Chapitre 5 : L'ennui
Katrina
28 avril 5775
Le temps s’écoulait et les jours passaient sans que la tranquillité du palais ne soit troublée. Toute la famille se retrouvait dans un bonheur et une insouciance qui ne sied généralement pas aux grands de ce monde. Nous vivions comme coupés des affaires de l’Empire et seul mon grand-père travaillait de temps en temps lorsque certaines questions exigeaient son arbitrage.
Il avouait à ces occasions qu’il était presque triste d’être devenu l’unique souverain de toute terre car rien ne lui déplaisait plus que les affaires courantes et rien ne lui manquait davantage que ses jeunes années qu’il avait passées à guerroyer pour conquérir et soumettre les anciens royaumes. Les pièces et chants en l’honneur de sa gloire et de ses conquêtes n’étaient pas là pour l’aider à s’extirper de ses premières années de règnes dans lesquelles ses souvenirs le replongeaient sans cesse. Il s’était même dit à l’époque des guerres des ducs qu’il avait lui-même provoqué certains soulèvements afin de goûter à nouveau à la saveur des combats et aux délices de la victoire.
En dehors de cela j’échangeais régulièrement des lettres avec mon promis. Il s’échinait à s’améliorer dans l’art de la poésie tandis que j’en apprenais à chaque échange davantage sur lui et lui sur moi. Si Stanislas se languissait des périodes de guerres ce n’était nullement mon cas et savoir que j’aurai bien peu de chances de voir mon époux mourir les armes à la main me rassurait d’autant plus que c’était une première dans l’histoire de notre race.
Ainsi sont les vampires aujourd’hui ; comme coincés entre la nostalgie des actes héroïques d’antan et l’oisiveté de notre époque. Les tournois demeurent les derniers reliquats de cette ère révolue durant laquelle la gloire se gagnait au fil de l’épée contrebalançant ainsi au moins en partie la naissance devenue aujourd’hui l’unique source de prestige et de noblesse. Certains assurent même que l’Histoire est finie et que la société est désormais figée à jamais. Voilà donc ce qui nous attend. Une ère de paix perpétuelle, immuable et dans laquelle les plus hautes aspirations qu’un noble sans titre puisse avoir seront de remporter quelques petites joutes afin d’engranger d’infimes miettes de la renommée à laquelle il aurait pu prétendre autrefois.
Les vampires meurent d’ennui de plus en plus tôt et tandis que mon grand-père s’enorgueilli d’avoir unifié notre race il semble de ce fait l’avoir placée sur la lente et pourtant si dangereuse pente de la décadence.
Heureusement tous ne voient pas les choses de cette façon et nombre de vampires se convertissent à l’art et profitent de leur longévité pour produire des mélodies à nulle autre pareille, des toiles à la beauté pouvant faire pâlir jusqu’à la nature elle-même et des poèmes émouvant jusqu’aux larmes les plus endurcis des guerriers.
Je préfère voir les choses sous cet angle-là. Il ne faut pas regretter la guerre, il faut apprendre à vivre sans. Si la richesse et la gloire ne sont peut-être plus aussi accessibles qu’auparavant il n’en faut pas pour autant oublier de cultiver ses talents. Pavel s’exerce à la poésie, mon père ne cesse de lire chaque texte lui tombant entre les mains et quant à moi je me suis trouvée une nouvelle passion pour la danse afin de pouvoir éblouir mon fiancé lors de notre prochaine rencontre.
Hugues
Mon aimée et moi avions finalement quitté les tristes murs de Stanislasmar pour rejoindre Sartov. Le trajet fut on ne peut plus calme. Nous accompagnions une caravane commerciale qui transportait quelques poteries à destination de la ville du sud. Mis à part une roue qui se cassa mais qui, heureusement, ne fut pas trop dure à réparer, nous n’eûmes aucun problème. C’est ainsi qu’après neuf jours de trajet, nous arrivâmes à destination.
La ville était plus petite que celle d’où nous venions mais ses murs de pierres bien entretenus étaient bien plus accueillants que ceux de la capitale. Vêtu en soldat j’achevai d’accompagner la charrette jusqu’à destination puis Geneviève et moi nous empressâmes de rejoindre notre nouvelle demeure. A chaque fois qu’un serviteur de la Dame se rendait dans une ville pour espionner il avait pour premier objectif de se faire recruter dans la milice. Il bénéficiait ainsi de l’indifférence des vampires, vivait mieux que le reste de la population et recevait une solde décente. C’est principalement ce premier point qui importait car finir dans le ventre d’un vampire par simple malchance était un destin très dommageable pour nous. Après deux décennies de formation ce serait un terrible gâchis de perdre un tel investissement à cause d’un mauvais coup du sort. Le statut de milicien n’annulait certes pas cette possibilité mais la réduisait grandement.
Nous emménageâmes donc dans une petite maison faites de briques rouges, au toit troué par endroit mais relativement vaste. Dès le lendemain je me présentai à la caserne la plus proche, équipé et paré pour les missions que je recevrai. Surpris au départ il ne me fallut qu’une passe d’arme avec leur sergent pour les convaincre de m’accepter. En règle générale les armes et le gambison suffisaient mais je m’étais laissé dire que certains gardes n’aimaient pas les nouveaux venus. Ces gens avaient toutefois tendance à ne respecter que la force et rouster leur commandant était parfois un supplément nécessaire pour se faire reconnaître soldat. Ici comme ailleurs la discipline était mauvaise et, plus que tout, les gardes comme d’ailleurs n’importe quel humain craignaient d’attirer sur eux l’attention de leurs maîtres. Mieux valait laisser entrer un inconnu qui avait toutes les aptitudes et le matériel pour le métier que rapporter cela en plus haut lieu et risquer de s’attirer des ennuis. D’autant plus qu’il n’y avait jamais vraiment eu de recrutement officiel pour devenir milicien.
C’était, la plupart du temps, un métier de famille mais il arrivait que certains, un peu plus forts et intelligents que la moyenne, comprennent l’intérêt d’embrasser cette carrière. Chaque caserne s’organisait comme elle l’entendait et, tant que les civils se tenaient tranquilles et qu’il n’y avait pas de vague, les vampires laissaient les soldats en paix. Il s’agissait d’une sorte d’arrangement tacite dans de nombreuses villes, surtout les plus grosses, et celle-ci ne faisait pas exception.
Je me fondis rapidement dans le groupe et patrouillait dans les quartiers ouest tantôt en compagnie de Bohémond, un alcoolique notoire qui était tout le temps de bonne humeur et étonnamment apprécié par la population, et tantôt avec Richard, un soldat ayant, comme moi, bataillé pour gagner sa place. Il tenait d’ailleurs à ce que je lui enseigne deux ou trois choses car il avait beaucoup plus sué que moi pour intégrer la milice et n’était parvenu qu’au bout de deux ans de durs efforts à faire ce que j’avais accompli en une matinée.
Ma principale peur était que le sergent ne cherche à m’évincer suite à sa dérouillée mais, après avoir un peu investigué, il semblait surtout vouloir enterrer cette histoire et ne plus jamais en entendre parler. Ainsi commençait pour moi une nouvelle vie de soldat, ma troisième depuis que j’ai commencé à accomplir des missions pour ma maîtresse. Pendant les patrouilles je tâchai donc de glaner quelques informations sans savoir moi-même ce que je recherchais. Pour l’instant tout semble normal et l’on se croirait ici comme dans n’importe quelle autre ville d’importance.
Mon seul rapport fut donc pour informer Charles de mon arrivée. Avec le nombre limité de pigeons que j’ai, mieux vaut les économiser et les garder pour les choses d’intérêt. Il ne me reste désormais plus qu’à attendre l’émissaire qui m’éclairera quant à la raison de ma présence ici et à profiter de ma compagne.
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