Chapitre 3 : Mission à Sartov
Katrina
8 avril 5775
Ce jubilé fut un véritable succès ! Il remplit toutes ses promesses et plus encore. Pourtant, plus que les mets ou la musique ce sont bien les invités présents qui donnèrent aux festivités tout leur charme. Vlad ne cessa pas d’agiter Tranche-Vie en racontant ses histoires de guerre. Il en profitait pour se moquer affectueusement de mon père qui n’avait à sa ceinture que sa dague Vérité.
« Elle est certes plus petites mais je n’échangerais ma lame contre aucune autre. La tienne tue, la mienne fait souffrir et nul ne peut me mentir bien longtemps avec. Je n’aime guère m’en servir mais force est de reconnaître qu’elle nous fut fort utile lors de la révolte du duc de Kulmar. »
La finesse des gravures, son aura violette et ses légères ondulations en faisait presque plus une œuvre d’art qu’une arme. Cet héritage d’Ishka correspondait autant à mon père que celui d’Aartov à oncle Vlad. Konstantin était le seul à ne pas avoir reçu d’arme magique, hélas nul ne sait comment recréer pareils enchantements. Il compense avec ses trésors d’outremer et avec son « Léviathan », le plus majestueux navire que le monde n’ait jamais connu.
Il est vrai que lorsque notre race était désunie la mer ne revêtait qu’un intérêt limité à cause des innombrables conflits sur terre. L’unification permis ainsi le développement rapide des technologies navales mais bien peu de vampire étaient attirés par la perspective de naviguer au risque de chavirer. Le désert semblait renfermer bien plus de promesses et bien moins de risques. Hélas les espoirs de ceux qui s’y aventurèrent ne furent jamais récompensés. On n’y trouva que du sable et quelques rares oasis. Ces dunes et ces étendues vides de vie s’étendaient sans discontinuer sur des centaines de lieues après les montagnes de la fin du monde et nul n’en vit jamais la fin. Aujourd’hui encore rien ne laisse supposer qu’il puisse y avoir quoi que ce soit d’autre à l’ouest.
L’exploration du monde qui semblait si prometteuse en était réduite au point mort jusqu’à ce que, il y a trois-cents ans, Konstantin décida de conduire en personne les expéditions maritimes. Inspirés par leur prince nombre de seigneurs le suivirent. Un grand nombre ne revint jamais et seuls quelques-uns trouvèrent des îles et en devinrent les seigneurs. Là encore les espoirs furent déçus car aucune terre n’avait la taille d’un continent et le prix consenti pour tous ces voyages ne fut que très partiellement remboursé par les bizarreries que Konstantin et ses marins ramenaient. Tantôt c’était une sorte de gros chat orange à rayure, une autre fois un immense serpent de plus de cinquante pieds de long. Lors du dernier jubilé Il avait même rapporté une sorte de gros lézard aux dents acérées et avec des ailes, trop petites toutefois pour qu’il puisse voler. La créature ne survit hélas pas deux jours à son arrivée dans la capitale.
Aussi, lorsque ses frères le taquinaient au sujet de la conventionnalité de ses armes, Konstantin, tout fier de son dernier navire qu’il fit construire à Port-Stanislas selon ses propres plans, rétorquait que ce dernier était son artefact enchanté puisqu’il lui permet de voir des choses que nul ne pourrait ne serait-ce qu’imaginer et d’en ramener une petite partie sur le continent. Malgré tout cela, les trop nombreux seigneurs partant en mer sans revenir dissuadent l’immense majorité des autres de se joindre à eux et seuls quelques désespérés en quête de terres et de titres se lancent dans l’aventure.
En tout cas les histoires de marin d’oncle Konstantin sont si extravagantes qu’il est parfois difficile de savoir s’il affabule ou si le monde est réellement tel qu’il le décrit. Ce qui est certains c’est qu’elles sont aussi palpitantes que celles de Vlad et je ne m’en lasse jamais… Ni les dames de la cour d’ailleurs et nombre de seigneurs auraient volontiers occis ou défié en duel Konstantin pour cela s’il ne s’était pas agi d’un prince.
Au moins, faisant partie de sa famille, mon futur mari ne devrait pas avoir cette crainte et il sera l’un des seuls seigneurs à laisser son épouse parler avec ce coureur de jupon sans inquiétude. A ce propos, ce jubilé ne fut pas pour moi que l’occasion de revoir mes oncles et ma tante mais également de me fiancer… Je passai presque tous mes moments de libre avec le seigneur Pavel chez qui le physique le disputait au rang, à la grâce et à l’éloquence.
Ses cheveux châtains, son visage fin avec ses pommettes marquées, sa blancheur presque sans nuance, ses yeux gris et son nez aquilin eurent suffi à séduire n’importe quelle dame. Pourtant il ne s’en contenta pas et fit bien des efforts pour me plaire. « Je me dois d’être digne de m futur épouse et plus cette dernière sera de haute naissance, belle et intelligente, plus je me devrai d’exceller dans tous les domaines possibles afin que jamais elle n’ait à rougir de moi. »
Si la danse faisait indubitablement parti de ses talents, il se mit à écrire moult poèmes lorsque je lui révélai apprécier cela. Si les premiers étaient médiocres il fit de son mieux pour s’améliorer jusqu’à ce que, le jour de son départ, il me déclama ces vers que jamais je n’oublierai :
« Katrina vous êtes aux vampires d’ici-bas
Ce que la Lune est aux astres du ciel nocturne
Pour vous je pourrai mettre mon cœur dans une urne
Car sans vous il est condamné au célibat
Avec vous je comprends ce que ressentait Vlad
Accompagné d’Isabella au cours des âges
Sans qu’il ne subisse des siècles le passage
Et puisse l’ennui succomber devant nos ballades
Je n’ai pas votre rang, je n’ai pas votre grâce
Je crains qu’en ce monde nul ne soit digne de vous
Pourtant il m’arrive de rêver, je l’avoue
De vivre à vos côtés à jamais sans disgrâce
Aussi me permets-je ici une ultime audace
Celle qui créerait en moi un divin bonheur
Et, je l’espère, vous comblera aussi le cœur :
Voudriez-vous qu’avec-vous je me fiançasse ? »
Je ne pourrai jamais être objective avec ce qu’il me récita là. Je ne pus que répondre « oui » et je dus me contenir pour ne pas exploser de joie. Nous nous embrassâmes ainsi la dernière nuit du jubilé puis il m’offrit un pendentif contenant une goutte de son sang, symbole de son engagement.
Il partit ensuite avec tous les convives et il ne m’avait pas quitté depuis deux heures que déjà je lui écrivais une lettre. Puisse-t-il faire bon voyage et vite me revenir. Pour l’instant ma famille et moi restons ici afin de passer encore davantage de temps ensemble. Seul Konstantin s’en alla prématurément. Les mers s’agitant avec la venue du printemps et de l’été il préférait partir avant que l’océan ne devienne trop dangereux. Depuis la présence de mes proches m’aide à compenser l’absence de mon fiancé. Mon père ne trouva d’ailleurs rien à redire à son sujet. Il lui avait fait bonne impression durant les festivités et il lui avait donné sa bénédiction ajoutant que nous avions tout deux fait très bon choix.
Je bénie cette époque de paix dans laquelle les princesses peuvent se marier sans se soucier des alliances. Puiss-t-elle durer à jamais.
Hugues
J’aurai bien profité de mon séjour à la capitale, bien qu’il fût plus court que je ne l’aurai espéré. En même temps, entre mon retour de mission s’étant passé le mieux du monde, la présence de Geneviève et ma paye plus que généreuse il fallait bien que ma bonne fortune s’arrête à un moment.
Mon efficacité m’aura finalement perdu puisque Charles m’a assuré que :
« Notre dame a été très impressionnée par ton habilité. Lorsque je lui ai dit que tu avais tué deux vampires elle n’en cru pas ses oreilles. Elle se souvint toutefois vite de cet étrange double meurtre qu’il y avait eu à Gasmar et elle ne put que se rendre à l’évidence. Elle fut encore plus agréablement surprise lorsqu’elle découvrit la teneur de l’information que tu avais dégoté. En tout cas je peux t’assurer que tu n’échapperas plus aux missions les plus importantes désormais, toutes mes félicitations ! Il semble à ce propos que quelque chose se prépare et elle a besoin de toi à Sartov. Tu partiras avec une cage à pigeons demain ! Voici quelques pièces ainsi qu’un papier où est inscrit ta nouvelle adresse. Fais en sorte d’y passer le plus souvent possible, comme d’habitude un émissaire viendra te chercher pour te donner les détails de la suite des opérations. Pour l’instant tâche de garder l’oreille ouverte à toute sorte de rumeur, tu en sauras plus une fois là-bas. »
Mission classique tout compte fait. Il arrive souvent que notre maîtresse nous envoie quelque part sans ordre précis à l’avance. Il s’agit de devancer les évènements. Elle s’arrange ensuite pour que nous soient transmises ses consignes au fur et à mesure que la situation évolue. En tout cas, si j’en crois Charles, Il risque d’y avoir du grabuge à Sartov.
Je ne serai resté que deux semaines à Stanislasmar et déjà il fallait que je me sépare de mon amour et mes amis. Du moins c’est ce que je croyais car alors que je m’apprêtais à tourner les talons pour fêter mon départ avec mes amis Charles toussota :
« D’ailleurs, en geste de remerciement pour tes récents exploits, notre Dame consent à t’offrir un présent en plus de ta rémunération. »
Je n’hésitai que quelques instants avant de répondre :
« - Fort bien, dans ce cas j’aimerai que Bernard et Geneviève partent avec moi en mission.
- Impossible, nous n’avons pas tant d’effectifs que cela et il semble que les temps prochains ne seront pas à l’inaction.
- Juste Geneviève dans ce cas, nul doute que nous serons plus efficaces à deux pour glaner des informations et répondre aux exigences de notre maîtresse. D’autant plus que Sartov risque de ne pas être de la moindre importance si c’est moi qu’elle a choisi pour m’y rendre. »
Il émit un petit rire avant d’accéder à ma requête. Faire une grosse demande pour en faire accepter une plus petite ensuite, voilà une technique redoutablement efficace ! D’autant plus que c’était Charles lui-même qui me l’avait enseignée lorsque j’étais plus jeune. C’est sans doute cela qui le fit sourire.
« Je t’accorde ce privilège mais n’en prend pas prétexte pour te relâcher. J’attendrai deux fois plus de résultats étant donné les circonstances ! Accomplit ta mission avec ton zèle habituel… et amuse-toi bien ! »
Je saluai mon supérieur et m’en allai annoncer la bonne nouvelle à Geneviève. Si le cadre sera indubitablement moins confortable qu’ici, au moins y séjournerons-nous ensemble. Finalement ma chance ne m’a pas peut-être pas quitté tout compte fait et puis… les maisons que nous occupons ne sont généralement pas les plus misérables de toutes.
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