Chapitre 1

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« Au fond de l'eau, j'irai nager ». J'observe mes mains s'agiter, les bouts de mes doigts sans relâche dessinent devant moi des dentelles éphémères qui s'évaporent dans le néant, puis réapparaissent pour mourir à nouveau. Mes épaules me font mal, tout en nageant, je me répète ces mots sans comprendre d'où ils viennent ni pourquoi ils m'obsèdent. Qui n'a jamais vécu ces moments où une phrase, une mélodie enfouie au plus profond de notre inconscient vient hanter notre esprit tout au long de la journée ? Dès le réveil, elle est présente et vous habite tel un leitmotiv, une rengaine ou une scie qui vrille vos pensées et s'invite bien malgré vous dans votre quotidien.

Je m'appelle Antoine Montana, j'ai quarante cinq-ans et je suis un sportif accompli, un nageur confirmé. J'ai donc décidé de relever le défi de Monte-Cristo. Cette épreuve de natation, dont la première édition a eu lieu en 1999 a pour but de relier le continent à l'îlot du Château d'If, elle rassemble chaque année plusieurs milliers de concurrents qui transforment l'onde bleutée en une mare de têtards frétillants. Je dispose de plus de deux mois pour m'entraîner, passé ce délai, ce sera le grand jour. D'un naturel pugnace, je tiens à mettre toutes les chances de mon côté pour figurer honorablement.

Très tôt, ce matin, j'ai déposé ma tenue de nage dans le coffre de ma vieille Volvo et j'ai rejoint les plages du Prado. Ce mois d'avril marseillais est exceptionnellement frais, car un mistral entêtant souffle depuis deux jours. Il soulève le sable, créant des mini-tornades aux ombres spectrales qui courent sur le sol, la lumière sans pareille de la cité phocéenne les habille d'ocre et de feu. J'ai revêtu ma combinaison, chaussé mes palmes, me voici dans le grand bain. Les premières reptations, les premiers battements, m'ont immédiatement apporté d'agréables sensations, je suis au top, c'est sûr. Je me laisse porter par la mer, mon corps accompagne ses ondoiements sensuels, les vagues ne sont pas un obstacle, mais un tremplin vers un autre rouleau qui m'aide à progresser vers un autre rouleau...

J'observe mes mains s'agiter, les bouts de mes doigts sans relâche dessinent devant moi des dentelles éphémères qui s'évaporent dans le néant, puis réapparaissent pour mourir à nouveau. Mes épaules me font mal.

Au bout de trente minutes d'efforts, ça commence à tirer tout de même ! Je décide de ménager la monture. Éole maître des vents a momentanément calmé ses ardeurs, je fais la planche. Dans cette position, je m'oblige à respirer lentement, à reposer mes muscles. Je n'ai pas peur, bien au contraire. Seul, les yeux tournés vers le ciel, j'observe le ballet des goélands qui planent à l'horizon. Je m'identifie à eux, ils se laissent porter par le vent tout comme moi par la mer. Je perçois leurs cris stridents comme un hymne à la joie, un hommage à la vie. Je n'avais encore jamais ressenti cette sensation osmotique avec dame nature, tout mon être exulte.

Le château d'If n'est plus qu'à cinq cents mètres, cette pause m'a fait le plus grand bien et je ne vais pas tarder à repartir. Là-bas m'attend Mathilde, je l'imagine sur la digue, frêle silhouette, cheveux au vent, observant de ses jumelles un petit point noir qu'elle espère être moi. Elle a sans doute amarré le Zodiac le long du quai où nous nous retrouvons habituellement. Ce moment délicieux où après une bonne douche à la capitainerie, habillé de vêtements secs, je la retrouverai, m'insuffle un surcroit d'énergie. Je me retourne et allonge mes bras, les premiers clapotis me donnent le tempo. Courage Antoine, tu as fait le plus dur !

J'entends un bruit de moteur, une grosse abeille bourdonne au loin. Le bruit se rapproche, hélas le vent s'est réveillé. Je n'ai plus de visibilité, car l'eau se hérisse soudain de petites collines mouvantes qui réduisent mon horizon. Une torpille jaillit des flots, c'est un scooter des mers. Le pilote ne m'a pas vu, il fonce vers moi, je suis effrayé. Animé par l'instinct de survie, je nage aussi vite que je le peux.

Mes épaules me font mal... Je ne relâche pas mon effort, ça y est je suis hors de portée. L'engin passe à quelques mètres de moi. J'agite les bras en l'air pour lui signaler ma présence, peine perdue, il ne m'a toujours pas repéré. Pire, il amorce un virage à 180°, soulevant une terrifiante gerbe d'eau, puis il se dirige à nouveau vers moi. Cette fois, je ne pourrai pas l'éviter.

Le choc est inéluctable, lorsqu'il se produit un immense soulagement m'étreint car je ne ressens aucune douleur. Je veux me remettre à nager, mais une flèche me transperce au niveau des hanches. Je me retourne, une nappe écarlate m'entoure. Je pousse un cri animal et perds connaissance.

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