Chapitre 7 : Des hommes et des vampires

10 minutes de lecture

Adrian

8 mai de l’an 5775 après la guerre des sangs

Ce désert est bien nommé. A force de ne rien trouver nous avions élargi notre zone de recherche. Partout où nous allions la roche, la chaleur et le sable se côtoyaient avec d’infimes nuances en fonction des régions.

Nous suffoquions sous la canicule et l’ennui décuplait nos souffrances. Nous marchions à travers les vents porteurs de sables, nous gravissions des dunes semblables à des montagnes et inspections quelques amas de roche à la recherche d’on ne savait quoi. Le retour de Thibault et de Roksana ne changea pas grand-chose et le moral baissait jour après jour. Seul Denis demeurait inflexible, prêt à tout pour trouver ces cavernes dont parlait le texte d’Anatoli.

Nous continuions donc d’arpenter ces mornes étendues et la vivacité du regard à l’affût du moindre indice fit bientôt place à la vacuité la plus totale. Nous errions comme des âmes en peine, guidés tels des automates sans conscience par Denis. Heureusement qu’il ne désespéra pas. En effet, lors d’une énième expédition dans une zone que nous avions déjà arpentée un nombre de fois que je serai bien incapable d’estimer, Denis s’arrêta un instant, puis fit galoper sa monture. La rupture de la monotonie dans laquelle nous avions sombré fit plus pour nous réveiller que tous les discours d’encouragement de notre chef.

Sans savoir pourquoi nous nous ruâmes à sa suite. Nous fîmes tout notre possible pour qu’il ne nous sème pas, lui et sa monture, dernière survivante des cinq que nous chevauchions à l’heure du départ. Denis passa derrière une petite crevasse d’où sortait par endroit une roche ronde et rouge. Nous crûmes le perdre à cet instant mais c’est alors que des bruits de feu et d’acier nous parvinrent. Ardente avait été dégainée et Denis était en train de se battre. Nous accélérâmes notre allure et ne parvînmes à rattraper notre seigneur que pour le voir tenir en respect de son épée enflammée deux hommes à terre, visiblement soumis à leur adversaire.

Denis affichait une mine emplie de stupeur et ne sembla pas même remarquer notre arrivée. Lorsque je le quittais des yeux pour observer ses opposants vaincus je compris sa réaction. Il ne s’agissait en fait pas d’humains mais de créatures à la forme semblable à la nôtre mais à la peau basanée et craquelée de telle sorte qu’on les aurait dits faits de roches. Nul poil n’hérissait leur tête ou leur visage et leurs yeux gris pâle avait un côté dérangeant. Elles étaient vêtues de multiples couches de tissu dont la couleur variant entre le beige et l’ocre les fondait parfaitement dans le paysage. Enfin deux lances entièrement faites de pierres trainaient à leur côté. La stupeur qu’affichaient ces monstres et la durée presque ridicule de l’affrontement que j’avais entendu me firent toutefois rapidement réaliser qu’ils ne s’étaient pas rendus après avoir été défaits mais bien pour une autre raison que j’ignorais encore.

« Denis, est-ce que ça va ? Et que sont ces choses qui se battaient contre toi ? » demanda Guy me devançant de peu.

Denis se ressaisit et nous expliqua :

« Oui, tout va bien… Tandis que nous progressions il me sembla avoir vu quelque chose bouger de ce côté-ci. Sans doute pris de panique et pensant avoir été repérée, les silhouettes s’enfuirent ce qui me confirma la présence d’individus. Je les rattrapai au galop. Ne pouvant plus m’échapper ils se résignèrent à m’affronter, lance à la main. Je dégainai alors Ardente et, bondissant de ma monture, je frappai la lance d’un de ces deux-là cherchant à les neutraliser sans les blesser. Toutefois, après ce premier échange, ils mirent bas les armes et se rendirent… Je n’ai pas la moindre explication à cela. » Tout en prononçant ces derniers mots Denis, en gardant son épée pointée sur ses prisonniers, tourna la tête vers eux pour leur signifier que cette ultime remarque leur était adressée.

Les créatures semblèrent comprendre le sous-entendu. L’une des deux s’exprima alors mais il ne sortit de sa bouche qu’une langue inconnue, à la fois sifflante et rocailleuse. Devant notre incompréhension les deux choses se regardèrent, échangèrent quelques mots puis se levèrent lentement sans signe d’agressivité. Leur regard semblait imprimé de respect plus que de haine et Denis les laissa faire. Tout en restant courbés ils nous firent alors signe de les suivre en pointant du doigt une direction.

Nous regardâmes tous le dhampire qui nous avait mené jusqu’ici. Nous étions à la fois désolés d’avoir douté de lui mais pas pour autant rassurés à l’idée de suivre ces êtres. Notre guide lui-même sembla hésiter. Les créatures insistèrent alors en reprononçant au passage des mots de leur langues aux termes insaisissables. Comment pouvait-on se fier à leurs expressions ? Elles ressemblaient aux nôtres mais avaient un côté étrange, inconnu qui nous déboussolait et nous rendait méfiant. Comment savoir si elles ne nous mèneraient pas à notre perte ? Pourtant, d’un autre côté, après avoir erré sept mois dans ce désert, l’idée que tout cela ait été pour rien m’était insupportable.

Denis nous demanda d’un regard notre avis. Nous étions visiblement partagés. Guy et Roksana semblaient hésitant tandis qu’Agnessa, Thibault et moi craignions davantage de recommencer à arpenter le désert sans fin pour avoir laissé pareille occasion s’envoler que de tomber dans quelque piège duquel nos épées nous donneraient toujours une chance non négligeable de nous en tirer. Après nous avoir jaugé Denis reprit son air de chef décidé et donna ses indications :

« Mes chers amis, je vous remercie de m’avoir suivi jusqu’ici ! Je sais ô combien il a été difficile pour vous d’en arriver là et je sais que certains auraient déjà abandonné si leur fidélité à mon égard ne les en avait pas empêché. Je vous en suis extrêmement reconnaissant et ne saurai vous en vouloir si vous refusiez de me suivre plus loin. En réalité cela pourrait même nous être utile. Il serait plus prudent que deux d’entre nous retourne à Avinpor. Si nous ne sommes pas revenus d’ici six mois retournez à Tikmar et annoncez à Edvard qu’il est désormais baron. Si cela m’est possible je jure de vous donner des nouvelles d’ici là. Quant aux autres préparez-vous à vous enfoncer dans l’inconnu le plus total ! »

Bien qu’il n’ait nommé personne chacun savait quelle partie de ce discours lui était destiné. Guy et Roksana nous sourirent, soulagés de pouvoir retourner à Avinpor sans honte tandis que nous autres fîmes signe à nos nouveaux guides que nous étions prêts à les suivre

Nous voilà donc la nuit tombée. Je suis de garde ce soir. Nul ne sait quelles pensées s’agitent dans l’esprit de ces êtres. Mieux vaut se méfier d’eux à tort que de baisser sa garde. S’agit-il des ombres dont Anatoli parlait ? Nous mènent-ils dans les grottes décrites dans les parchemins ? Je suis impatient de le découvrir bien que je ne parvienne pas à me débarrasser totalement de l’appréhension qui m’habite.

Géralde

Hier le vicomte de Poltrusk est venu nous rendre une de ces « visites de courtoisie » qu’il apprécie tant. Comme d’habitude la plupart des hommes sont partis se cacher dans la grotte au pied de la falaise donnant sur la mer tandis qu’Edvard l’accueillait en compagnie de ses frères et sœurs.

Nous passâmes donc trois jours les pieds dans l’eau à manger du pain mouillé. Quelle blague ! Evidemment que le vicomte sait que nous sommes bien plus que ce que Denis et Edvard prétendent. Nous avons seulement la chance de vivre dans un fief trop insignifiant pour attirer l’attention de l’Empereur. La surpopulation humaine du lieu est ainsi tolérée dans la mesure où elle permet d’enrichir un peu plus ces vampires sans leur causer davantage de tort. Nous leur envoyons régulièrement du pain, du bois et du poisson. Nous nourrissons de notre sueur ces bêtes qui ne rêvent que de nous tuer et ceci avec la bénédiction de ceux qui jurent de nous protéger.

Et pourtant notre misère dans cette grotte n’est rien par rapport à celle de nos congénères. J’ai déjà eu l’occasion d‘aller livrer quelques victuailles à Poltrusk et ce que j’y vis m’horrifia. Les bâtisses ne tenaient pas debout, les gens étaient maigres et malades et des cadavres étaient suspendus de façon plus ou moins imaginative à chaque coin de rue. « Ils resteront là jusqu’à la prochaine purge » m’avait expliqué un vieil homme plus désabusé que terrifié.

L’ignoble est devenu leur quotidien. Et pendant que des gens se tuent à la tâche et meurent pour des vampires qui les méprisent et les haïssent nous continuons à vivre ici sans rien tenter. Si cela ne permettait pas d’atténuer un tant soit peu la peine de ces pauvres gens j’aurais refusé depuis bien longtemps de continuer d’apporter des vivres en ville. Et lorsque je rentre j’ai droit au même spectacle qu’à l’aller : des campagnes pauvres, remplies de paysans maigres, souvent mutilés, et avec des corps éparpillés aux quatre vents. Dans un tel état de faiblesse toute révolte est impossible.

Pendant ce temps nous ne bougeons pas… Nous demeurons aux ordres de vampires pas moins seigneurs que les autres et se complaisant dans une inaction qui condamne des milliers d’hommes à la souffrance de par le monde. « Qu’importe tant qu’ils ne les voient pas » me plais-je à répéter. Ces vampires se contentent d’une posture morale qui seule devrait leur garantir notre adoration la plus sincère.

Ces pensées qui ne cessent jamais d’habiter mon esprit étaient amplifiées par l’inconfort de la grotte et l’incertitude quant au temps où nous y demeurerions. Heureusement cela ne dura que trois jours. Au matin du quatrième André, la mine déconfite, vint nous chercher pour nous dire que nous pouvions rentrer. Je ne compris qu’au seuil du village la raison de son abattement. Devant nous gisait Madelaine, tranchée en deux et flottant dans une mare de sang. Edvard et les autres vampires étaient à côté et semblaient aussi tristes que nous. Notre prétendu chef nous raconta alors ce qu’il s’était passé.

Le vicomte était arrivé, visiblement au courant de l’absence de Denis. Sa visite relevait davantage de celle d’un seigneur voulant imposer son autorité que de celle d’un suzerain bienveillant. Il taquina deux jours durant Edvard sur le fait qu’il savait que ce village abritait bien plus de quinze hommes pour un vampire. Naturellement il n’était pas là pour exiger une purge qui eut pu lui coûter bien cher mais pour emporter des hommes plus gras que les siens afin d’en profiter lors de festins à venir. Edvard jura qu’il protesta autant qu’il l’avait pu. Hélas, prétextant l’absence de Denis pour s’arroger le titre de suzerain temporaire de ces terres, le vicomte commença avec ses quelques chevaliers à frapper des hommes pour les assommer et les emporter avec eux. Naturellement, là encore, Edvard hurla haut et fort qu’il avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour le calmer, sans succès. A force d’agacement le vicomte tua Madelaine et, menaçant de recommencer si Edvard n’obtempérait pas, s’empara de quatre humains et les emporta avec lui.

Je ne pus contenir ma rage et me mis à éructer sur tous les vampires :

« Comment ça vous avez fait tout ce que vous pouviez ? Vous aviez une épée, je ne vois nul sang dessus ! Vous vous prétendez nos protecteurs mais vous ne nous défendez qu’avec des mots ! Suffit-il que Denis parte pour que nous soyons à la merci du premier vampire venu ? Si jamais il avait attaqué l’un des vôtres vous vous seriez tous jeté sur lui, pourquoi n’en avez pas fait autant pour nous ? Où est cette égalité dont vous vous prévalez tant mais qui n’existe en fait que dans vos psalmodies et vos sermons ? »

Edvard était penaud, regardait le sol et, je le devinais sous son casque, rougissait de honte, du moins autant qu’un vampire le pouvait. Au même moment cependant Mikhaïl s’approcha de moi et me souffleta le visage. Il accompagne son coup de ces quelques mots :

« Et que crois-tu qu’il se serait passé ensuite ? Quand bien même nous l’aurions tué son héritier serait venu avec une armée que nous n’aurions jamais pu repousser. Ce ne serait alors pas cinq humains qui serait morts mais des centaines. Tu te plains sans cesse de nous mais nous t’avons offert l’éducation, la liberté, la prospérité. Dis-toi que n’importe où ailleurs dans ce monde un homme avec ton comportement se serait vu étriper dans le meilleur des cas. Estime toi heureux de n’avoir écopé que d’une gifle. »

A ces mots il s’en alla et tandis que j’étais à terre nul n’osa protester. En ce jour tout le monde s’était couvert de honte, vampires comme humains. Tous des lâches, incapables d’assumer leurs idées jusqu’au bout. Les vampires prétendent que nos races doivent se réconcilier mais ils ne font rien pour. Mes amis prétendent me soutenir et réitérerons ces promesses ce soir mais n’ont rien fait devant un vampire. Même ma famille n’osa pas intervenir… En fait le seul qui vint me relever lorsque tout le monde détournait le regard fut ce nouveau venu, tout juste échappé des purges. Il s’appelle Grégoire et je dois bien avouer qu’avec ce simple geste je me suis senti plus proche de lui que de n’importe qui d’autre ici. Nous n’avons que peu échangé mais cela me paraît évident désormais. Bien sûr que quelqu’un aillant personnellement vécu la cruauté des vampires aura à cœur de les défaire. Bien sûr que la menace de quelques réprimandes ou coups ne l’affecte plus après ce qu’il a enduré. De ce que j’ai vu, s’il y a un brave ici, ce n’est ni un vampire ni un de mes vieux compagnons mais bien ce Grégoire !

Madelaine, Laure, Frédéric, Gaston, Enguerrand… Je jure de faire tout mon possible pour vous sauver ou vous venger. Je ne vous oublierai pas ! Puisse votre sacrifice être l’étincelle qui déclenchera la déflagration que j’attends depuis si longtemps. Celle qui mettra à bas le règne des vampires et qui réparera enfin tous les affronts faits à notre race par le passé !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Antoine Zwicky ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0