Chapitre 4 1/3
Ryma avançait vers moi en écartant les fougères avec délicatesse, les yeux d’une bienveillance extrême. Il faisait plus de 1m90 mais était l’un des plus petits de son peuple, selon lui. Sa peau était laiteuse et ses cheveux mi-longs, dorés. Parfois blancs, selon la lumière. Mais ce furent ces yeux de diamants qui retenaient toujours mon attention. Il portait un pantalon en lin sous une longue chemise immaculée, serrée par une ceinture de cristaux bleutés trahissant sa robustesse. Ce jeune homme dégageait une énergie de sagesse et d’amour infini.
- Donc je suis de retour…
Il prit ma main droite dans les siennes et la porta à son front. C’était sa façon étonnante de me saluer à chacune de nos rencontres.
- Cela faisait longtemps, chère conscience.
Il m’invita à m’asseoir sur l’herbe fraîche et m’observa de ses yeux argentés. D’immenses fleurs aux couleurs chatoyantes nous servaient de parasol face au soleil, plus de trois mètres au-dessus de nous. Dans le monde de cet être lumineux, tout était toujours plus grand.
- Comment se passent tes recherches à la surface ?
Je me plongeais dans les souvenirs de mon corps physique et je fus envahie d’une peine indescriptible. Cela faisait des années que mon « moi » de la surface se réveillait avec des parcelles de nos voyages éthériques. Cette Perlie était emplie d’une grande tristesse due à son ignorance, cherchant désespérément à décrypter le moindre indice qui lui expliquerait ce qu’elle était. Ce que nous étions vraiment.
- J’ai découvert de nouvelles gravures sous la ville que j’habite actuellement. Il se peut qu’elles puissent me mener ici.
- Je l’espère de tout mon cœur.
Et il était sincère. Ryma ne disait que la vérité. Ici, aucun doute, aucune violence n’existaient.
- Vas-tu enfin me dire qui je suis ?
- Je n’ai pas le droit d’interférer avec l’évolution spirituelle des âmes de la surface. C’est contre les lois fondamentales universelles. C’est à toi de le découvrir.
- Comment faire ? Mon corps physique ne reçoit que d’infimes indices. Ce serait plus facile si nous nous souvenions de tous nos voyages astraux ou si tu te présentais à nous physiquement et nous révélais tout.
Le rire de cet être incroyable m’emplit d’une joie immense.
- Ton monde de la troisième densité a pris le contrôle même de ton esprit. Tu penses encore tant avec ton mental qu’avec ton cœur.
- Comment faire autrement ? Mon « moi » de la surface survit en marge d’une société qui se détruit à petit feu.
- Est-ce vraiment le cas ? De plus en plus d’humains s’éveillent et l’Amour grandit dans votre dimension.
Je glissais mes doigts dans les siens et me perdis dans son précieux regard.
- J’aimerais vivre ici toute ma vie. Avec toi.
L’air suave d’une température idéale frôla nos joues, faisant danser les ombres des fleurs sur nous. Je soupirais. De bonheur d’admirer ce tableau végétal de maître. De tristesse, de devoir le quitter bientôt de nouveau.
- Un jour, cela se réalisera. La fin est déjà écrite, tout dépendra des chemins que tu choisiras.
Ses yeux en amande bousculèrent mon cœur éthérique. À chaque voyage, il me paraissait encore plus beau.
- Tu sais qu’elle va finir par se douter de qui tu es. Elle est très perspicace.
- Si cela me permet de protéger ta lumière, ainsi soit-il. En attendant, je continuerai de vous aider à ma façon.
Je me réveillais en sueur, l’image parcellée de cet être magnifique gravée dans mon esprit. Qui était-il ? Je me levais, confuse, l’esprit embrumé, récupérais un crayon et m’empressai de dessiner ce portrait intriguant dans mon carnet.
La veille me revint en mémoire tandis que j’allumais la bouilloire. Les gravures, Oberas et mon attitude de gamine. J’étais déprimée avant de commencer la journée. Il fallait que je prenne l’air. Et je n’avais plus de café.
Je me rendis au supermarché du coin pour refaire le stock. Ses horaires d’ouverture n’avaient aucun sens. Parfois, il était ouvert jusqu’à midi, parfois toute la nuit mais les lumières étaient souvent allumées très tôt. Aujourd’hui, j’avais de la chance. J’y saluais la seule caissière en service à cette heure-ci. À presque soixante ans, Olga était un peu le boss du magasin. C’était souvent elle qui ouvrait, fermait et qui décidait même à la place du gérant que nous ne croisions jamais. En revanche, la télé derrière la porte du bureau à côté du rayon des bouteilles, était souvent allumée.
Comme à l’accoutumée, ses cheveux colorés étaient attachés en une queue-de-cheval basse et son rouge à lèvres, toujours aussi criard. La légende raconte qu’elle fit partie de la mafia à une époque. Son attitude un peu brute parfois n’arrangeait rien. Personne n’eut jamais osé remettre en doute la moindre de ses paroles. Même les jeunes d’ici, la respectaient.
Après avoir rempli mon panier, je déposais les produits sur le tapis.
- Bonjour Olga.
Elle me salua de la tête en passant mes articles et dans un sourire aux accents de l’est, me répondit :
- Dure journée, ma p’tite ?
À croire que mes malheurs se lisaient facilement sur ma tête.
- On peut dire ça. Comment vont les enfants ?
- Oh, tu sais…. Ils finirrront par m’avoirrr un jourrr. Et toi ? Tu es acceptée dans une école de commerrrrce ?
- Oh, Olga, tu sais, je pense que c’est pas fait pour moi.
- Ne laisse pas tomber. Chez nous, on dit toujourrrrs : Avec de la patience, même un bois humide s’embrrrrase. Tu y arrrriverrras, ma p’tite.
Olga était un peu une seconde maman. Un jour, je m’étais surprise à lui raconter mes misères. Depuis, c’était devenu naturel. Elle m’apaisait avec ses proverbes de l’Est à chaque fois.
- Merci Olga.
- Ça ferrra dix-neuf eurrros et quarante centimes.
Je lui tendis un billet de vingt et rangeais les produits dans mon sac à dos.
- Garde la monnaie. Bonne journée, Olga.
Je lui souris en ajustant les anses de mon sac à dos.
- À toi aussi, ma p’tite.
En tournant dans une des rues juxtaposées au boulevard, je laissais errer mes pieds autant que mon esprit. J’avais besoin de respirer, de faire le point sur tout ça. Ma cuisse ne me faisait quasiment plus mal. Plusieurs minutes passèrent lorsque je compris que je me retrouvais devant l’Église Gabriel, à l’autre bout de mon quartier. Qu’est-ce que je foutais là ? En levant la tête vers la façade gothique du bâtiment, j’envoyais un message à son propriétaire :
Dieu, si tu existes, sérieux tu ne pourrais pas une bonne fois pour toutes me dire ce qui ne va pas chez moi ? Est-ce que je suis folle ? Si tu m’envoies un signe dans les cinq prochaines minutes, je t’assure, j’irais à la messe tous les dimanches et je créerais même un petit autel chez moi.
Fermant les yeux, j’attendis. Évidemment, après plusieurs minutes, rien ne se passa. Puis je reçus un message d’Obe.
[Oberas] - P, j’ai des nouvelles de la mission.
[P] - Salut, Obe, j’ai bien dormi, merci et toi ?
[Oberas] - Bien.
Puisque je ne répondais pas, il ajouta :
[Oberas] - Comment va ta blessure ?
J’avais pu échanger le bandage de ce matin avec une compresse et du sparadrap. Fait étonnant chez moi, j’avais toujours guéri assez vite. Je n’y voyais pas là quelque chose de magique. De nombreuses études reflétaient le fait que certains humains avaient, par exemple, les ongles et les cheveux qui poussaient plus vite que la moyenne. D’autres, la cicatrisation.
[P] - Ça pique encore mais ça va beaucoup mieux.
C’était surtout lui qui me piquait. Je n’étais guère rancunière mais il m’avait blessée hier soir et mon cerveau n’avait pas encore décidé d’une trêve.
[Oberas] - Tu es chez toi ? J’ai fini mes recherches sur notre cible.
[P] - Donne-moi trente minutes.
Tout en savourant mon café que je venais d’acheter, je me connectais à notre serveur de recherches une fois rentrée. Obe avait ajouté tout ce qu’il avait trouvé sur l’entreprise et la cible du 34. Apparemment, Novo life dealait avec des laboratoires privés. Il leur fournissait du matériel médical. Sauf que ces derniers n’étaient pas répertoriés officiellement. Celui d’Arienis avait déjà été attaqué en justice plusieurs fois pour contrefaçons et concurrences déloyales. L’état avait reconnu que ce dernier menait des expériences à la limite de la Constitution. Mais notre Justice n’étant pas juste, le labo n’avait pas fermé. Ça ne m’étonnerait pas qu’ils soient derrière la Red room que nous avions découverte.
Que donnait notre cible du 34 ? Le téléphone appartenait à Charles Armand, un descendant d’une vieille famille d’aristocrates. Le dragueur friqué de l’autre fois. Il n’avait rien sur son casier mais il aurait fait plusieurs business pas très honnêtes dans l’Art et la Santé. En plus d’avoir des liens avec certaines sociétés extrémistes. Obe avait réussi à rentrer dans son téléphone par un faux mail. Je découvris d’autres photos issues de la Red room, des listes de noms, des morceaux de rapports d’expériences médicales. Ses déplacements confirmaient ses liens avec des organismes pas très catholiques. Il s’y était rendu plus de deux fois en une semaine. Ça ne m’étonnerait pas qu’il trempe dans le dark lui aussi.
Je ne pus m’empêcher de relier les gravures trouvées dans l’ancien bunker allemand aux activités extrascolaires de l’aristocrate. L’organisme auquel il était rattaché défendait des idéologies nazies s’inspirant d’un ancien Ordre allemand : La Société de Thulé, qui fut dissoute après la Seconde Guerre mondiale. À l’époque, les adhérents semblaient pratiquer des expériences interdites et ésotériques. Connaissaient-ils l’existence de ces civilisations ? En savaient-ils plus ? Comment pourrais-je les approcher ? Salut, moi c’est Perlie ! Dites, vous rêvez aussi de villes en cercle gravées dans vos anciens bunkers ? Pas évident.
Comme à l’accoutumée, Obe m’apporta un semblant de solution.
[P] - C’est quoi la mission ?
[Oberas] - Le sniffing aura lieu dans un autre endroit que l’entreprise Novo Life.
[P] - Mais encore ?
[Oberas] - Le client a dû arriver aux mêmes conclusions sur Armand. Il souhaite voler les datas du laboratoire Arienis avec lequel il bosse. J’imagine que tu as lu ce que j’avais trouvé sur eux.
J’avais encore tous les articles de presse et leurs sites internet ouverts sur mon deuxième écran.
[P] - Je vois. Donc, la piste de la Red room y serait peut-être liée.
[Oberas] - C’est possible. Le client a déjà payé la moitié. Est-ce que c’est ok de ton côté ?
Je me sentis mal à l’aise soudainement.
[P] - Attends, ça sent le roussi ton histoire. C’est une mission payée plus cher et en plus le client a déjà versé un acompte. Tu ne m’enverrais pas sur un terrain miné par hasard ?
[Oberas] - Il faudra entrer dans un bar privé juxtaposant le laboratoire. Après, je prendrais la suite. Non, ce n’est pas plus compliqué que la dernière fois. À l’exception faite, que ce bar est un no man’s land à Paris. Il peut y avoir des gens dangereux ou des gens riches voire les deux.
Plus dangereux dans ce cas que la dernière fois ?
[P] - Obe. Tu te relis parfois ? Tu veux m’envoyer, toute seule, dans un endroit qui a des liens avec les nazis et des mafieux. C’est une blague ? Je veux bien bosser pour toi, mais il y a des limites. Je suis IT moi, pas espionne. Demande à tes autres subalternes. Même si je loupe la seule chance de me dorer les miches à Hawaï, c’est mort.
Pendant plusieurs minutes, je vis les points de suspension s’afficher et disparaître.
[Oberas] - Si je restais connecté avec toi par une oreillette pendant la mission, tu accepterais ?
Mon Dieu. L’ascenseur émotionnel me prit de plein fouet. Hier encore, il était hors de question que je puisse l’entendre de nouveau de toute ma vie. Que s’était-il passé entre deux ? Cette fois-ci, je tournais sept fois ma langue dans ma tête avant de taper quoique ce soit. Dans un certain sens, Oberas était un pilier, un repère d’informations et de protection. Tout irait bien si je l’avais dans mes oreilles pour veiller sur moi.
[P] - Que dois-je faire exactement ?
Pendant une bonne heure, Obe me présenta les plans de l’endroit. Nous avons prévu de faire ça en semaine, moins fréquenté le soir. J’allais entreprendre une sorte de mission militarisée même si je maintenais que je n’avais pas l’habilitation requise pour cela. Mais je ne m’étais pas pris un coup de couteau pour rien. J’étais convaincue que je trouverais quelque chose là-bas. Un indice, une nouvelle gravure, un lien. Ne jamais reculer.
[Oberas] - Ils ont ultra-sécurisé l’endroit et ont fait d’énormes recherches sur leurs employés. Du coup, c’est plus facile d’aller dans le bar d’à-côté pour que je puisse accéder à leur serveur. Comme tu vois, leur salle informatique est collée aux murs du bar.
[P] - Ok, donc je rentre, je vais chier une heure et je ressors ?
[Oberas] - C’est à peu près ça.
[P] - Bon. Mais tu seras connecté tout le temps avec moi ?
[Oberas] - Oui. Je t’envoie un colis avec le nécessaire. On se capte dans la semaine pour tout mettre en place. Bonne soirée.
La sonnerie retentit chez moi une heure après. Je signais la réception d’un carton contenant une boîte d’oreillettes, un téléphone reconditionné et des faux papiers d’identité.
La raclure ! Il savait déjà depuis le début que j’allais accepter la mission !
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