Chapitre 1 : La source de tous mes mots (4/4)

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Mira sentit son cœur battre la chamade. Une étrange mixture de peur et de détermination montait en elle, la poussant à poser enfin cette question. La grand-mère, visiblement prise de court, se redressa et plongea son regard dans celui de sa petite-fille. Ses mains tremblaient légèrement, et elle prit une profonde inspiration, comme si elle savait que cette conversation allait rouvrir des blessures qu'elle avait trop longtemps refoulées.

— Tu as raison. C'est difficile, mais il est temps que tu saches.

Elle prit un instant pour se ressaisir, son regard se perdant un moment dans le vide avant de revenir sur Mira, son visage marqué par des années de souffrance.

— Tu sais, ma chérie, la vie n'est pas juste. Parfois, elle nous frappe tellement fort qu'on reste à terre, sans savoir comment se relever. On ne se remet jamais d'une perte aussi violente. Une mère perdant un enfant... c'est une douleur infinie. Tu veux comprendre la mienne ? Une partie de moi est morte avec lui, et l'autre a été engloutie par cette attente sans fin. J'ai perdu deux enfants, en quelque sorte.

Mira sentit un nœud se former dans sa gorge, mais elle resta silencieuse, écoutant chaque mot avec attention. La grand-mère continua, d'une voix basse, presque tremblante.

— C'était un enfant magnifique, souriant et si gentil... Mon bébé. Mon pauvre bébé... Et même maintenant, tout cela me hante, comme si je n'avais jamais vraiment eu le temps de les retrouver. Ils étaient là un jour, et puis... plus rien. Rien, Mira. C'est comme si la terre les avait engloutis, comme ton père et ta mère. La police a tout vérifié, les caméras, les témoins, tout... mais il n'y avait aucune trace. Et puis, avec le temps, j'ai cessé de me battre. Mais toi, tu mérites de savoir. Je n'ai jamais cessé d'espérer pour toi, même si... je me suis résignée à la disparition.

Une lourde tension s'installa dans la pièce. Mira sentait les larmes lui monter aux yeux, mais elle ne les laissa pas tomber. Elle écoutait, chaque mot pesant plus lourd que le précédent.

— Ce jour-là, il jouait au ballon sur la route. La pluie tombait, mais il était si heureux, riant aux éclats... Je l'ai laissé quelques secondes, juste pour lui préparer un goûter. J'avais demandé à ton grand-père de le surveiller... mais si seulement je n'avais pas quitté ses yeux. Si seulement j'étais restée... Il ne serait peut-être pas...

Sa voix se brisa, et elle s'arrêta un instant, perdue dans ses souvenirs, avant de reprendre avec une intensité nouvelle.

— Je l'ai retrouvé, là, par terre... son corps tout froid, mais avec cette trace de chocolat autour de sa bouche. C'était tellement irréel... mais je savais que jamais je n'aurais l'occasion de le voir grandir, de lui donner une nouvelle chance. C'est ce qui fait le plus mal.

Elle ferma les yeux un instant, revivant ce moment avec une clarté douloureuse. La pièce semblait se remplir de cette souffrance ancienne, comme si le temps lui-même refusait d'effacer cette scène.

— J'ai crié à ton grand-père d'appeler les secours, mais au fond de moi, je savais déjà... Son cœur était déjà froid quand je l'ai pris dans mes bras. Il était parti. Ce jour-là, une partie de moi est morte avec lui. »

Un silence lourd s'installa alors dans la pièce, alors que Mira sentait son cœur se serrer. La grand-mère, les yeux embués de larmes, sembla soudain plus fragile. Elle reprit la parole, d'une voix presque chuchotante, les mots s'échappant lentement, comme un dernier aveu.

— Je me souviens avoir parlé à ton oncle comme s'il pouvait encore m'entendre... même si je savais qu'il ne reviendrait jamais. Les ambulanciers sont arrivés, mais en voyant leur visage, tout espoir s'est évanoui. À ce moment-là, je me suis posée cette question horrible : comment peut-on réaliser nos rêves si on est déjà sous terre ? »

Mira sentit les larmes glisser sur ses joues. Elle regarda sa grand-mère avec une intensité qui disait tout : elle comprenait, elle partageait cette douleur. La souffrance de la grand-mère était maintenant la sienne, et un lien invisible se tissait entre elles dans ce silence lourd, ce silence où le passé et le présent se rejoignaient.

— Il y a eu des moments où je pensais que je n'y arriverais jamais. J'avais ce sentiment... que tout s'était éteint en moi, murmura la grand-mère, sa voix tremblant légèrement. Chaque jour, je me retrouvais face à une page blanche, espérant que quelque chose de nouveau surgisse. Mais le seul mot qui semblait vouloir s'inscrire, c'était néant.

Elle baissa la tête, son regard se perdant dans un passé qu'elle semblait revivre à cet instant.

— Je me suis souvent dit qu'abandonner serait plus simple. Parfois, je me demandais même si la vie valait la peine.

Mira, bouleversée, se pencha en avant, prête à répondre, à la réconforter. Mais sa grand-mère leva doucement la main, l'arrêtant avec un sourire fragile qui semblait contenir des années de douleur et de résilience.

— Ne t'inquiète pas, ma chérie, murmura-t-elle avec tendresse. C'était avant. Avant que je me réveille.

Elle inspira profondément, comme pour rassembler le courage de continuer :

— Un jour, ta mère, Elisabeth, m'a dit quelque chose qui a tout changé. Elle m'a dit : "Une page blanche, ce n'est pas un vide. C'est une promesse, une chance de recommencer."

Un léger tremblement passa dans sa voix, mais elle poursuivit, le regard fixé sur un point lointain.

— Ces mots... Ils ont été comme une étincelle. Pas une grande flamme, mais juste assez pour illuminer un coin de ma nuit intérieure. Ce jour-là, elle m'a offert l'un de ses plus beaux sourires. Ce sourire, Mira... il était rempli de lumière, de vie.

Elle marqua une pause, cherchant ses mots avec soin.

— Ce sourire m'a rappelé qu'il restait quelque chose à sauver. Que même dans l'obscurité la plus profonde, il y a toujours une lueur, un éclat qui peut nous ramener.

Elle releva la tête vers Mira, ses yeux brillants d'une émotion retenue, mais sincère.

— C'est là que j'ai compris qu'il fallait que je me batte. Pas à pas, jour après jour. J'ai arrêté l'alcool, pas d'un coup, mais doucement, en apprenant à me pardonner. J'ai recommencé à manger, à sortir, à parler à ta mère. Chaque petit pas était une victoire. Et cette page blanche qui me terrifiait... elle a fini par se remplir. Lentement, avec de nouveaux souvenirs, de nouvelles luttes.

Elle posa une main douce et réconfortante sur celle de Mira, et un sourire fatigué mais sincère éclaira son visage marqué par les années.

— La pluie, ma chérie, n'est pas toujours synonyme de tristesse. Parfois, elle lave tout. Elle annonce un nouveau départ.

Mira, émue, sentit ses yeux s'embuer de larmes. Elle serra la main de sa grand-mère avec douceur.

— Tu t'es battue, mamie. Et maintenant, c'est mon tour. Pour toi, pour maman... et pour tout ce que nous avons perdu.

Un éclat de fierté traversa le regard de la grand-mère, et elle hocha doucement la tête.

— Tu as déjà commencé, ma puce. Tu ne le sais peut-être pas encore, mais tu es bien plus forte que tu ne le crois.

Un sourire sincère illumina ses traits, mais il s'effaça rapidement, emporté par le poids des souvenirs.

— Elle s'est mariée, puis tu es arrivée, reprit-elle après un silence. Oh, Mira... tu étais un vrai petit diable ! Une fois, tu avais décidé de repeindre les murs avec de la purée de carottes. Ta mère était folle de rage, mais moi, je n'avais pas pu m'empêcher de rire. Ces petits moments... ils étaient comme un souffle de vie qui balayait toute la douleur.

Un éclat de rire sincère s'échappa de ses lèvres, avant de s'estomper dans un soupir empreint de nostalgie.

— Ces souvenirs, je les garde comme des trésors. Ils nous tiennent debout, même dans les pires moments.

Mira hocha la tête, la gorge serrée par l'émotion.

— Tu as raison, mamie. Les souvenirs, c'est ce qui reste. Et ils nous rendent plus forts.

La grand-mère hésita, son expression devenant plus sombre.

— Puis, ce voyage en camping... (Sa voix se brisa légèrement.) Ils ont tout simplement disparu. Aucune trace. Aucune explication. Rien. Tu étais là, sous la pluie, seule... et eux, plus rien.

Elle marqua une pause, ses mains tremblant légèrement.

— La police n'a rien trouvé. Pas de corps, pas de preuves. Rien. Les caméras n'ont rien enregistré. Aucun témoin. Le camping-car qu'ils avaient pris n'a jamais été retrouvé. C'était comme si la terre les avait engloutis.

Mira sentit son souffle se raccourcir, son cœur s'accélérant alors que les souvenirs refaisaient surface.

— Les médias en ont parlé pendant des mois, reprit la grand-mère. Leur disparition est devenue l'une des affaires les plus médiatisées du pays. Mais le temps passe, ma chérie. Et avec lui, les gens oublient. Les nouvelles se taisent, les visages s'effacent.

Elle baissa les yeux, son regard alourdi par le poids des années.

— C'est là que j'ai abandonné. Que j'ai dû accepter l'idée qu'ils ne reviendraient jamais.

Un silence pesant s'installa, rempli de douleur et d'absence.

— Mais tu sais, ajouta-t-elle doucement, la pluie... elle lave les blessures. Et parfois, elle nous offre une chance de recommencer.

Mira serra la main de sa grand-mère, ses larmes coulant silencieusement.

— Tu as raison, murmura-t-elle. La pluie peut annoncer un renouveau.

Elles restèrent ainsi, unies par une douleur partagée, mais aussi par une lumière naissante, comme une page blanche prête à être écrite à nouveau.

— Il fut un temps où je pensais que la pluie me poursuivait. Mais tu es ma petite plante qui a fleuri malgré tout ça. Je ne suis pas très douée en jardinage, mais j'ai réussi à faire pousser quelque chose de beau... et cette chose, c'est toi, Mira.

(Mira éclata de rire à travers ses larmes, et la grand-mère, visiblement soulagée, lui tapota la main.)

— On devrait planter un jardin ensemble, mamie. Un jardin avec des fleurs pour chaque souvenir.

— Oh oui, ma chérie. Mais pas de tomates ! Je te préviens, je ne veux plus de cette histoire de potager. La dernière fois, c'était un désastre. On plantera des cactus. C'est résistant, comme nous.

(Elles rirent ensemble, dans cette bulle d'amour et de chagrin partagé. Leur conversation avait pris une tournure légère, mais Mira savait que leur peine, tout comme leur amour, n'avait pas de limites.)

— Nous allons continuer ensemble, mamie. Pas à pas.

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