Chapitre 10 : Par delà l'océan
Natasha
Tous les grands seigneurs de Konstantrie, tant ceux des archipels que du continent, se sont retrouvés à Konstantmar à peine douze jours après l’appel que leur avait adressé leur roi. Les barons des îles, les plus fidèles et ardents, n’eurent pas même besoin d’échanger le moindre mot avec leur souverain pour lui assurer son soutien sans même savoir précisément où ce dernier les mènerait bien que les plus fins l’aient sans doute deviné. En même temps, quoi de plus normal ? Konstantin avait accordé aux plus enthousiastes des vampires les fiefs maritimes et côtiers car ils revêtaient à la fois un aspect noble pour ces fils de la mer et il reléguait ainsi les plus douteux de ses vassaux dans les terre, les rendant de ce fait incapables de trahir l’existence de ce nouveau pays en s’enfuyant vers le continent via l’océan.
Ces derniers arrivèrent d’ailleurs plus prudents et moins enthousiastes que les premiers. Leurs scrupules à cacher à l’Empereur l’existence de cette nouvelle contrée n’avait été que partiellement compensées par l’octroi de fiefs et de titres. Cela serait-il suffisant pour leur faire accepter l’idée de partir en guerre contre la patrie qui les avait vu naître ? Le doute était plus que permis.
La réunion s’ouvrit donc un peu plus tôt que prévu et, chose assez rare en ce pays, nous eûmes la chance de manger de l’homme. Mettre ses hôtes dans de bonne conditions était de toute évidence plus important pour Konstantin que de faire croître une population humaine encore très instable.
Tous les vampires avaient été accueillis, seigneurs titrés comme derniers fils, garçons comme filles, de la même façon de telle sorte que Konstantmar était bondée et que tout le monde ne pouvant entrer dans le palais chacun, souverain compris, mangea à l’extérieur.
Les tractations ne souffrirent toutefois pas de la moindre attente et l’arrivée prématurée des seigneurs ne fit qu’avancer l’heure des débats. Ainsi, le repas terminé, Konstantin se leva avant que quiconque n’ait pu en faire de même :
« Mes seigneurs, comme vous le savez je vous ai fait quérir afin de mener une guerre. Pour ceux qui en douteraient encore nous lutterons en effet par-delà l’océan contre l’Empereur mon père ! En ce jour vous allez prouver quelle est votre patrie ! L’Empire, qui ne vous a rien accordé du simple fait que vous soyez mal nés, un continent qui ne vous promettait qu’oisiveté, médiocrité et finalement décadence ou la Konstantrie, pays d’explorateurs, de marins et d’aventuriers où la liberté règne comme nulle part ailleurs ? Vous avez accepté les titres et les fiefs que je vous ai offerts je ne tolérerai pas que vous refusiez de me soutenir en ces heures fatidiques. Nous lutterons pour notre indépendance ! A ceux qui hésiteraient je vous dirai ceci : Croyez-vous que parce que vous vous êtes abstenus de lutter à mes côtés mon père vous épargnera ? C’est mal le connaître ! Lorsqu’il aura créé une flotte qui fera passer la nôtre pour un amas de brindilles et qu’il débarquera ici croyez bien qu’il confisquera chacun des titres que j’ai créés et qu’il exécutera une bonne moitié de ceux qui seront restés dans l’inaction simplement pour l’exemple. »
Comme c’était à prévoir les seigneurs des mers applaudirent tous en cœur. Moindre fut l’enthousiasme des nobles de l’intérieur des terres. Le compte d’Ashmar se leva alors et répondit à son suzerain :
« Konstantin, ne croyez-vous pas qu’il serait temps d’arrêter cette folie ? Ce fut une amusante épopée que de dompter ce continent toutefois voyez par vous-même : Presque tous les vampires sous votre autorité sont là et nous tenons dans une ville qui dépasserait à peine le stade du village de l’autre côté des eaux. Croyez-vous que nous ayons la moindre chance ? Faites amende honorable, soumettez-vous et je suis persuadé que l’Empereur, parce qu’il est votre père, vous pardonnera et vous autorisera à continuer vos aventures. Vous rentrerez à jamais dans les livres d’histoires comme le plus grand explorateur de tous les temps mais je crains que le titre de roi ne vous soit inaccessible, comme à quiconque d’ailleurs. »
Des discussions naquirent entre les seigneurs et nombre d’entre eux signifièrent leur approbation avec les dires du comte tandis que l’autre partie soutenait à grand cris le roi. Konstantin jaugea l’assemblée qui, si elle semblait le soutenir en majorité, était loin d’être unanime. Cette attente dura quelques instants puis il sourit et repris la parole :
« Mon très cher comte, vous oubliez une chose. Ici tout est possible ! Nous ne sommes plus dans l’Empire. En ces lieux chaque vampire peut devenir qui il veut pour peu qu’il ait le courage de prendre ce qu’il désire. Chez moi aucune des règles désuètes du continent n’a cour. Je vois que bien que vous vous gargarisiez du titre de compte vous ne demeurez pas moins une de ces larves d’outremer… »
Il marqua alors une pause puis commença à hurler :
« Vampires de Konstantrie, êtes-vous prêts à défaire un Empire ? Me suivrez-vous par-delà les mers ? Etes-vous prêts à arracher votre liberté à la sueur de votre front, au sang de votre corps et à la pointe de l’épée ou bien rêvez-vous d’une éternité de soumission comme vous le propose le comte ? »
De loin les plus véhéments, les seigneurs des mers semblèrent presque rentrer en transe et se mirent à aboyer leur soutien, ce qui me parut à la fois enthousiasmant et effrayant jusqu’à ce que je me surprenne à les imiter. Nous n’avions pas traversé les mers, acquis des titres et renié les coutumes de notre ancienne patrie pour nous y soumettre à nouveau à la première menace tels des humains effrayés.. Le comte essaya de reprendre la parole mais le roi le coupa avant même qu’il eut le temps de dire un mot :
« Il suffit ! Je ne tolérerai pas de traîtres sur mes arrières et encore moins à mes côtés. Je vous remercie monsieur le comte. Vous venez de prouver que je n’ai pas réussi à insuffler à chacun le goût de la liberté qu’est le mien. Mais vous venez également de révéler qui étaient ces lâches se prétendant seigneurs de mon royaume et je vais vous montrer comment est-ce que l’on doit traiter cette vermine. »
A ces mots il fit un signe de tête. Immédiatement les vampires de son équipage qui s’étaient approchés des seigneurs les plus récalcitrants pendant que le roi discourait se saisirent de leur dague et égorgèrent, à la vue de tous, ceux qui avaient manifesté un peu trop haut leur désapprobation. Comme un signal et de façon spontanée à la vue de ces meurtres et sans doute enivrés par tout le vin qu’ils avaient bu, les seigneurs de la mer se mirent à se saisir à leur tour de leurs armes et à tuer ceux qu’ils jugeaient trop timorés. Je me tournai alors vers Konstantin et je lus à la foi la surprise et l’approbation dans son regard. Dans un rire presque dément il me tendit la main, m’invitant à participer à ce massacre qui lui avait visiblement échappé mais qu’il jugeait désormais comme un loisir des plus utiles à sa cause. Perdue dans ces instants de folie collective je me levai et le suivis au carnage, bien que l’essentiel eût été fait avant que nous entrions dans l’arène. A froid je ne peux m’empêcher de me dire que bien des innocents ont dû mourir. D’honnêtes soutiens trop peu expressifs ont sans doute péri pour cela et être fidèle au roi Konstantin n’avait que peu de chance de pardonner le crime d’être un seigneur des terres cette nuit-là. Pourtant, malgré tout cela, ce fut un moment incroyable bien qu’infernal. Nous étions comme enragés, prêts à tout massacrer et lorsque nous en eûmes finis avec les vampires nous passâmes aux humains. Tant pis pour la population ! Le carnage nous avait trop manqué pour que nous passions sur une telle occasion. Qu’importe les conséquences le temps était à la sauvagerie la plus bestiale. Aujourd’hui la raison me hurle que c’était une erreur et pourtant je suis absolument certaine que si la même situation se reproduisait j’agirais de la même façon.
Après cette débauche de sang, chacun des vampires leva son arme et hurla « Vive le roi des mers ! Vive le roi des mers ! » Konstantin, que ce carnage n’avait de toute évidence pas calmé, répondit à son peuple :
« Demain nous prendrons la mer ! Que les quarante-deux nefs de notre armada fondent sur l’Empire ! Que les femmes se joignent à nous car nous ne serons pas de trop pour défaire la plus grande nation du monde ! Que ceux qui ne pourront pas embarquer reprennent les fiefs à l’intérieur des terres aux félons qui y sont restés et qui sont sans doute semblables à leurs maîtres c’est-à-dire fidèles à l’Empire et donc à nos ennemis ! »
Un cri d’approbation générale s’éleva dans le ciel et tout le monde s’exécuta. Sans attendre chacun courut vers son navire et y embarqua toutes les provisions possibles. Les vampires qui n’avaient pas le leur et qui n’étaient pas membre d’un équipage se battaient pour monter à bord d’un quelconque vaisseau et je vis même certains d’entre eux tomber à l’eau pour ne jamais en ressortir. En dépit de tout cela le matin n’était pas levé que la flotte voguait vers sa destination.
Je déléguai pour ma part le commandement de la Sirène à Miléna et partageai les heures qui suivirent de la plus délicieuse des façons avec mon roi sur le Léviathan. Il fallut attendre que le Soleil soit à son Zénith pour que je reprenne peu à peu mes esprits.
Que penser de tout cela ? Bien que Konstantin ait préparé cette expédition tant d’imprévus sont déjà survenus. Nous avons décimé nos propres rangs avant même la première bataille, nous laissons la Konstantrie dans un état plus qu’incertain et nous voguons avec presque deux-mille vampires vers l’Empire sur un quasi-coup de tête. Combien de seigneurs, une fois le calme retrouvé, vont se rendre compte de la folie de notre expédition ? Pourtant, même apaisé, Konstantin ne semble pas douter.
« Nous sommes trop nombreux sur les navires. Il faudra se retenir de succomber à la faim et conserver la nourriture pour les derniers jours du voyage afin d’arriver en forme. Au pire nous mangerons les humains de nos équipages. Il faudra former les vampires qui ne le sont pas pour les remplacer. Pour ce qui est de la Konstantrie le Vif et la Mouette assureront la liaison avec mon royaume. Ce sont de petits vaisseaux mais très rapides qui seront peu utiles au combat mais qui permettront de faire passer mes ordres. Et si jamais je perds le contrôle de mes terres je les reconquerrai au retour ! Nul droit n’existe de mon côté des océans, seule la force fait loi. Et puis qui oserait contester un roi ayant défait un empire et conquis par deux fois son propre royaume ? »
Son optimisme à toute épreuve, sa folie, son amour de l’aventure et de la violence… tant de choses qui passeraient pour défauts chez tous les autres vampires et qui revêtent chez lui les atours des plus séduisantes qualités. Qu’importe qu’il nous mène à la victoire ou à la mort, je le suivrai !
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