Partie 1/3
Le pigeon voyageur tournoya trois fois dans la prairie juste avant de se poser aux côtés d’un chasseur et de son compagnon à la casquette rouge. Lorsque le courrier fut retiré, et l’enveloppe ouverte, tous les deux en lurent le contenu épaule contre épaule. Les traits du visage de l’homme à la casquette rouge esquissèrent une expression ahurie.
– Pas banal.
Le chasseur, qui était resté silencieux, s’assit avec lenteur sur une colline et posa son fusil cassé(1). Fouillant dans sa poche gauche puis droite, il dénicha une pipe, du tabac et une allumette. Son compagnon à la casquette rouge se gratta le cou avec la lettre. Le front tiré par des rides, il laissa son pied retourner la terre.
– Enfer, je croyais… je pensais… le jour des fous, des fous ces dirigeants…
Il déambula pendant un certain temps, une, deux, une quinzaine de minutes. À chaque pas on entendait le sol qui s’arrachait. De son côté, le chasseur avait fini d’allumer sa pipe, il était allongé et contemplait la fumée qui se dégageait vers le ciel encore nuageux.
– Dire qu’ils seront au courant derrière, dès ce soir le village aura le message, pigeon ou pas pigeon, alors… est-ce que je le laisse repartir ?
Il ne répondit rien.
Posé dans l’herbe à tirer sur sa pipe et à laisser filer les nuages, incapable d’hausser les épaules, perdu dans une contemplation de mort, le mouvement de la fumée qui s’échappait trahissait encore l’existence d’une vie, son regard aussi. Palpable… Le contenu du message inondait son esprit de mondes peuplés d’images et de terribles odeurs. Aucune injonction de son ami ne parviendrait à ses oreilles.
– Bon...
Il ne lui en voulait pas. Ils se comprenaient l’un l’autre. N’avaient-ils pas vécu au moins sept grandes aventures ensemble ? Ne serait-il pas bientôt quarantenaire comme son compagnon ? Résistant à l’envie de le chahuter avec quelques pierres ramassées du bout de ses bottes, l’homme à la casquette rouge replia sans difficultés mais avec fébrilité le message et laissa l’oiseau reprendre son trajet armé de sa missive.
*
(1) « cassé » signifie que l’arme est ouverte pour éviter qu’un coup parte et blesse quelqu’un.
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