LETTRES à : Annie, ma sœur, ma jumelle,

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Comment exprimer un ressenti si fort ? Le sentiment qu'un danger est là. Toutes les deux ensemble, puis que quelque chose de terrible se passe. Le sentiment d'être séparées en deux, alors qu'en fait notre moitié n'est plus près de nous… de moi… J'essaie de la retenir, mais je n'y arrive pas. Je hurle de rester là impuissante, j'essaie de bouger pour la rattraper. Je veux partir avec toi, s'il te plaît, ne me laisse pas là toute seule… Pas pour vivre cette vie de m... Pas pour subir tout ça… J'ai toujours pensé que tu t'étais sacrifiée pour me laisser en vie, mais je ne sais plus… Tu me manques tellement. Je devrais t'en vouloir de m'avoir abandonné. Je déteste l'abandon, mais je sais que parfois tu es là, en moi. Je suis poisson, signe double… mais pour mon bien, je dois te laisser ma douce… ma Nannie, je dois vivre ma vie, et toi, tu dois te reposer enfin. J'ai si mal, ma Nannie, repose en paix, ma sœur… Je t’aime.

Je suis en famille, et pourtant je me sens seule, car tu n'es plus là. C'est un moment dur à passer, mais c'est nécessaire. Je serais tentée de retourner en arrière, mais ce ne serait pas la solution. Très certainement, tu m'as aidée inconsciemment à survivre aux abus, aux viols, aux mensonges, aux rejets, aux abandons. Mais aujourd'hui, la vie est différente et il est temps de me laisser vivre ma vie. Je te dépose sur la barque près de la rivière des adieux, et je la pousse en te regardant partir. Ce sont des larmes de joie, ma Nannie, ne t'inquiète pas, je suis fière de ce que nous faisons. Va, ma belle… Va !!!

La barque s'éloigne, tu deviens de plus en plus petite… Je prends une grande inspiration, j’essuie mes larmes et je me tourne vers mon présent et mon avenir sans toi.

Je souris, malgré tout, car c'est un grand pas que je viens de faire…

Je peux être moi-même, très certainement encore adolescente pendant quelque temps, pour devenir la femme entière, la mère attentionnée et l'épouse dévouée.

Que ça fait du bien d'écrire tout ça !! J'ai mon ventre moins dur et je sens mes épaules se relâcher. Je n'ai compris ton existence qu’après avoir entrepris une psychothérapie. Avant, j'avais toujours le sentiment d'être face à un miroir, comme si je voyais un double de moi. J'aimais écrire de la main gauche, alors que je suis droitière. Quand je vois quelqu'un qui est gaucher, j'ai toujours l'impression qu'il dit bonjour de la mauvaise main, comme s'il était à l’envers. C'est drôle en fait. Quand j'ai découvert ton existence et ressenti ta mort et ton absence, j'ai compris pourquoi j'aimais faire les choses soit de la main droite, soit de la main gauche. C'était comme une nécessité ! Le fait était que tu étais un secret, un non-dit, alors que tu hurlais en moi, que tu existais en moi. Je ne sais même pas si nos parents étaient au courant de ton existence. À l'époque, une perte de sang n'était pas reconnue comme la perte d'un jumeau surtout au début d'une grossesse. Mais moi, je sais que tu étais là, mon corps, ma mémoire profonde le sait. J'ai appris au fil des années que ma mère ne voulait pas de fille. Son passé d'enfant agressée par son père et son frère faisait qu'elle refusait d'engendrer une fille susceptible de vivre le même enfer. Mon père ne lui a pas laissé le choix : une fille ou il partait. C'était encore pour elle vivre l'enfer. Ma grand-mère a rappelé à ma mère qu'elle était là uniquement pour que son père ne parte pas à la guerre. Et elle, pour que son mari ne la quitte pas. Quelle horreur ! Le psy nous a expliqué que la femme a la capacité de décider du sexe de l'enfant. Mais son corps pouvait-il accepter deux filles ? Je ne pense pas. L'une de nous deux était condamnée dès le début. J'en suis sûr et encore plus convaincue en l'écrivant ce soir.

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