Départ
À vingt-trois ans, après dix-sept années sous le joug de ses bourreaux, elle quittait sa Picardie natale, en juillet 1990. Son père lui avait intimé l’ordre de partir de chez lui à la fin de ses études. Son départ de la maison approchant, elle avait décidé de partir plutôt. Sa cousine lui avait trouvé un travail comme vacataire pendant les mois de juillet et août dans son entreprise. C'était l'occasion : partir et construire sa vie, même si abandonner ses petits frères était une torture. Malheureusement, Cyril et Sylvain, les deux derniers, n'étaient pas là pour lui dire au revoir. Ce départ leur fut un abandon. Un de plus. Après leur mère, c'était leur mère de substitution qui partait.
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Le 3 juillet 1990, ce fut avec des sacs poubelles sous le bras qu'elle est partie de la maison familiale, soutenue encore par sa cousine qui était venue la chercher et un de ses frères, Fabrice.
Elle s’installa à La Défense, chez sa cousine.
Elle aimait vivre chez elle, avec ses petits cousins. Elle avait retrouvé une famille. Elle avait besoin d’une mère et sa cousine jouait ce rôle. Être serrée dans des bras aimants, soutenue, encouragée, c’était parfait.
Ayant appris qu’elle habitait chez leur cousine, Lucien est venu la voir et lui a dit que ce n’était pas une bonne idée qu’elle habite chez elle. Il avait emménagé chez son compagnon et son ancien appartement était libre. Elle n’a pas eu d’autres choix que de quitter le nid douillet de sa cousine pour se retrouver dans un studio dans le vingtième arrondissement, sans connaître personne. Son contrat de travail saisonnier venant de se finir, elle devait en trouver un autre, avec la peur, l’angoisse d’avoir à payer un loyer exorbitant, sans salaire. Heureusement, elle ne s’est pas laissé abattre. Deux jours de recherche en intérim et trois jours plus tard, elle avait trouvé un travail à Rueil-Malmaison. Le métro, le RER tous les jours !
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Elle était heureuse d’avoir rencontré ce jeune homme dans le métro. Elle était un peu naïve et pensait que tout le monde était gentil. Ils discutèrent durant tout le trajet du retour de son travail. Il n’habitait pas loin de chez elle. Le vendredi soir, elle se préparait, car il lui avait proposé une soirée sympa, pizza et film. Elle se réjouissait de ce moment. Arrivant chez lui, une petite angoisse s’installa, mais elle la rejeta. Pourquoi y aurait-il un problème, il était gentil ! Ils discutèrent, rirent ensemble, puis ils s’installèrent sur le canapé pour manger les pizzas et regarder le film. Après le repas, il commença à glisser sa main sur sa cuisse. Elle le regarda, étonnée, et lui rappela qu’ils devaient passer cette soirée en amis. Il lui expliqua qu’elle lui plaisait, et qu’elle n’avait quand même pas cru qu’ils ne coucheraient pas ensemble. Là, ce fut comme si elle n’avait plus été dans son corps. Elle était à la fois paralysée de peur et incapable de se rebeller. Elle l’a laissé faire comme dans un brouillard. Il l’emmena dans sa chambre, la déshabilla, l’allongea sur le lit. Elle a attendu qu’il termine ce viol, même si une partie d’elle se culpabilisait d’avoir été aussi sotte. Elle eut l’impression de sortir de sa léthargie au bout d’un moment. Sans faire de bruit, elle attendit qu’il se soit endormi pour récupérer ses affaires, s’habiller et sortir. En fermant la porte de l’appartement, de peur qu’il arrive, elle prit les escaliers, sortit de l’immeuble, traversa la route, et courut jusque chez elle pieds nus.
À croire qu’elle cherchait réellement les problèmes ! D’ailleurs, ce fut ce que Lucien lui dit quand elle lui raconta : « Tu es sotte et stupide ! J’espère que cela te servira de leçon ! ».
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Après un week-end chez son père, en rentrant, elle eut l’impression qu’elle avait été cambriolée. Il n’y avait plus de télé, plus de magnétoscope, de chaîne hi-fi, plus de CD audio, de cassette vidéo. La table et les quatre chaises avaient été remplacées par une demi-table et une seule chaise. Un mot expliquait qu’il était temps qu’elle se débrouille par elle-même. Elle se sentit en colère et blessée. Elle ne pensait pas qu’il pourrait agir ainsi. Certes, les meubles étaient à lui, mais il aurait pu agir autrement, et surtout lui en parler avant d’agir. Comment se débrouiller seule quand le loyer mangeait la moitié du salaire ? Elle ne supportait plus Paris, elle voulait se rapprocher de son travail. Elle déménagea à Cergy. Surtout, elle ne voulait plus rien qui se rapporte à son frère. Celui-ci fut étonné au début, puis il lui dit : « Fais ce que tu veux, mais ne viens pas te plaindre ! ».
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Elle va pour Noël 1991 chez son frère aîné, Étienne, invitée par sa belle-sœur. Elle comprit vite que son frère n'était pas vraiment d'accord. Elle ne trouva pas sa place et, le 24 au soir, elle fut hospitalisée pour une baisse de tension sévère. Elle était glacée, les lèvres violettes, alors que l'ambulancier transpirait dans l'ambulance. Elle se sentait seule, abandonnée. Son père vint la voir, sans lui apporter le soutien qu'elle attendait. Il la déclara malade mentale, comme l'était sa mère. Elle n'était pas sa mère. Elle avait envie de hurler, mais elle se tut, comme d'habitude.
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