbillonnants et des livres empilés sur plusieurs étages à en perdre la tête, le tout baigné dans une ambiance ancienne et classique. C'était vraiment classe, et les grandes fenêtres offraient une vue imprenable sur le jardin.

Nous avons trouvé une table juste en face de la fenêtre, où nous pouvions voir les étudiants circuler, rire et parler, passant du bon temps dans la cour.

— Ça te dit de piocher un livre au hasard dans la bibliothèque et de le lire ensemble, comme à l'époque ? proposa Chloé, se penchant avec un sourire espiègle.

— Génial, laissons le hasard décider du livre, répondis-je, le sourire aux lèvres. Choisissons un chiffre pour le rayon au hasard, très chère.

— D'accord, rayon fantasy, couloir trois, premier étage, très chère, répondit Chloé avec enthousiasme.

(Nous nous sommes dirigées vers l'endroit en question).

— Bien, Mira, pioche un livre au hasard, ordonna Chloé.

J'agis rapidement et tirai un livre : Le Chevalier face au destin. Cela avait l'air passionnant, et bien que sa couverture fût un peu vieillie, elle était suffisamment jolie pour attirer mon attention. J'étais impatiente de commencer.

Nous nous installâmes pour lire. L'histoire parlait d'un chevalier solitaire affrontant d'innombrables épreuves pour vaincre un dragon aux yeux dorés, destiné à détruire l'humanité. Mais lorsque le chevalier donna le coup fatal, il se rendit compte que le dragon était en fait son âme sœur, celle qui l'avait soutenu dans les pires moments, son premier amour, Evel. S'ensuivait alors un débat intérieur : sauver le monde ou abandonner tout pour sauver Evel, maudite par sa famille machiavélique. Ne pouvant se résoudre à faire ce choix, il préféra se donner la mort plutôt que de laisser son amour derrière lui. Evel, après la mort de son bien-aimé, retrouva alors sa liberté et brisa la malédiction.

La morale de l'histoire était que, même sans un sacrifice de sang, l'amour du chevalier pour Evel réussit à contrer le destin.

— Wah, la fin est si triste mais si magnifique en même temps. Comme quoi, le destin peut être rompu par l'épée à double tranchant qu'est l'amour, dit Chloé. Mais je ne comprends pas pourquoi le fait qu'il ait décidé de ne pas faire de choix a quand même réussi à sauver le monde.

— Je l'ai compris ainsi : même les choix les plus minimes ont un impact, peu importe leur importance. Le destin n'est peut-être pas la fatalité qu'il semble être. Pour la première fois de sa vie, le chevalier a décidé d'agir pour lui-même, et non pour les autres. Le destin, reposant sur des éléments statiques, ne pouvait pas lutter contre une lueur de changement. Ça pousse à la réflexion, c'est vraiment un bon conte, bien que très triste.

(Il faisait déjà sombre, et nous n'avions pas vu le temps passer).

— Ah, il est déjà 18h30, et mon train passe à 18h35, dit Chloé en vérifiant son téléphone, ses yeux s'écarquillant légèrement.

— Tu es sûre d'arriver à la gare à temps ? demandai-je, une petite inquiétude se glissant dans ma voix.

— Mais oui, j'en suis parfaitement capable ! Tu as oublié qui je suis, la cinglée numéro 1 du Campus Nova ? Je peux tout faire tant que j'y crois ! s'exclama Chloé avec un sourire pétillant, son enthousiasme contagieux me réchauffant le cœur.

— Eh bien, je ne te retiens pas plus. Ne te perds pas en chemin ! lançai-je avec un sourire malicieux.

— Ne t'inquiète pas, je ferai attention, je te promets, répondit-elle, déjà en train de s'éloigner, sa démarche énergique et désinvolte.

Je la regardai partir, appréciant la légèreté de notre échange. Chloé avait ce don de rendre les moments ordinaires extraordinaires, et je ne pouvais m'empêcher de l'envier un peu. Je me tournai vers l'autre sens, ressentant un mélange de gratitude et d'angoisse à l'idée de traverser seule l'immense cour presque vidée. Mais comme la journée avait été merveilleuse, cela suffisait à illuminer à nouveau mon humeur.

— À demain ! dis-je en lui faisant un signe de la main, le cœur léger.

(Soudain, me trouvant à proximité du labyrinthe, j'entendis encore des fragments de poème de cette voix familière, mais cette fois, elle s'adressa directement à moi.)

— Ma puce, ma Mirète, jusqu'à quand comptes-tu ignorer les signes...

— Qui êtes-vous ! Hé, comment connaissez-vous ce surnom ?

La voix se tut, laissant place au chant des oiseaux, au vent soufflant sur les fleurs et aux pas des étudiants quittant l'établissement. Plus aucun son ne résonnait.

— Bon, je dois être fatiguée. C'est peut-être juste mon imagination. Je devrais rentrer à la maison, murmurai-je, encore troublée par cette rencontre.

(Quelques instants plus tard, arrivée à la maison)

J'ai attendu quelques instants devant la porte, le cœur battant la chamade. Aujourd'hui, je compte confronter mamie sur mon passé. La voix de mon amie de cœur a été le déclic. Ça suffit de me cacher pour ne pas confronter cette vérité douloureuse. Cette vérité me fait mal, car je ne la connais pas. Une fois que je la connaîtrai, je pourrai commencer à l'accepter et à l'ancrer en moi. Mes mains tremblent, et mon cœur tambourine d'une dynamique incessante, rien qu'en y pensant. J'ai envie de pleurer ; je me sens tellement lâchée et je m'en veux. Je m'en veux tellement. Mes parents doivent me trouver hypocrite, de là où ils sont, leur idiote de fille ne cherche même pas à se souvenir d'eux, eux qui ont tant sacrifié pour moi.

(Mira se gifle les deux joues, cherchant un peu de courage, une lueur de détermination dans son regard.)

Bon, je m'appelle Mira, et aujourd'hui, je décide de me battre. Une partie de moi a été laissée à l'abandon, et je vais la retrouver de force, peu importe la difficulté. Je suis une adulte ; j'ai des amis, une grand-mère, et tout ce qu'il me reste, c'est une histoire, et pas n'importe laquelle : la mienne. Pour cela, vous devez connaître mon histoire pour comprendre le sens de mes mots.

Mon nom est Mira Éléonore, et mes parents sont morts lorsque j'étais encore très jeune. Nous revenions d'une semaine de camping, un souvenir flou qui reste gravé en moi, mais je ne me rappelle de rien. Je ne me souviens pas de ma vie avant mes sept ans, ni même depuis cet accident tragique. Je connais mon histoire uniquement à travers les paroles de ma grand-mère. Je n'ai jamais osé lui demander les détails ; elle est tellement forte, elle qui a perdu son deuxième enfant, elle qui a perdu son sang pour la seconde fois.

Je sais qu'elle a vécu un deuil que personne ne devrait connaître, celui de perdre deux enfants. Le second, c'était mon oncle. Un petit garçon de six ans. Il est mort sous des circonstances tragiques, mais elles étaient compréhensibles : un accident de voiture, un conducteur sous stupéfiants, condamné à la suite. La justice s'est faite. Mais la disparition de mes parents... cela reste un mystère. Des mois d'enquête, des heures de vidéos de surveillance, des témoins, mais rien. Aucune trace de leur camping-car, que ce soit sur les routes ou dans les images des caméras de sécurité. Et moi... moi seule retrouvée, comme si la terre les avait engloutis. L'affaire a fait les gros titres. L'une des disparitions les plus médiatisées du pays. Mais malgré tous les efforts, aucune nouvelle. Rien.

Ma grand-mère n'a jamais cessé d'espérer au début. Je me souviens de son regard quand elle parlait des policiers, de la détermination dans sa voix. Mais, au fil des années, ce regard s'est éteint. Elle n'en parle plus. Le temps lui a volé son espoir. Un jour, elle m'a dit que même les policiers n'y croyaient plus. Alors elle a cessé de me dire que mes parents reviendraient. Elle a cessé de chercher.

Avant tout cela, je n'avais aucune peur des autres, j'étais... normale. Peut-être un peu trop bruyante, un peu trop visible, mais je n'avais aucune idée de ce qui m'attendait. Je parlais aux inconnus comme si c'était naturel. Je me souviens des vacances d'été, quand je courais à travers le parc, les cheveux au vent, sans me soucier du regard des autres. J'étais cette enfant qui osait se faire entendre, qui se lançait dans des projets sans jamais douter. Mais ça, c'était avant. Avant cette nuit-là. Avant qu'ils ne disparaissent. Avant que tout s'effondre. Aujourd'hui, je suis une personne plus calme, plus observatrice. La peur est devenue mon ombre, et les gens, ma terreur silencieuse.

Je n'ai jamais compris pourquoi cela m'a changée à ce point. Pourquoi je me suis rétractée en moi-même. Mais chaque souvenir d'avant me renvoie à cette époque où tout semblait possible. J'étais une enfant extravertie, naïve, et ce fut une innocence que j'ai perdue à jamais.

Mira ouvre la porte avec sa clé et entre. La cuisine est inondée d'une lumière douce et chaleureuse, et l'odeur du pain grillé et des légumes sautés envahit l'air. Sa grand-mère, les cheveux gris tirés en un chignon soigné, s'affaire à jouer avec le son des frappes de couteaux sur la planche à pain.

— Tu es revenue, Mira ! J'espère que ta journée s'est bien passée.

— Oui, mamie, merveilleusement. Ça fait du bien de revenir après des vacances chargées. (Je ferai mieux d'aborder le problème après le repas.)

— Ça va, tu es pâle, ma puce ?

— Je... je vais bien, mamie. Merci, c'est mignon de ta part. Je vais juste me changer et je te rejoins pour t'aider.

Mira court vers sa chambre, où les murs sont décorés de souvenirs d'enfance, puis revient pour aider sa grand-mère.

Les murs de ma chambre, couverts de dessins et de photos, me rappellent un temps que je préférerais oublier. Les souvenirs de mes parents se mélangent avec les moments où, petite, je me croyais invincible. Maintenant, il n'en reste que des échos, des souvenirs figés dans le temps. Mais je ne dis rien. Pas encore.

Quand je suis entrée dans la cuisine, l'odeur des légumes m'a frappée, et c'est comme si, d'un coup, tout avait retrouvé sa place. Mais tout est plus lourd qu'avant. Le poids de l'absence.

— Mira, tu savais que Sébastien s'est marié ?

— Sébastien ? (Mira se penche vers le four, ajustant la température.) Le Sébastien ?

— En chair et en os ! J'espère que son épouse ne subira pas son narcissisme comme toi. Les hommes ne changent pas aussi facilement, quel abruti ! Un pauvre fils à papa qui ne s'interdisait rien d'autre qu'à sa propre personne. Tu te souviens, il y a trois ans, il hésitait à rentrer à la maison parce qu'il pensait qu'on vivait avec des rats. Il n'a touché à aucun de mes plats, et son blabla incessant sur la nullité de ma maison... Au moins, avec ce mariage, tu t'en es débarrassée pour de bon, ce petit salop. Quand je mourrai, rappelle-moi d'aller le hanter avec son arrière-arrière-grand-mère, ça lui fera peut-être la leçon.

— Ha ha ha ! Mamie, toujours aussi fofolle. Ne t'inquiète pas, je l'ai oublié. Je ne sortais avec lui que par dépit ; je pensais que jamais je n'intercepterais un homme, alors je me suis jetée sur le premier venu. Un abruti de qualité.

— Oh, ma petite fille a appris les injures ! Hé hé, tu as bien appris de mes enseignements, tu vas aller loin, je te le dis. J'ai juste envie d'y aller et de gâcher le mariage de ce petit merde...

— Mamie, on va arrêter de parler de lui. C'est de l'histoire ancienne. Comment, encore à ton âge, peux-tu penser à provoquer le désordre ainsi ?

— Ma petite, c'est justement parce que je suis vieille que je veux de l'action et de l'ambiance. J'ai envie de tout casser.

— Mamie, on va se calmer, d'accord ? (Je comprends mieux pourquoi Chloé t'appelle la cinglée, hé hé.)

— D'accord, d'accord, mais sache que je suis de tout cœur avec toi.

— C'est vrai que tu me l'as beaucoup prouvé depuis le début de la conversation. Bon, je pense que le repas est prêt, allons manger.

(Nous nous asseyons à table, les plats savoureux remplissant l'air de leur parfum réconfortant. Les rires et les souvenirs se mêlent à l'odeur des mets. Après le repas, nous débarrassons et nous installons près de la cheminée, avec le thé que mamie a préparé, fumant dans des tasses en porcelaine.)

— Bien, dis-moi ce qui ne va pas. Tu me regardes avec des yeux de pigeon voyageur depuis ton retour.

— C'est vrai, je suis un peu comme un chien battu. Mais ok, ok, je vais me lancer. Grand-mère, j'aimerais que tu me parles de mon oncle et de ce qui est arrivé à mes parents. Je veux et j'ai besoin de savoir. Et toi aussi, tu as besoin d'en parler. Je serai là pour te soutenir dans une souffrance qui t'a été jusqu'à aujourd'hui solitaire. Je suis là.

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