Chapitre 4 : La Konstantrie

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Géralde

Denis est parti… Cela fait maintenant sept mois qu’il nous a abandonnés… Pense-t-il réellement que les nôtre seront libérés grâce à une expédition dans le désert ? On me répète depuis tout petit qu’il travail dure à la réconciliation des races il n’empêche que je n’ai pas vu beaucoup de changements depuis ma naissance ! Mon père non plus d’ailleurs et son père avant lui de même. Hier encore un rescapé d’une quelconque purge nous a rejoint. Les crimes des vampires perdurent tandis qu’on nous abreuve de beaux discours et nous confine à l’inaction !

Ceux d’ici semblent oublier que s’ils ont tout leur temps ce n’est pas notre cas ! Combien de générations d’hommes devront encore souffrir avant qu’on se décide enfin à bouger ! On nous a raconté les malheurs de nos aïeux, les trahisons répétées des vampires et pourtant, en dehors de cela, on reste ici à ruminer notre haine et à organiser des expéditions à l’opposé de là où les problèmes se trouvent.

On a beau nous parler d’égalité, ici comme ailleurs ce sont les vampires qui règnent. Ils vivent plus longtemps et connaissent Denis depuis presque ses premiers pas. Aucun humain ne peut en dire autant. Leur longévité leur arroge, par affinité avec notre seigneur, le droit de nous commander et quand bien même ils y mettent plus de forme qu’ailleurs leur domination n’en est pas moins réelle. Même Denis est plus vampire qu’humain avec ses crocs, sa force et sa longue vie. Seule sa résistance au soleil le rattache à nous mais trop peu à mon goût... trop peu au goût de beaucoup !

Nous savons qui sont nos ennemis et tandis que notre seigneur parcourt des terres inconnues dont on ne sait pas s’il reviendra, ici les cœurs s’échauffent ! Hier certaines des personnes qui partagent mon point de vue et moi-même nous sommes invités au conseil dirigé par Edvard. Nous avons fait part de nos doléances :

« Edvard, cela fait trop longtemps que nous croupissons dans notre barronnie, certes notre sort est enviable par rapport à ceux de beaucoup d’autres mais cela fait des décennies que nous n’avons rien tenté ! On ne sait même pas si Denis reviendra ! Nous connaissons l’histoire de Renaud et nous savons qu’il ne lui a pas fallu plus qu’une petite baronnie pour presque parvenir à renverser la tyrannie des vampires. Nous connaissons l’histoire de l’armée de la rédemption et comment une troupe réduite mais entrainée peut accomplir des miracles… Et nous connaissons aussi la compagnie des semblables ainsi que le destin qui fut le sien pour avoir attendu trop longtemps une occasion qui jamais n’apparut et comment ils furent finalement trahis sans n’avoir jamais rien tenté. De toutes ces histoires en aucun cas nous voulons que celle-ci ne se reproduise ! A chaque fois que l’humanité s’est dressée contre les vampires nous les avons presque vaincus alors même que tout jouait en notre défaveur ! Fort de l’expérience de nos anciens nous devons de reprendre le flambeau ! Ne serait-ce que par égard pour eux ! »

Le conseil ne fut de toute évidence pas emballé. Edvard, visiblement contrarié par notre irruption se leva et répliqua sèchement :

« Vous n’êtes que des inconscients ! Nous ne sommes que six-cents ici et seulement neuf vampires. Même avec Denis en plus nous ne pourrons jamais rivaliser avec ne serait-ce que les comtés qui nous entourent. Attendre l’occasion est frustrant mais nous n’avons pas d’autres solutions ! Alors désormais je vous prie de sortir, vous n’avez rien à faire ici ! »

Encore un vampire donnant des ordres à des hommes ! Je voyais qu’autour de la table les autres humains présents n’osaient pas réagir mais qu’ils partageaient, au moins partiellement, mon point de vue. Nous partîmes donc le cœur plein d’amertume mais pas résignés pour autant. Pour l’instant nous avons convenu d’organiser des séances d’entrainement supplémentaires et d’essayer de rallier autant d’hommes que possible à notre cause. Nous tâcherons également de réfléchir à un moyen de provoquer cette occasion que les vampires semblent attendre sans vraiment y croire eux-mêmes et ainsi les mettre face à leurs contradictions ! Ils devront dès lors marcher à nos côtés ou bien assumer qu’ils ne diffèrent pas réellement de leurs congénères et qu’ils se satisfont amplement de la situation actuelle.

Natasha

Konstantin, mon prince, mon roi, mon amour… Il ne devrait plus tarder à rentrer désormais. Tous les jours je pars en mer pour être la première à apercevoir les blanches voiles de son navire. J’ai si hâte que la Sirène puisse de nouveau naviguer aux côtés du Léviathan.

Il n’est parti que depuis six mois et pourtant je me languis de lui comme s’il m’avait quitté depuis quatre siècles. Si seulement il ne me délaissait que lors de quelques réunions officielles mais il est bien trop libre pour cela. J’ai beau essayer de le retenir à chaque fois qu’il part en quête de conquêtes il demeure sourd à mes suppliques… et pourtant, contrairement à toutes les autres, il me revient toujours, tôt ou tard. J’ai beau m’en plaindre quelque peu, c’est pourtant ce côté aventureux, presque rebelle, qui m’a attiré chez lui.

Cela se reflète de ce côté des océans où la société qu’il a créée n’a rien en commun avec celle du continent. Je me souviens des cours austères, des étiquettes étouffantes et de l’immobilisme qui y régnait. Ici tout est possible. Tout vampire peut gravir les échelons quel que soit son sexe ou sa naissance, il y a tant de terres qu’il suffit de poser le pied quelque part pour aussitôt devenir baron si ce n’est comte ou duc et nul culte intrusif ne vient s’immiscer dans nos vies. Notre seul dieu est l’océan car, comme aime à le rappeler Konstantin, « quiconque a connu la mer ne peut que la craindre et donc l’adorer ».

Plus que toutes ses différences, c’est le secret dans lequel notre société s’organise qui nous sépare réellement de l’Empire. Nombre de seigneurs ont fui le continent en quête de richesse, de liberté ou d’aventure mais quelle ne fut par leur surprise d’en découvrir un nouveau par-delà les mers ! Après avoir passé les quelques îles connues de tous voilà qu’ils se retrouvent nez à nez avec une terre gondolée d’où sortent des arbres de plus de cent pieds de haut aux feuilles orangées, longues et effilées et aux fruits violets. Konstantin les a tous guidés jusqu’ici en personne, lui qui connait les courants mieux que quiconque, sait déchiffrer la carte que forment les étoiles et anticiper les saisons propres aux océans. Même moi, après avoir passé presque un siècle ici, je suis toujours impressionnée par son habileté à naviguer sur les flots.

Ainsi, tel un apôtre, il dévoilait la vérité du nouveau royaume qu’il construisait en secret à l’autre bout du monde aux vampires à qui la morne vie du continent ne convenait plus. Certains, ulcéré par cette dissimulation, s’empressèrent de retourner vers l’Empereur afin de lui dévoiler « l’odieuse tromperie de son propre fils ». Ils ont bien vite découvert que le plus grand danger sur ces eaux troubles n’est ni les vagues, ni les orages, ni même les sombres créatures tapies dans les abysses mais bien le Léviathan et son capitaine. Aucun de ceux qui s’étaient jurés de révéler l’existence de notre patrie nouvelle n’arriva jamais à bon port et je me chargeai moi-même de couler certains de ses chevaliers incapables de réaliser la chance qui leur était offerte. Les ignorants de l’Empire mirent aisément ces disparitions sur le compte des intempéries et des naufrages. Aucun prix n’est trop élevé pour préserver le secret, garant de notre indépendance et de notre liberté et nous tuerons tous ceux qui voudront nous les arracher !

Les autres seigneurs furent accueillis à bras ouvert par notre bon roi qui les chargea de mettre en valeur ses terres. Contrairement au continent nous ne manquons pas d’espace mais de bras, tant humains que vampires. Pourtant, jour après jour, mois après mois et année après année je vois ce royaume s’ériger. Chacun travail dure pour en faire un pays riche et prospère. Petit à petit des châteaux s’élèvent, aussi différents que possible de ceux du continent, des champs sont labourés, des ports sont construits et les cartes se précisent. Un jour nous dévoilerons notre existence au monde et ce dernier ne pourra que s’incliner devant la Konstantrie et son maître !

Pour l’instant le principal frein à notre développement est le manque d’homme. Cela nous oblige à les préserver et même à former un grand nombre d’entre eux afin qu’ils participent activement à la création de ce nouveau monde et qu’ils servent sur les navires, tâche autrement plus ardue que de se faire bêtement dévorer. Selon notre dernier recensement nous n’avons que quatre-mille vampires et quarante mille humains, qui semblent d’ailleurs avoir bien du mal à survivre sur ce continent. Ils meurent pour un rien et nous, vampires, en sommes réduits à œuvrer à la préservation de notre main d’œuvre de peur d’en manquer. Il semble que cette existence nouvelle soit une chance même pour les hommes et ces derniers vivent ici bien mieux que sur le continent, du moins pour ceux qui réchappent aux maladies. Ainsi même la relation entre nos deux races s’en retrouve différente par rapport à là d’où nous venons. Enfin, ce n’est que le temps que cette vermine s’habitue au climat. Lorsque leur nombre croitra comme sur le continent nous les traiterons comme il se doit !

D’ici là nous nous en remettons à notre roi pour préserver notre existence des yeux du monde et pour parachever la construction de notre illustre nation. Sous peu il reviendra et nous pourrons continuer à vivre libres et heureux dans ce paradis neuf aux arbres immenses, à la terre fertile et aux reliefs omniprésents. Sous peu je pourrai retrouver la chaleur de ses bras, la douceur de sa barbe et la fermeté de son corps.

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